Religion et Politique. Par Roger Akl

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Introduction : La guerre de religions est une stratégie.

Depuis un certain temps que j’écris sur la Syrie, je dérange beaucoup de mes camarades français, à tel point que l’un d’eux m’a blessé au plus profond de moi-même en m’écrivant : « Mais comment, toi qui es chrétien, comment peux-tu défendre ce ”dictateur” qui massacre son propre peuple ». J’ai donc arrêté de lui écrire et même effacé son adresse.

Pourtant, nous chrétiens, avons le devoir de réprimander nos frères s’ils sont dans leur tort (Lévitique : 19,17) et j’aurais dû accepter ses critiques (que j’aurais dû prendre pour fraternelles) et y répondre, si je trouvais qu’elles n’étaient pas basées, surtout que le Christ nous a commandé d’« aimer (même) nos ennemis et de prier pour ceux qui nous persécutent » (Matthieu, 5.43). L’étonnant, c’est qu’en Europe on attaque la religion chrétienne et surtout catholique en l’accusant d’être l’alliée du fascisme et du nazisme. Comment une religion qui ordonne d’aimer ses ennemis et de prier pour eux, peut-elle être alliée à une idéologie ”néo-païenne” (Bx Titus Brandsma, carme, martyr des nazis), qui a massacré des millions d’innocents ?

J’ai donc beaucoup réfléchi à toutes ces questions de religions, de politiques Moyen-Orientale et mondiale, d’excitations religieuses à buts stratégiques et politiques intéressés, d’Etats européens et américains, supposés chrétiens, et qui agissent en Etats athées, excitant les fanatismes et s’alliant avec les théocraties islamiques du Golfe pour renverser les dictatures arabes, dont plusieurs furent ou sont encore laïques, tandis qu’en Occident, ils excitent les populations contre l’islam, traité de religion fanatique ; pourtant ils encouragent eux-mêmes les finances du Wahhabisme pétrolier à envahir le monde occidental et arabe et à y répandre les thèses extrémistes de l’Islam, à commencer par le Wahhabisme, les Frères Musulmans, les Salafis et Al Qaeda.

De plus, attirés par l’argent du pétrole, en ces temps de vaches maigres (dernièrement, les journaux télévisés français se gargarisaient des achats immobiliers de l’Emir du Qatar, à l’Islam wahhabite, branche de l’Islam ultra-extrémiste, que seule l’Arabie saoudite partage avec lui), non seulement encouragent-ils, dans leurs pays, l’expansion de cet Islam extrémiste, mais encore s’attaquent-ils à leur propre religion chrétienne et à l’Eglise, surtout catholique, rendant leur civilisation occidentale, leur culture et leurs populations complètement stériles et ouvertes à tous les vents du changement.

1 – Des pays, des peuples et des civilisations ‘stérilisés’.

Bien sûr, les religions, surtout la catholique, les dérangent car elles appellent aux dialogues œcuménique et interreligieux. De plus, elles veulent protéger la vie de la conception à la mort. Cela veut dire que l’on ne peut pas éliminer ceux qui vous dérangent et coûtent de l’argent aux familles et surtout à l’Etat. Elles dérangent car elles protègent l’immigré, le pauvre et le faible, face à la convoitise des grands et des riches. Elles dérangent car elles vous rappellent votre conscience que vous avez muselée.

Dernièrement, je lisais que l’Italie perdait sa population originelle car les gens y sont devenus tellement égoïstes, hédonistes et sans idéal qu’on y a enregistré une moyenne de 1,3 enfant par femme. C’est le cas de toute l’Europe avec des petites différences. Il faudra donc y importer une main-d’œuvre étrangère (la plus proche et pratique est musulmane) ou accepter d’importer des produits étrangers qu’on ne peut plus payer. On avait cru trouver ‘le miracle’ dans les manipulations financières jusqu’à ce que tout implose.

L’Amérique n’est pas en bien meilleure position, bien qu’elle ait essayé de relancer son économie en faisant chuter le dollar.[1][1] Il fallait trouver autre chose. Heureusement, le ‘Printemps arabe’ arriva à brûle-pourpoint.

2 – Révoltes arabes, intégrismes et prix du pétrole.

Il faudra se rappeler que, depuis que Nixon a annulé la couverture or du dollar, la valeur de cette dernière monnaie est assurée par le pétrole que le monde entier doit payer en dollars et donc en avoir des réserves suffisantes. Bien sûr, les Etats-Unis n’ont qu’à faire marcher leur planche à billets pour s’approvisionner en énergie. C’est pour cela que, dès le début, ils s’étaient assuré que les pays du Golfe ne vendraient leur pétrole qu’en dollars. Ils avaient en plus promis de protéger leurs monarchies contre toute tentative de les renverser. Ils avaient même, dans les années cinquante, renversé la seule démocratie de la région en Iran pour y installer le Shah et monopoliser ainsi la vente du pétrole au monde entier. A ce moment-là, l’Islam extrémiste des théocraties pétrolières les dérangeait si peu, tandis que le fait qu’ils foulaient aux pieds les droits de l’homme était secondaire à leurs yeux et à ceux de leurs alliés européens.

Seulement, il y avait les problèmes de l’Union soviétique qui devenait de plus en plus puissante et d’Israël, dont la protection par l’Occident rendait impopulaires leurs alliés intégristes islamiques.

