Liban-Suisse : l’Affaire du sarcophage phénicien

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De sources médiatiques, on apprend que la justice genevoise demande une levée de séquestre pour un sarcophage phénicien  de la fin du Ve siècle avant J.C. en provenance du Liban, séquestré aux Ports Francs de Genève. Sarcophage phénicien en Suisse ? Comment cette pièce d’exception de 550 kg et provenant du pays qu’on appelait jadis la Suisse du Moyen-Orient a-t-elle pu atterrir sur les terres de la Confédération helvétique ?

L’histoire commence en 2010, lorsque les deux frères Aboutaam, Ali et Hicham, deux marchands d’antiquités d’origine libanaise établis à Genève et New York,  propriétaires de trois sarcophages, deux phéniciens et un romain, tentent de vendre une de ces trois pièces rarissimes, au collectionneur et milliardaire Jean-Claude Gandur. S’étant mis d’accord sur un prix, Gandur, se méfiant de la provenance douteuse du sarcophage romain, demande une expertise au Musée d’art et d’histoire (MAH) dont il est le principal mécène. Résultat, les experts se déclarent sceptiques quant à la provenance de ces œuvres. Gandur refuse de conclure cet achat ; les douanes suisses sont alertées et mettent les trois sarcophages sous séquestre, ainsi que six autres objets mineurs.

Commence alors une série d’imbroglios : la Turquie clame une origine turque au sarcophage romain, mais les analyses de poussières et de marbre ne confirment pas la provenance turque. Selon Hicham Aboutaam, il n’est pas apte à fournir des preuves sur le cheminement de ce sarcophage, parce qu’il faisait partie de la collection de son père qui est mort en 1998 dans un crash d’avion. Cependant, il dit détenir l’itinéraire complet des deux sarcophages anthropomorphes phéniciens. Ce qui conduit à la levée du séquestre par la justice genevoise sur le premier sarcophage ainsi que des six objets, qui reste dubitative quant au deuxième sarcophage.

S’appuyant sur des informations véhiculées par Interpol Beyrouth qui a indiqué que ce sarcophage n’est pas réclamé par les autorités libanaises et qu’il n’est ni dans l’inventaire de la DGA ni répertorié comme volé dans le pays, le procureur suisse Claudio Mascotto en informe la présidence du Tribunal Pénal et réclame la levée du séquestre sans délai, alors que le dernier mot revient au Tribunal de Police au cours d’une séance prévue en octobre 2015. Les frères Aboutaam se réjouissent suite à cette décision et les médias annoncent allègrement le dénouement de l’affaire.

Cependant, les autorités libanaises sont sorties de leur silence et ont affirmé que les informations d’Interpol Beyrouth sont mauvaises. Elles ont fait savoir leur volonté de restituer le sarcophage au Liban, et ont mandaté l’avocat Marc-André Renold pour suivre l’affaire.

Il est utile de savoir que le registre des frères Aboutaam, propriétaires de la célèbre galerie Phoenix Ancient Art, est loin d’être dépourvu de démêlés juridiques. A titre d’exemple, l’export illégal de 280 objets culturels a valu à Ali Aboutaam une arrestation et une condamnation in absentia à quinze ans de prison, charges ultérieurement abandonnées fautes de preuves. Son frère Hisham, quant à lui, a subi des démêlées avec la justice américaine suite à l’import illicite aux Etats-Unis d’un précieux griffon d’argent de 2700  ans.

Récapitulons : un sarcophage phénicien rarissime est arrivé en Suisse devenant la propriété d’antiquaires d’origine libanaise. Un sarcophage de 2,20 mètres et de 550 kg, objet impossible de passer inaperçu, mais dont la traçabilité fait défaut, qui a dû certainement être l’objet d’un commerce illégal par contrebande. Un autre sarcophage phénicien également provenant du Liban, probablement similaire, mais sans autres commentaires, a été un peu plus tôt, gracié par la justice suisse. Et les faits sortent au grand jour au moment du jugement, évitant de la sorte les foudres de l’opinion avant tout jugement final.

L’intervention des autorités libanaises est pour une fois louable, mais on aurait tendances à s’interroger : Et Interpol Beyrouth dans tout ça ? Comment peut-il fournir des informations démenties par la  suite par les autorités libanaises qui réclament la propriété du sarcophage ? Qui est complice de qui dans cette affaire ? Ce qui donne du fil à retordre en ce qui concerne la crédibilité de l’organisation policière et attise les appréhensions sur le sort des multiples vols et trafics archéologiques au pays des cèdres, particulièrement le vol du musée de Byblos, pour ne citer que ce dernier…

Par Marie-Josée Rizkallah

Marie Josée Rizkallah
Marie-Josée Rizkallah est une artiste libanaise originaire de Deir-el-Qamar. Versée dans le domaine de l’écriture depuis l’enfance, elle est l’auteur de trois recueils de poèmes et possède des écrits dans plusieurs ouvrages collectifs ainsi que dans la presse nationale et internationale. Écrivain bénévole sur le média citoyen Libnanews depuis 2006, dont elle est également cofondatrice, profondément engagée dans la sauvegarde du patrimoine libanais et dans la promotion de l'identité et de l’héritage culturel du Liban, elle a fondé l'association I.C.H.T.A.R. (Identité.Culture.Histoire.Traditions.Arts.Racines) pour le Patrimoine Libanais dont elle est actuellement présidente. Elle défend également des causes nationales qui lui touchent au cœur, loin des équations politiques étriquées. Marie-Josée est également artiste peintre et iconographe de profession, et donne des cours et des conférences sur l'Histoire et la Théologie de l'Icône ainsi que l'Expression artistique. Pour plus de détails, visitez son site: mariejoseerizkallah.com son blog: mjliban.wordpress.com et la page FB d'ICHTAR : https://www.facebook.com/I.C.H.T.A.R.lb/

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