Liban: Quelles conséquences suite à l’arrêt de l’audit de la BdL?

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Coup de tonnerre aujourd’hui. Après les coups sous la butte de l’Association des Banques du Liban via la commission parlementaire du budget et des finances, de la Banque du Liban elle-même refusant l’audit juricomptable de ses comptes, voilà qu’ils ont finalement eu raison d’Alvarez & Marsal qui devait effectuer la première étape de la procédure demandée par le Fonds Monétaire International en vue de quantifier les pertes du secteur bancaire.

Pour rappel, ce contrat avait été signé début septembre par le ministère des finances déjà après plusieurs mois de retard, Ghazi Wazni à une certaine époque ayant même évoqué le fait que ses soutiens politiques n’accepteraient pas que soit menée une telle procédure.

Hier déjà, la contre-attaque a été ouverte par l’interview même du président de l’ABL dans les colonnes du quotidien An Nahar (en arabe), récusant même l’idée de pertes dont seraient responsables les autres. En parlant des autres, c’est justement leurs fautes, celles des manifestants, celles du gouvernement, celles même des déposants, qui auraient paniqué. Ah aussi, les dépôts ne seraient qu’un détail …

La soirée s’était poursuivie cette fois à la TV avec l’offensive médiatique contre le ministre sortant de l’économie via le député Ibrahim Kanaan et le président de la chambre de commerce de Beyrouth.

Après un ultimatum fin octobre d’Alvarez & Marsal, de voir les réponses de la BdL être transmise d’ici peu, le cabinet avait pourtant accepté de sursoir à cette suspension et d’accorder un nouveau délai de 3 mois. Il semblerait que depuis, certaines personnes, qui pourraient être impliquées dans des anomalies, aient tenté de faire pression sur le cabinet afin de passer aux oubliettes certains volets de l’audit juricomptable, alors même que la Ministre sortante de la Justice, Marie Claude Najem, le ministre sortant de l’économie Raoul Nehmé ou encore la Présidence de la République elle-même, tentaient d’obtenir la poursuite de la procédure.

Le coeur actuel de la crise que traverse le Liban est au niveau même de son secteur financier en dépit des assurances et des démentis de l’ABL ou encore des responsables de la BdL. 80% de la crise est liée au secteur financier et au fait que simplement, les libanais ont été comme anesthésiés de toute réalité économique pendant 25 ans, vivant dans un pays où la monnaie même était surévaluée, vivant donc quasiment à crédit, sur le dos de la Banque du Liban dont les responsables maquillaient les pertes.

Certaines sources estiment même que ces pertes durent aujourd’hui depuis 20 ans mais que ses responsables ont mis en place un système Ponzi institutionnel où on déshabille Pierre pour habiller Paul. Ainsi, après avoir vidé les fonds de la classe moyenne en offrant de forts taux d’intérêt, c’était au tour de la diaspora de financer ce système , cette diaspora qui pensait ainsi bénéficier de ces mêmes taux d’intérêt jusqu’à l’inversion des flux financiers début janvier 2019 et la fin des liquidités présentes sur le marché en raison d’une brusque prise de conscience des risques posés et la crainte de voir désormais l’économie locale s’effondrer.

Pourtant les symptômes de cet effondrement étaient déjà présents depuis longtemps avec les difficultés sectorielles dans le BTP. Les secteurs productifs eux-même étaient étouffés par les taux d’intérêts. Il était plus aisé de garder son argent en banque que de le faire travailler en créant des entreprises, de l’emploi et donc de la croissance.

Une faillite, c’est surtout un problème de liquidité, n’en déplaise à certaines personnes.

Le Liban roule à tombeau ouvert vers l’inconnu

Pourquoi Alvarez & Marsal laisse tomber?

Cet audit juricomptable visant non pas seulement à quantifier les pertes du secteur financier, condition essentielle de la communauté internationale, estimées pour la seule Banque du Liban de 49 milliards de dollars à 63 milliards de dollars donc négatives, mais aussi à en désigner les coupables ou les responsables.

Non seulement la communauté internationale en avait fait l’une des conditions essentielles mais aussi, il s’agissait pour les libanais de savoir ce qui était advenu des 70 milliards de dollars que les banques, donc leur argent, avaient placé auprès de la Banque du Liban sous forme de certificats de dépôt.
Problème, cet audit aurait donc pu révéler bien des scandales et mieux comprendre la gabegie des fonds privés via la Banque du Liban et l’implication de certains responsables libanais…

Le gouverneur de la Banque du Liban n’aurait ainsi répondu pas répondu à 57% des questions posées, sous le prétexte d’être soumis à la loi qui avait institué dans les années 1950 le secret bancaire.

