Ils ont tué Jonathan

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S’il y a une leçon à transmettre pour la jeune génération, c’est celle-là: “lorsque les zaïms sont d’accord, soit bêle ou tais-toi”. En effet, il n’y a de pire moment dans l’histoire de la bananière que ces instants où, après avoir épuisé le pays au-delà des limites de l’humainement concevable, ils se réunissent gentiment pour repartir à zéro. D’ailleurs, si les faits divers t’intéressent, entre deux morts par balles perdues et deux morts en dommages collatéraux de dispute entre voisins, tu as toujours un jour sur deux, un facebookeur accusé de lèse-majesté en train d’expliquer devant la justice pourquoi il a été méchant avec ton zaïm.

C’est donc dans ces instants d’euphorie sociale que même ton frère mouton se dresse contre toi. Rappelle-toi, quelques jours après la bienheureuse élection du nouveau président, la guerre contre le journaliste maudit qui a parlé de “la fête de la dépendance”. En écoutant les vociférations le 22 novembre au matin, tu te demandais si, pendant la nuit du 21, le gouvernement avait tracé les frontières entre toi et sa sœur, rendu à leur maman les touristes en Syrie, et, si, pendant ce temps, les libanais de toutes confessions avaient décidé de dire “non, merci” au financement partisan étranger.

Par la même occasion, et, comme pour m’expliquer qu’une nouvelle page de l’histoire est tournée, Jean-du-générateur-de-quartier, a remplacé mon disjoncteur noir par un disjoncteur orange, signe des temps qui changent.

Quelques jours plus tard, c’était la fête du gouvernement venu sauver le monde. Pourtant, de la bouche même des bras droits du Président, “ce gouvernement n’est pas le premier gouvernement du Président, le VRAI gouvernement viendra après les élections”. En d’autres termes, ce gouvernement ne compte pas. D’ailleurs, pour le changement ou la réforme, on est vraiment passé à côté: même pas eu besoin d’appeler le photographe officiel pour la photo de groupe, on a juste photoshopé quatre ou cinq têtes. Le ridicule ne tuant pas au Liban – on l’a déjà démontré – Jean Ogasapian représente les blondes. L’avenir de la femme est entre deux bonnes mains grosses et velues.

Pour le parlement, ce n’est pas mieux. A part pour l’élection présidentielle, n’importe quel politicien tiré au hasard dans un bocal contenant des boules noires et des boules blanches, te dira qu’il n’a rien de légitime. Et son seul souci aujourd’hui c’est de profiter un max avant d’être réélu par une « nouvelle » loi électorale et de renaître comme le Phénix de ses cendres.

Donc, l’atmosphère zaïmiste ayant viré au beau fixe, le gouvernement a vite fait de s’atteler aux choses sérieuses. Jetant au troupeau intelligent et perspicace, l’opium de la loi électorale (on y reviendra dans un prochain post), pour le distraire des questions d’ordre secondaire. Il a, par exemple, remplacé Abdel Men3em Youssef avec la facilité d’un email à la poste. Tellement facilement, qu’il est légitime de se poser la question de savoir comment ce type qui a tenu tête à plusieurs gouvernements et trente fois plus de ministres, a finalement rangé sa valise et disparu avec la pudeur d’une jeune pucelle. Qui sait ? Une banque en Suisse est peut-être heureuse aujourd’hui… Mais, ce ne sont que présomptions et mauvaises langues! Aussi, avec la même bizarrerie, et sans aucun respect aux normes de sélection, deux imberbes en costume bleu-Hariri, sortis d’on ne sait quel chapeau de prestidigitateur, ont remplacé le Youssef en question. Le changement s’arrête à ce niveau et ton Internet continue à ramer à la vitesse d’une Ferrari faisant le trajet Jounieh – Achrafieh à l’heure de pointe, sous prétexte qu’on a besoin du projet de fibre optique qui coûtera au contribuable (ya3ni toi), un milliard de dollars pour profiter de la même connexion rapide et gratuite que les indiens d’Inde ont dans leurs trains par réseau wifi et qui n’a pratiquement rien coûté à leur gouvernement.

Avec le dynamisme qu’on lui connaît lorsqu’il s’agit de l’intérêt général, le parlement a voté avec l’élégance d’une ballerine et à l’unanimité, la loi pour augmenter – entre autres – leurs indemnités de fin de service. Il y a fort à parier que les répercussions sur la décroissance économique se feront bientôt ressentir. D’ailleurs, l’idée d’une augmentation de 1% de la TVA commence à faire son chemin vers ta poche.

Pendant ce temps, tout va pour le mieux dans le meilleur des califats: après avoir interdit Fayrouz à l’université libanaise, on a trouvé bon de réveiller une loi datant de l’occupation ottomane pour interdire l’alcool au Sud-Liban. Ceux qui veulent oublier leurs soucis pourront toujours se doper au Captagon qui, lui, n’est pas interdit par ladite loi.

Oui, la joie des préliminaires commence à s’estomper et les seules personnes vraiment heureuses dans tout ce bazar, ce sont probablement les chasseurs du Costa Brava: pendant que tu dessinais un mouton et que l’aéroport de Beyrouth attend les machines qu’il aurait dû commander il y a un an, ils ont tué Jonathan, le goéland qui aimait ton pays.

Nasri Messarra
Nasri Messarra est maître de conférences et docteur en gestion, spécialisé dans la communication et les stratégies du marketing viral sur Internet et sur les réseaux sociaux en ligne. Il joue le rôle de consultant auprès de plusieurs entreprises, organisations et individus (personal branding) depuis 1994.

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