Ce lundi, a été lancée une grève illimitée des transporteurs routeurs routiers afin de protéger le 4ème bassin du Port de Beyrouth, menacé d’être remblayé en raison du projet sponsorisé par l’autorité portuaire d’agrandissement des activités de transbordement des containers. Cette fermeture pourrait menacer jusqu’à 1500 emplois et serait contraire aux traités internationaux souscris par le Liban, prévoyant la possibilité d’utiliser le seul bassin en haut profonde disponible dans cette région par des parties tierces, notamment pour le déploiement des forces internationales de la FINUL.

Old Beirut Port de Beyrouth
Source: Old Beirut Port de Beyrouth

Ce remblaiement aurait été déjà entamé par une société tierce à la demande des autorités portuaires et cela sans appel d’offre ni décision gouvernementale pourtant nécessaire. Le cout de ce projet proposé par cette société atteindrait 123 millions de dollars alors que les estimations n’étaient que de 70 millions de dollars selon le président du syndicat des transporteurs.

Selon les informations disponibles, les routiers ont réussi à bloquer les accès du Port de Beyrouth. Il s’agit là de l’occasion d’évoquer le port de Beyrouth dans ce dossier spécial que nous vous proposons.

Situé à la convergence des routes commerciales Européennes, Asiatiques et Africaines, le port de Beyrouth revêt un géostratégique évident ayant permis au Liban d’être une plateforme d’échange commerciale, agricole et lui permettant également de devenir une place financière de toute première importance au cours de l’Histoire.

Une histoire déjà ancienne

Beyrouth est une ancienne citée portuaire ou existait déjà un Port Phénicien, mentionné déjà 1500 avant Jc par les lettres de correspondances entre citées phéniciennes et Pharaons d’Egypte.

L’activité portuaire serait cependant beaucoup plus ancienne, comme en témoigne l’existence d’un port de pêche du temps du néolithique, soit 7000 avant Jc.

Le port phénicien se trouverait au niveau du Tell. Il existait également des cales phéniciennes aujourd’hui détruites par un projet immobilier au niveau de Minet el Hosn. Aux phéniciens se sont succédés les Romains puis les Arabes qui en feront le principal port d’attache de leur flotte dans la Méditerranée Orientale. Les Mamelouks le fortifieront et les Croisés installeront à son entrée un Château dont on ne peut admirer aujourd’hui que quelques vestiges à proximité de l’Immeuble An Nahar du Centre Ville.

A ses pieds, se trouvait un port de Pêcheurs dont il existe quelques vestiges au niveau des Souks de Beyrouth, et des bassins datant du temps de l’Empire Romain. Après les Croisades, le Port de Beyrouth tombera dans une sorte de léthargie au profit notamment du Port de Saida.

A la faveur d’une industrialisation et la modernisation de son économie, le port de Beyrouth redeviendra incontournable vers la moitié du 19ème siècle, notamment en raison de la culture du mûrier. Il existera ainsi plus de 200 usines de filatures à soie, en majorité détenues par des Français résidant au Liban, accompagnant également la vague d’Orientalisme ou la redécouverte de cette partie du Monde. Beyrouth prendra une place centrale dans ce regain d’intérêt avec des travaux d’urbanisation. De nombreuses escales se feront dans ce qui deviendra la capitale libanaise, mettant en avant l’intérêt à la construction d’un port moderne pouvant accueillir les nouveaux types de navires.

Le port moderne

L’intérêt géostratégique d’une plateforme commerciale au croisement des routes vers l’Asie et l’Afrique d’un coté mais également vers l’intérieur du Monde Arabe, a rapidement suscité de nombreuses convoitises et de nombreux projets. Le plus ambitieux a cependant été conduit du temps de l’Empire Ottoman avec la création en 1887, d’un port autonome, “La Compagnie du Port, des Quais et des Entrepôts de Beyrouth”, financé en majorité par des intérêts Français qui accompagneront cette création avec le traçage de la route puis du chemin de fer vers Damas. Ainsi, en 1894, s’ouvrira le Premier Bassin du Port de Beyrouth, préfigurant le Port Moderne de la capitale libanaise.

A l’issue de la Première Guerre Mondiale, lors du Mandat Français, le Port de Beyrouth deviendra de Droit Français en 1925, avec un deuxième bassin qui sera construit en 1938 puis pour ensuite fortement s’étendre à la faveur de la croissance des années 60 avec la construction du 3ème puis du 4ème bassin. Devenu dès lors la Compagnie de Gestion et d’Exploitation du Port de Beyrouth, la concession s’achèvera le 31 décembre 1990. Il est dès lors géré indirectement par l’État Libanais.

A l’issue de la guerre civile de 1975 à 1990 pendant laquelle il avait été pillé dès 1976 pour butin dont le montant est estimé entre 1 à 2 milliards de dollars de l’époque, le Port de Beyrouth se devait de reprendre sa place dans la région dont il avait été écarté par la force des évènements. Un effort de modernisation sans précédent a alors été mis en place avec la réhabilitation de ses bassins existants, à l’exception du Premier bassin devenu trop exigu pour les bâtiments modernes et dont une décision du temps du Mandat du Président Amine Gemayel a amené à être confié à l’Armée Libanaise qui en fera une base militaire. L’activité portuaire subira également les aléas des conflits régionaux, à l’exemple de 2006 ou un blocus sur les cotes israéliennes sera imposé, paralysant totalement le port.