Alvarez & Marsal était pourtant intervenu avec succès dans des pays où des réglementations instaurant un secret bancaire similaire à celui du Liban était pourtant en place sans que cela ne cause un problème. 
Les questions portant notamment sur les réserves monétaires et les transferts effectués, qui pourraient avoir été pour une partie détournés dans le cadre du programme de subvention à l’achat des produits de première nécessité, n’ont eu aucune réponse, alors que des experts légaux estiment que ces questions ne sont pas couvertes par le secret bancaire.

La Banque du Liban a en effet refusé de répondre sur les questions liées aux procédures même sur les opérations d’ingénierie financière qu’elle a mené et qui font l’objet de vives critiques.
La crise du secteur bancaire, bien que maquillée par les opérations d’ingénieries financières menées par la Banque du Liban, avait débuté bien plus tôt, en dépit des profits colossaux annoncés par les banques libanaises jusqu’à l’année dernière. En réalité, la Banque du Liban a ainsi reversé près de 16 milliards de dollars entre 2016 et 2018, vidant ainsi une grande partie de ses réserve monétaires en faveur des établissements bancaires.

Par ailleurs, un rapport d’audit plus usuel de 2018 qui a avait été révélé en dépit de son caractère confidentiel avait révélé que le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, avait abusé de déclarations unilatérales de profits fiduciaires, 6 milliards rien qu’en 2018, 30 milliards de dollars peut-être.
Certaines sources estiment même que les réserves monétaires brutes sont déjà négatives en raison des pertes accumulées depuis des années, ce qui signifie également que les dépôts des gens auprès de la Banque du Liban n’existent tout simplement plus.

Ces hypothèses sont toutes présentes parce qu’en dépit du caractère officiel de la Banque du Liban, cette institution ne respecte pas les réglementations sur le droit d’accès aux informations pourtant adoptée par le parlement libanais. L’audit juricomptable visait justement à permettre de lever ces soupçons.

Faute de pouvoir voir cet audit juricompable être ainsi mené, nous pouvons présager du pire.

La Banque du Liban se trouve en effet au coeur d’un scandale d’état. Il s’agit de l’outil même qui a permis à ce qu’on arrive là. L’établissement n’a pas joué son rôle de régulateur des banques privées d’une part et même encouragé ces dernières à mal gérer ou encore à investir dans des produits financiers défectueux comme la dette publique ou encore ses propres CD dans la perspective de gagner le plus de temps possible tout simplement.

Que se passera-t-il en cas d’échec du processus d’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban?

2 possibilités s’offrent désormais, nommer une nouvelle entreprise pour mener cet audit – sachant que très peu de cabinets sont spécialisés en la matière et que Kroll, considéré comme étant la référence mondiale a été écartée suite à l’insistance du Président de la Chambre Nabih Berri et de son relais au sein du gouvernement Ghazni Wazni – ou laisser tomber.

S’il s’agit de nommer un nouveau cabinet pour mener cet expertise, cela n’avancera à rien dans l’état actuel. Le prochain cabinet posera les mêmes questions, à savoir de comprendre comment fonctionne en réalité la Banque du Liban afin d’identifier les points critiques et de pouvoir ainsi plus cibler de manière plus systématique les investigations qui doivent être menées.
Cela n’est évidemment pas du goût de certains dirigeants de la Banque du Liban ou encore de l’association des banques du Liban. En effet, les actionnaires de ces dernières ont obtenu, ces 10 dernières années 63 milliards de dollars de bénéfices induits par le service de la dette publique quand 43% de leurs actionnaires sont également des hommes politiques dont certains décideurs.

Par ailleurs, le premier ministre désigné Saad Hariri n’avait jamais fait mystère sur son opposition à l’audit juricomptable même si aujourd’hui, suite à sa nomination, il en accepterait le principe.
Cependant, il a, à plusieurs reprises, rappelé son soutien au gouverneur de la Banque du Liban qui jouit ainsi, selon lui, d’une immunité totale.

Ainsi, certains observateurs craignent que ce dernier ne choisisse d’enterrer la procédure afin de protéger certains intérêts dont les siens, la famille Hariri possédant 10% des actions de l’ensemble des banques libanaises et ayant bénéficié, par conséquent, des différentes mesures de la Banque du Liban en leurs faveurs. 
Ils notent que cet audit pourrait constituer une preuve supplémentaire de l’implication de hauts dirigeants libanais dans différentes opérations de transfert financiers dont ils ont bénéficié au détriment de l’état avec la complicité de certaines banques locales. 

