Le péché originel et le plafond de verre

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Finalement il est presque acquis, que Emmanuel Macron sera élu au second tour, de la présidentielle de 2017 dans deux semaines, à moins d’un imprévu ou d’une force majeure.

Toutefois il est intéressant d’observer que le report se fera par défaut, d’une certaine manière en contradiction avec les prises de position adoptées, par les différents candidats durant la campagne du premier tour.

Quel que soit le jugement concernant le programme du front national et les sentiments de rejet qu’il peut légitimement susciter, force est de constater qu’il représente une certaine cohérence politique, abstraction des conséquences désastreuses qu’il pourrait avoir, s’il était intégralement appliqué. Il repose sur des thèmes constants et construits (identité française, souveraineté nationale, acquis sociaux…). De toute manière en démocratie (à moins que nous n’entrions dans la dictature ou la guerre civile) il devrait s’il participait d’une manière ou d’une autre au pouvoir, composer avec les autres institutions et observer le principe fondamental de la séparation des pouvoirs.

En d’autres temps, le report d’une grande partie des voix de l’un ou de l’autre candidat aurait dû s’effectuer, au profit de la candidate du front national. Que ce soit l’électorat de la droite identitaire(Fillon) ou de l’extrême gauche anti mondialiste et anti européenne(Mélenchon) sans oublier les petits candidats (Dupont Aignan, Asselineau…)  Mais le front national fait soudain l’unanimité contre lui et est perçu, alors qu’il s’est soumis à toutes les échéances démocratiques, comme un danger pour la république car il souffre d’un péché originel, il a été conçu au départ (en 1972) à l’extrême droite inspiré d’ordre nouveau, en opposition alors aux accords d’Evian de 1962 et donc au général de Gaulle.

Finalement la France préfère élire à la succession du Général, un jeune candidat à l’expérience politique incertaine, à l’allure juvénile, au discours séduisant et consensuel mais peu clair et peu défini, pour qui « la colonisation française de l’Algérie(1830-1962) est un crime contre l’humanité »et qui ne reconnaît pas « qu’il y a une culture française » plutôt qu’une candidate qui lui rappelle, les contradictions violentes de sa propre histoire.

Contrairement aux Etats Unis qui ont porté Trump au pouvoir de manière démocratique, avec un discours dix fois plus provocateur et discriminatoire, que celui de Marine le Pen et à la Grande Bretagne qui s’est octroyé le luxe de se retirer unilatéralement, de l’Union Européenne par référendum, la France demeure prisonnière de ses ruptures idéologiques récentes et ce qui est possible et licite pour les uns, est répréhensible et tabou pour les autres.

Les Etats Unis ont gagné la seconde guerre mondiale et l’Angleterre ne l’a pas perdue (elle n’a pas été occupée) mais la France a vécu successivement l’occupation et la division puis la décolonisation et encore la division. Certes le général de Gaulle était parvenu en son temps, à atténuer le désastre de ces deux violents traumatismes et même à les transcender à défaut de les nier, grâce à sa stature, son aura et à son habileté politique mais c’était véritablement un fondateur, un mythe et un magicien qui savait élever le débat, ce qui n’est pas garanti automatiquement de se reproduire, avec quelqu’un d’autre et qui n’efface pas la réalité des faits.

La France se trouve aujourd’hui à une croisée de chemins par rapport à sa propre histoire, lointaine et récente. Après la Révolution française (1789), la défaite de Waterloo (1815), la défaite de Sedan (1870), les deux guerres mondiales (1914-1918 et 1939-1945) la guerre d’Algérie (1954-1962), elle a vécu de fortes divisions idéologiques qui ont laissé des traces profondes. Chacun se prévaut bien sûr de l’héritage qui lui convient. Parfois même il peut le porter malgré lui (Le Pen, père et fille). Toutefois pour avoir un projet politique commun viable il faudrait avoir fait la paix avec soi et disposer d’une identité culturelle commune, réconciliée avec elle-même. Que ce soit au niveau d’une famille, d’une communauté culturelle locale, régionale, d’une communauté nationale, transnationale ou internationale….

Au-delà du destin d’Emmanuel Macron, de celui de Marine Le Pen, des jugements subjectifs et passionnels et de toute la classe politique française déboussolée, il s’agit au cœur de la mondialisation, que la France surmonte ses ruptures et renoue avec elle-même, avec ses valeurs profondes et sa propre histoire.

Bahjat Rizk
Avocat à la cour, écrivain libanais, professeur universitaire, attaché culturel à la délégation du Liban auprès de l’UNESCO (depuis 1990) a représenté le Liban à de multiples conférences de l’UNESCO (décennie mondiale du développement culturel-patrimoine mondial

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