Le Patriarche maronite Béchara Al-Raï s’est fièrement rendu en mai 2014 en Palestine occupée, au mépris absolu de l’opinion et du sentiment d’un grand nombre de Libanais, se pavanant sous la surveillance et la protection des soldats israéliens. Le prétexte qu’avançait le patriarche maronite était d’effectuer un pèlerinage sur les lieux saints du Christianisme, ainsi que de rendre visite à ses ouailles maronites. Ces dernières se sont en effet volontairement réfugiées en Israël, lors de la libération du sud Liban en l’an 2000[1], préférant la protection de l’ennemi à la justice de leur pays.

Après la « normalisation par la théologie »,[2] voilà que le patriarche maronite s’apprête à pratiquer la normalisation au nom de la soi-disant ouverture d’esprit. Le patriarche n’est pas sans savoir les intrigues et les manœuvres que mène l’Arabie-Saoudite au Liban et au Moyen-Orient. La rancœur ne doit pas être la règle, mais la cohésion sociale du Liban doit être la norme. L’éthique chrétienne doit pousser le patriarche maronite et sa clique à réclamer la paix et la justice, et non pas à prendre parti, dans un Moyen-Orient où les droits humains sont de plus en plus foulés, piétinés, bafoués.

Le clerc maronite évoquera-t-il en Arabie Saoudite des problèmes sensibles tels que le Yémen, la Syrie ou l’Irak ?

Le patriarcat maronite et sa basse-cour ne se sentent pas concernés par ce que subit le peuple yéménite depuis maintenant trois ans, ni ce qu’éprouvent les peuples palestiniens et syriens. Au contraire, le patriarche maronite a trouvé judicieux de visiter quelques-uns de leurs bourreaux, se pavanant sous leurs protections, mangeant à leurs tables.

Il convient de préciser que le chef de l’église maronite n’est pas contraint par les visites d’Etats, encore moins par les visites politiques, surtout lorsque les intérêts stratégiques de son pays sont en danger, et pendant que les enfants de son peuple périssent dans la lutte contre le sectarisme de type wahhabite.

Une fois encore, le patriarche maronite se démarque de certains choix politiques au Liban et au Moyen-Orient, prenant position, essayant d’affirmer orgueilleusement son autorité affaiblie. De surcroît, la visite du prélat maronite en Arabie Saoudite n’a aucun caractère pastoral, elle est typiquement politique.

Le patriarche Al-Raï ne déroge pas à la caractéristique qui a longtemps imprégné l’histoire des Maronites en général depuis leur arrivée au Mont-Liban[3] : celle de ne jamais vraiment adhérer aux grandes causes des peuples du Moyen-Orient. Le patriarcat maronite ne s’est globalement jamais solidarisé avec les peuples arabes dans leurs grands combats, se mettant volontairement en marge de tous les processus.

Tout au long de l’histoire libanaise, le patriarcat maronite s’est auto-exclu, s’est déraciné de son environnement, entraînant avec lui les autres composantes chrétiennes au Moyen-Orient à qui il a prétentieusement volé la vedette.

Cependant, les problèmes qu’affrontent actuellement les Chrétiens arabes ne sont pas dus uniquement aux autres, mais en partie aux politiques menées par certains de leurs chefs religieux. Ces derniers demeurent les responsables d’un pan du fiasco politique des Chrétiens et leur déracinement du Moyen-Orient.

Il semblerait que le patriarche maronite soit mécontent que son rôle politique diminue sur la scène libanaise depuis l’élection de Michel Aoun à la présidence de la République. L’histoire du Liban révèle que le patriarcat maronite est systématiquement en conflit avec tous les chefs politiques de confessions maronites qui lui font de l’ombre. Bkerké[4] considère depuis longtemps qu’elle est l’autorité politique par excellence du Liban, faute de séparations des pouvoirs, et en l’absence de l’instauration d’un État civil, moderne et démocratique.

Par sa visite en Arabie Saoudite, le patriarche maronite risque de froisser gravement une grande partie du peuple libanais, dont une partie des Maronites. Par ces démarches tordues, le patriarche Al-Raï maintient les préjugés posés depuis longtemps sur les Chrétiens, notamment sur les Maronites d’être toujours du côté de l’étranger au détriment du concitoyen, du compatriote. Pourquoi le patriarche agit-il ainsi ? A-t-il pensé aux préjudices qu’une telle visite peut amener aux Chrétiens, notamment aux Maronites ? S’est-il concerté avec son église avant de décider d’aller ici où là ?

Nous constatons encore une fois le nombrilisme maladif du patriarche maronite ainsi que d’une partie de son clergé, prenant des positions très sévères contre le Hezbollah et une partie des Chiites libanais. Le patriarche maronite doit être l’homme du rassemblement, mais il semble que cela ne soit pas une priorité pour ce dernier.

Le patriarcat maronite semblerait pratiquer une ouverture d’esprit très sélective. Une ouverture d’esprit teintée d’intérêts politiques, utilisant l’étranger dans ses luttes politiques contre les frères, afin d’asseoir sa domination autocratique, et son sens excessif de supériorité.

Au moment où le Moyen-Orient est en extrême ébullition, la tête de l’église maronite trouve pertinent de se rendre en Israël, puis en Arabie Saoudite. Les deux pays appartiennent au même axe politico-stratégique, leur projet est assez clair pour l’avenir du Moyen-Orient.  Quelle sera la prochaine destination ?

Comment convaincre que les Maronites soient solidaires de leurs frères de la région lorsque leur chef religieux effectue des visites à ceux qui causent depuis des décennies une grande partie de leurs malheurs ?

Toutefois, le patriarche maronite se laisse exploiter, et à travers lui toute son église, par une Arabie Saoudite au bord du gouffre, qui désire donner l’illusion d’être un pays ouvert et tolérant. Après avoir permis très récemment aux femmes de conduire, voilà qu’elle invite un patriarche qui va s’exhiber à la cour du Roi avec la croix sur son torse. La tête du clergé maronite deviendra le pantin du roi, et engagera les Maronites dans une voie qui ne bénéficie qu’à sa personne.

Suite à la démission forcée du premier ministre libanais Saad Hariri par l’Arabie Saoudite et toutes les conséquences négatives de cet événement sur le Liban -ainsi que l’irrespect total de la souveraineté libanaise par les dirigeants saoudiens, Béchara Al-Raï maintiendra-t-il sa visite au Royaume wahhabite ?


[1] Chronique du retrait israélien du Liban-Sud en 2000 (L’Hebdo Magazine du 26 mai 2006), https://histoiremilitairedumoyenorient.wordpress.com/2016/09/03/chronique-du-retrait-israelien-du-liban-sud-en-2000-lhebdo-magazine-du-26-mai-2006/

[2] René Naba, « Al Qods Pèlerinage: La normalisation par la théologie », http://www.renenaba.com/al-qods-pelerinage-la-normalisation-par-la-theologie/

[3] Les Maronites sont arrivés au Mont-Liban au IXe siècle, fuyant les persécutions en Syrie.

[4] Bkerké est une localité libanaise qui se situe à environ une vingtaine de kilomètres au nord de Beyrouth. Bkerké accueille depuis 1823 le siège patriarcal de l’Eglise maronite.

Antoine Charpentier
Antoine Charpentier, né au Liban et installé en France depuis plusieurs années, détenant un Master d'Histoire Contemporaine, de l'université de Besançon, terminant actuellement un Master de science des religions à l'université de Strasbourg. Analyste et blogueur politique spécialisé des questions du Moyen-Orient.

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