L’option de laisser tomber ou d’enterrer simplement le dossier serait le plus probable, avec les conséquences que cela aura:
Arrêt des négociations avec le FMI suite au fait de ne pas avoir répondu à cette demande
Arrêt des réformes structurelles fondamentales demandées par la communauté internationale, des réformes qui menacent en fait des intérêts privés alors qu’ils sont bénéfiques pour l’intérêt général
Arrêt aussi de l’aide internationale qui engendrerait un effondrement total de la monnaie et du système financier.

Quel impact cela aura sur la livre libanaise et la situation sociale et économique?

Gouvernement ou pas gouvernement, les prochaines semaines seront critiques avec la fin prochaine des réserves monétaires disponibles de la Banque du Liban, provoquant une nouvelle pression sur la monnaie locale alors qu’elle était à priori contrôlée jusqu’à présent par le contrôle informel des capitaux d’une part et d’autre part par les subventions accordées par la Banque du Liban à l’achat de produits de première nécessité.

La situation économique s’est, par ailleurs, encore dégradée avec la détérioration de la valeur de la livre libanaise et la mise en place de différents taux de change : taux de change officiel à 1507 LL/USD, taux de change dit du-marché pour les agents de change ou encore certaines entreprises fixées par la banque du Liban, aujourd’hui à 3900 LL/USD et taux de change au marché noir, qui a fluctué jusqu’à atteindre les 9000 LL/USD, au mois de juin avant de redescendre quelque peu, plus pour des raisons techniques sur fond de démission du gouvernement Hassan Diab suite à l’explosion du Port de Beyrouth, – ce dernier ayant donc perdu son bras-de-fer avec l’ABL et la BdL – et avant de reprendre une hausse en raison de la crise politique actuelle et de l’absence de gouvernement fonctionnel capable de mener des réformes.

La dégradation de la Livre Libanaise face au dollar devrait de toute manière se poursuivre, audit ou pas audit, gouvernement ou pas gouvernement et faute de l’aide internationale et dans la perspective du prochain effondrement du système financier lui-même qui a tenu jusqu’à présent en raison de mesures illicites de contrôle des capitaux, il faut désormais craindre l’effondrement incontrôlé de la monnaie locale avec les conséquences portant notamment sur une augmentation de la pauvreté jusqu’à des niveaux jamais atteints jusqu’à présent.

La croissance est justement devenue officiellement négative selon les institutions internationales en 2018, alors que les autorités libanaises démentaient cela puis reconnaissaient que le Liban était entré en récession économique en 2019. Cette récession pourrait atteindre même -25% cette année et faute d’un audit juricomptable de la BDL, se poursuivre encore l’année prochaine alors même qu’une accalmie était pourtant prévue en cas d’accord avec le FMI. Faute d’audit, cet accord est envoyé aux calendes grecques avec les conséquences sociales et économiques qu’elles auront. Nous avons déjà vu ce qu’une récession économique à un chiffre avait donné en 2019, ce qu’elle a donné en 2020. On peut aisément vous laisser imaginer la suite.

Parallèlement, il y aura dégradation des conditions sociales et économiques comme l’effondrement quasi-définitif du système tel qu’on le connait aujourd’hui.
Les banques elles-même sont des banques zombies, des établissements mort-vivants. Certaines études estiment que les dépôts, il n’y en a plus. Un haircut, les estimations aujourd’hui vont désormais de 70% à 83%, plus le temps passe, plus les difficultés augmentent. Des troubles socio-économiques sont certains faute surtout d’une aide internationale, à moins que plus de libanais, de guerre lasse, finissent encore plus à partir sous des cieux qu’ils considèrent être plus cléments. On assiste d’ailleurs à un phénomène d’exode actuellement, les gens étant prêts à même abandonner leurs dépôts qu’ils considèrent ainsi déjà perdus.

Pour les autres, la menace c’est désormais la faim et le fait de ne plus pouvoir se soigner, faute de fonds disponibles pour le faire.

Mais voila, dans le bras-de-fer qui se joue aujourd’hui, certains intérêts qui ont déjà perdu tentent aussi le tout pour le tout, la politique du pire, pensant que la communauté internationale finira par craquer avant elle et étant prêt même à laisser la population mourir de faim, comme l’annoncent déjà certains organismes internationaux qui en soulignent la menace.