Aujourd’hui, la principale activité du Port de Beyrouth consiste en une activité de transbordement de marchandises. Équipée de 12 grues d’origine chinoise, de 39 portiques, sur une superficie de 450 000 mètres carrés arrivés à saturation dès 2009 et accueillant une capacité maximale annuelle de 1 500 000 EVP (Equivalent Vingt Pied ou TEU en anglais), le terminal container est sous-traité par un consortium géré par Mersey Dock and Harbord et Maritime Association de nationalité britannique. Il réalise 23 mouvements par jours et envisage une extension sur les remblaies du 4ème bassin dont on parle actuellement beaucoup. Situé sur la route Marseille-Singapour, le port de Beyrouth est en effet devenu l’un des principaux ports d’escales pour les navires porte container, le trafic estimé pour la Méditerranée devant attendre 130 millions de TEU en 2015, un trafic donc accru ou le Port le Beyrouth se doit de rester compétitif. Il sert d’ailleurs de Hub de transbordement pour les 2 compagnies au premier rang dans le Monde, MSC et CMA-CGM

A coté de cette activité, il n’en demeure pas moins que le port de Beyrouth, grâce à son 4ème bassin, demeure incontournable dans la région et est un poumon essentiel de l’activité économique libanaise avec ses 12 entrepôts et son activité de déchargement. Le grand silo à blé du Moyen Orient, d’une capacité de 120 000 tonnes, se trouve ainsi en son sein.Beyrouth est aussi un lieu de déchargement de marchandises, dont des voitures, camions, animaux de boucherie, et diverses cargaisons de matières premières, gaz et pétrole. Il s’agit de ces activités principalement présentes au niveau du 4ème bassin qui sont aujourd’hui menacées. Les travaux de remblaiement déjà effectués ont d’ailleurs déjà limité le tirant d’eau. Le 4ème bassin est aussi essentiel pour les opérations militaires de la région, étant l’un des seuls capable dans la région d’accueillir des navires de haut tonnage de fort tirant d’eau (jusqu’à 14 mètres). Le Liban est d’ailleurs même en obligation de le mettre à disposition de l’ONU en cas de demande. Le remblayer constitue donc une violation des engagements du gouvernement libanais vis à vis de la communauté internationale.

Depuis la fin de la guerre civile, les autorités libanaises ont également développé une activité DutyFree sur une superficie de 85000 mètres carrés dans l’enceinte portuaire ainsi qu’un projet de transit passager d’une capacité de 400 000 personnes annuellement mais en raison de circonstances géopolitiques actuelles, Beyrouth reste écarté des principales routes des paquebots.  A coté de son activité militaire, le premier bassin sert également de lieu d’exposition, notamment pour Beirut Boat 2014.

 Quel avenir pour le Port de Beyrouth?

Le port de Beyrouth étant l’une des seules portes d’entrée de marchandise et de sortie pour la communauté chrétienne durant la Guerre civile alors l’aéroport de Beyrouth était alors sous contrôle des milices opposées,  l’Histoire récente de la période fratricide a amené tant aussi bien les partis d’obédience chrétienne d’horizon politique opposée que les autorités religieuses comme le Patriarcat Maronite de Bkerké à se saisir de la question. Seul bémol, ce lundi, les déclarations du Ministre du Tourisme, Michel Pharaon, proche du Courant du Futur et qui indique que le principe de remblaiement est portant accepté par tous les partis, réfutant tout dimension politique à la polémique. Il semble cependant que cela ne en soit pas du tout le cas.

La carte actuelle du Port de Beyrouth, source: http://www.portdebeyrouth.com

De son coté et indiquant que son extension est désormais limitée au Nord-Est par le Fleuve de Beyrouth, l’autorité du Port de Beyrouth, même si elle ne dispose pas de toutes les autorisations gouvernementales nécessaires pour mener son projet d’élargissement de sa superficie allouée au trafic container, estime que le projet de remblaiement reste nécessaire au maintien de la capitale libanaise dans le trafic portuaire international, ce projet consistant à fusionner les quai 12 et 16, amenant à une longueur totale de 2.3 kilomètres et à une augmentation de superficie de 600 000 EVP. La capacité annuelle passerait ainsi 2 100 000 EVP annuellement.

Les défenseurs de ce projet indiquent également qu’une partie des activités actuelles pourraient être reprises par le Port de Tripoli au Nord Liban. Cependant, ce transfert pourrait également couter 1500 emplois au Port de Beyrouth, indiquent les syndicats et notamment les syndicats des routiers qui ont entrepris la grève actuelle. Les autorités libanaises prévoient d’ailleurs également un projet d’élargissement du port de Tripoli, avec la construction de nouveaux entrepôts, certains étant réfrigérés, de l’accroissement de ses longueurs de quai à 2,2 kilomètres et de son tirant d’eau à 12 mètres (ce qui reste cependant en dessous du tirant d’eau disponible à Beyrouth). Également à Tripoli, une zone est réservée pour la construction d’un futur terminal container et d’une zone dutyfree sur une superficie de 420 000 mètres carré à l’avenir.

Plusieurs questions restent donc en suspens, est-il nécessaire donc de remblayer le port de Beyrouth alors qu’un plan d’extension du Port de Tripoli est en cours? Peut-on au contraire envisager de sauver le 4ème bassin afin que le Liban puisse respecter ses obligations internationales et si cela s’avère nécessaire, pourquoi ne pas envisager la création d’une zone de transit à l’extérieur du périmètre du Port de Beyrouth mais toujours proche de la capitale libanaise. A ces questions pour l’heure, nul n’a encore répondu.

Sur le Net:

  • Outre le site du Port de Beyrouth et du Terminal container, des statistiques sont également disponibles auprès de la Douane Libanaise.

Un commentaire?