Depuis plus d’une semaine, je suis de nouveau en overdose de violence, de médiocrité et de défaitisme. Je fuis les nouvelles, les réseaux sociaux, les discussions avec n’importe quel individu faisant partie des quatre millions d’analystes débitant les leçons apprises la veille par le journal de 20h. Je n’en peux plus du suivisme, de l’hypocrisie et de la politique de l’autruche scrupuleusement observée par mes concitoyens. Et par moi aussi, dans bien des cas.

Mais je n’ai pas pu éviter d’apprendre le meurtre du jeune Roy Hamouche, par un voyou bien de chez nous. Et j’ai eu honte … honte de l’esprit de Roy qui est dans un monde indubitablement meilleur que le nôtre, et qui regarderait de sa loge céleste, notre lâcheté flagrante quant au crime commis contre sa destinée terrestre.

J’ai tellement honte, que si mon pays avait réellement une police connue pour sa probité et un système judiciaire intègre, je me serais moi-même livrée entre les mains de la justice, déclarant ma responsabilité indirecte de l’assassinat de Roy :

Moi, qui suis en train d’écrire ces quelques phrases, citoyenne libanaise lambda depuis plus de dix ans, déclarée coupable de non-dénonciation de crimes et de faux-témoignages par inaction et par complicité avec la Cosa Nostra politique et économique libanaise, depuis le jour où je suis née…

Toi, qui es en train de me lire, tu n’es pas meilleur que moi, ce texte est le miroir de ta culpabilité directe avec l’assassinat de Roy Hamouche, de Georges El Rif, et de tant d’autres … parce que les causes ne comptent plus, les vies ne comptent plus, la dignité non plusce qui compte c’est ton compte en banque, ton propre nombril, ton propre conte individuel gribouillé au singulier et qui refuse de s’écrire au pluriel pour espérer être enfin un jour, un « je » transfiguré en un « nous » représentant un peuple digne de ce nom …

Avouons notre responsabilité directe de tous les crimes d’honneur, des violences conjugales, de toutes les victimes des balles perdues lors des décès, des mariages ou des discours des mafieux. Avouons notre tort parce que Ali Bazzal, Ali Sayyed, Mohammad Hammié et Abbas Medlej que nous avons oubliés ont été exécuté par les terroristes sans qu’on ne réagisse ou qu’on demande des comptes à notre Etat.

Avouons notre couardise parce qu’on n’ose pas descendre à la rue pour demander où sont nos soldats kidnappés par Daech depuis bientôt trois ans, où sont nos 17000 frères et sœurs portés disparus dans les prisons syriennes ou ailleurs depuis la guerre civile, et qu’en est devenu le sort de ceux qui ont tué Bachir Gemayel, Mufti Hassan Khaled, René Moawad, Dany Chamoun, Imam Moussa el Sader, et tous les martyrs civils, militaires et politiques depuis 2005 jusqu’à nos jours, la liste est tellement longue… Avouons notre bassesse parce que les coupables des martyrs de Deniyé, de Nahr el Bared, de Tripoli, de Abra et de Ersal ont été amnistiés ou expatriés, pour échapper à la Justice. Sans oublier toutes les victimes des attentats de Beyrouth à Dahyé à Tripoli à Jounieh à Qaa à la Beqaa, et notre silence assourdissant vis-à-vis de ces drames.

Roy Hamouche, aujourd’hui je te demande de me pardonner, parce que je me suis tue sur tous ces crimes, et c’est pour cela qu’on en est arrivé là, à ce fâcheux jour où ta mère et ton père te pleurent de toutes les larmes de leurs corps et de leurs cœurs.

Je te demande de me pardonner, du haut de ton ciel, parce que je vais continuer à te tuer chaque jour par mon silence, mon omerta. Parce que je vais pleurer le temps de tes funérailles, je vais me révolter le temps d’un article, puis quelques jours sur les réseaux sociaux, peut-être prendre part à un sit-in ou une prière à ton intention, mais quelques mois plus tard, je vais t’oublier comme j’ai oublié tant d’autres, et ne même pas demander des comptes pour voir ce qui a été fait avec les coupables … qui seraient certainement amnistiés, comptant sur ma mémoire aussi courte que leur conscience qui t’a meurtri de sang-froid…

J’ai le courage de te demander pardon publiquement, et j’espère que plusieurs voix s’élèveraient pour formuler un pardon sincère, qui ne se traduirait pas seulement par des mots, mais par des actions qui aboutiraient à abolir l’impunité, la lâcheté et le manque de citoyenneté qui nous a mené à macérer dans la mare fétide de corruption et d’inertie qu’est devenu notre pays.

Marie Josée Rizkallah
Marie-Josée Rizkallah est une artiste libanaise originaire de Deir-el-Qamar. Versée dans le domaine de l’écriture depuis l’enfance, elle est l’auteur de trois recueils de poèmes et possède des écrits dans plusieurs ouvrages collectifs ainsi que dans la presse nationale et internationale. Écrivain bénévole sur le média citoyen Libnanews depuis 2006, dont elle est également cofondatrice, profondément engagée dans la sauvegarde du patrimoine libanais et dans la promotion de l'identité et de l’héritage culturel du Liban, elle a fondé l'association I.C.H.T.A.R. (Identité.Culture.Histoire.Traditions.Arts.Racines) pour le Patrimoine Libanais dont elle est actuellement présidente. Elle défend également des causes nationales qui lui touchent au cœur, loin des équations politiques étriquées. Marie-Josée est également artiste peintre et iconographe de profession, et donne des cours et des conférences sur l'Histoire et la Théologie de l'Icône ainsi que l'Expression artistique. Pour plus de détails, visitez son site: mariejoseerizkallah.com son blog: mjliban.wordpress.com et la page FB d'ICHTAR : https://www.facebook.com/I.C.H.T.A.R.lb/

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