Quel impact cela aura sur les réformes à mener?


Les négociations, aujourd’hui suspendues, ont rapidement achoppé sur la capacité des autorités libanaises à mener les réformes nécessaires pour le déblocage de l’aide internationale ainsi que sur le dossier du chiffrage des pertes du secteur financier.
Le Président de la République Française, Emmanuel Macron, lui même-ancien banquier, avait évoqué depuis Beyrouth, la question nécessaire de l’audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban, relevant que probablement des détournements et des abus ont eu lieu sinon cette situation ne se poserait pas. Il est hors de question pour la communauté internationale d’accorder au Liban des fonds qui seront détournés.

Le déblocage de l’aide internationale est en effet conditionné au résultat des négociations entreprises avec le FMI qui exige que soient mises en place des réformes nécessaires, sur le plan économique et monétaire notamment.

Désormais aussi, des réformes institutionnelles sont évoquées parce que le système actuel de gouvernance a failli. Il faut désormais changer le staff politique mais aussi permettre et faciliter ce changement.

Par ailleurs, la totalité des pertes du secteur financier pourrait même dépasser déjà la somme record de 100 millards de dollars, une somme extraordinaire pour un pays comme le Liban. Les fonds potentiels promis lors des négociations qui sont, pour le FMI sont de l’ordre de 10 milliards de dollars, pour ceux de CEDRE, de 11 milliards de dollars, ne pourraient pas suffire à la relance de l’économie libanaise.

L’impact sur l’économie libanaise sera dont un arrêt des réformes, un arrêt de l’aide économique qui visent à financer ces réformes et un effondrement total du Liban.

En effet, de nombreuses sources ou encore personnalités internationales impliquées dans le dossier multiplient les déclarations indiquant que la communauté internationale n’accordera « pas de chèque en blanc au Liban », suite au non-respect par Beyrouth de ses promesses et de son engagement à effectuer les réformes nécessaires à la relance économique déjà lors des conférences Paris I, II et III dans les années 2000.

On ne peut donc croire que ces réformes déjà promises au final il y a 20 ans, seront finalement appliquées parce qu’elles contreviennent aux intérêts de certains hommes qui ont détourné les administrations publiques en leurs faveurs avec la Caisse de Développement et de Reconstruction, la Caisse du Sud, la Caisse des déplacés, la Mafia des générateurs alors que le fioul est financé par la Banque du Liban par exemple ce qui aurait été mis au grand jour par l’audit des comptes de la Banque du Liban par qui arrivent tous ces fonds, une nouvelle fois non soumis au secret bancaire, puisqu’il s’agit de fonds publics mais détournés en faveur d’intérêts privés.

Pourquoi cet audit des comptes de la Banque du Liban était nécessaire?

Les autorités libanaises estimaient déjà mars ainsi que ses pertes atteindraient 241 000 milliards de livres libanaises sur la base d’un taux de change de 3600 LL/USD, soit 80 milliards de dollars environ, ce que refusent les banques locales via l’association des banques du Liban qui ont activé leurs relais au parlement même avec la commission parlementaire du budget et des finances ou encore la Banque du Liban elle-même qui refusait dès le départ non seulement l’idée des pertes financières la concernant mais aussi à ce que soit mené un audit juricomptable.
Depuis la situation s’est encore dégradée. On évoque désormais des chiffres allant jusqu’à dépasser le seuil des 100 milliards de dollars en raison d’une part de la dégradation supplémentaire du taux de change en défaveur de la livre libanaise et cette dégradation devrait se poursuivre vu que rien ne peut l’en empêcher et d’autre part, l’incapacité des banques à se restructurer d’elles-même et refusant même, par l’intermédiaire du Président de l’ABL toute restructuration, c’est-à-dire fusion, liquidation, voire faillite.

La crise du secteur bancaire, bien que maquillée par les opérations d’ingénieries financières menées par la Banque du Liban, avait débuté bien plus tôt, en dépit des profits colossaux annoncés par les banques libanaises jusqu’à l’année dernière. En réalité, la Banque du Liban a ainsi reversé près de 16 milliards de dollars entre 2016 et 2018, vidant ainsi une grande partie de ses réserves monétaires en faveur des établissements bancaires.

Pour effectuer le bon traitement, il faut tout simplement avoir le bon diagnostic comme en médecine pour soigner un patient. Faute d’un audit précis des pertes de la Banque du Liban et donc d’identifier les sources mêmes de pertes et d’autres anomalies, toute réforme sera vaine.

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