2a – La guerre du Liban et l’utilisation de la religion pour des buts stratégiques.

En 1948 et 1967, Israël, avec l’aide de l’Occident et surtout des chefs d’Etats arabes, sous protectorat ou influence restante des mandats anglais et français, avait chassé les Palestiniens de leurs maisons, leurs terres et leurs villages et les avait jetés dans les pays environnants, surtout dans le plus faible, car le plus pacifique et le plus démocratique, le Liban, où le pouvoir était partagé entre ses différentes communautés, mais surtout entre les chrétiens et les sunnites. Les réfugiés palestiniens y étaient nombreux, sunnites et révoltés contre le comportement de tous les états arabes qui ne les avaient jamais vraiment protégés, car dirigés par des pantins des puissances coloniales, qui avaient planifié l’exode des Palestiniens, en leur commanditant une tragi-comédie de guerre israélo-arabe qu’ils devaient perdre sur ordre. Les Palestiniens étaient surtout sunnites et leur présence déstabilisa le Liban en divisant les Libanais, entre partisans sunnites des Palestiniens et les chrétiens libanais, sous l’excuse de protéger l’indépendance du pays, étaient  encouragés par les Occidentaux à s’allier avec l’ennemi israélien pour ‘se défendre’.

Tout cela était bon pour créer une guerre de religions au Sud des frontières de l’Union soviétique athée. Non seulement cela avait l’avantage d’exciter les populations musulmanes de l’Union Sovietiaue, mais Israël, allié du Shah d’Iran, profitant du chaos général, s’attaquait aux Palestiniens, dans le Sud et bombardait en même temps les villages chiites de la région.

Le Shah fut renversé et remplacé par la République Islamique d’Iran.

Ainsi, les Américains firent d’une pierre deux coups :

La guerre libanaise avait réussi à créer des guerres religieuses dans tout le Moyen-Orient, juste au Sud des républiques musulmanes de l’Union Soviétique et, en plus, un ennemi islamique chiite iranien, pour exciter les peurs et la haine des populations sunnites du monde arabe et remplacer Israël comme ennemi principal et mortel. Ils n’avaient plus qu’à en profiter.

Ce fut ainsi qu’Al Qaeda fut créé avec l’aide de l’Arabie saoudite et du Pakistan ; ce fut ainsi que la guerre entre l’Iran et l’Iraq, sous la dictature de Saddam Hussein, homme de main de la CIA, fut déclenchée et excita encore plus les peurs et les haines entre les deux rives du Golfe. Ce fut ainsi aussi que le dictateur Iraquien fut encouragé par l’ambassadrice américaine elle-même à envahir le Kuwait. Ce fut ainsi qu’Al Qaeda, après avoir aidé à défaire l’Union soviétique, aurait attaqué son allié américain, qui se ‘vengea’ en s’installant en Afghanistan et, surtout, en occupant l’Iraq dans le but de le diviser en petits états communautaires rivaux ; ce qui devait permettre aux Américains de contrôler la ligne de fractures eurasiatique allant de la Chine à la Méditerranée, en passant surtout par le Golfe pétrolier. Ce jour-là, il n’était question ni de droits de l’homme, ni de protection des innocents, ce jour-là, il y eut des centaines de milliers, voire plus d’un million de morts et de sans-abris innocents dus aux guerres américaines.

Mais pourquoi l’Amérique aurait-elle renversé en Iraq un dictateur, ancien homme de main de la CIA, qui a attaqué l’Iran, supposé ennemi des Américains ? Simplement, parce que Saddam Hussein a désobéi en voulant vendre son pétrole en une autre monnaie que le dollar.

Ce fut aussi, pour l’Iran, comme disent les militaires, même punition, même motif. Il veut vendre ou vend déjà son pétrole en d’autres monnaies que le dollar et empêche ainsi le dollar d’être la monnaie de réserve du monde entier. Mais ce n’est pas la seule raison, il fallait créer pour les populations sunnites arabes une peur qui les jetterait dans les bras de leurs monarques alliés aux Etats-Unis et, bien sûr, dans ceux d’Israël, suivant le dicton « l’ami de mes amis est mon ami » qui n’a pas du tout perdu de sa sagesse. On peut aussi parler du dicton « l’ennemi de mes ennemis est mon ami ».

C’est pour cela que tout ce battage médiatique et gouvernemental des pays d’Occident, sur la bombe iranienne et sur la « défense des droits de l’homme », dans les pays du Printemps arabe, n’est que purs rideaux de fumée cachant des intérêts beaucoup plus matériels.

3 – La Syrie, le Liban, leurs champs de gaz et la lutte pour l’énergie.

Depuis un certain temps, les combats font rage en Syrie et, depuis un certain temps, personne ne croyait plus au combat de l’Occident pour les droits de l’homme en Syrie, au Liban, en Palestine ou dans le monde.

Car, comment peut-on combattre pour les droits de l’homme quand on manipule les autres peuples, anciennement colonisés en les faisant gouverner par des dictateurs et des criminels à vos ordres qui ont, depuis 1948, planifié avec vous la défaite contre Israël en 1948 et l’exode subséquent des Palestiniens, quand on s’allie pour l’argent et le pouvoir avec les pires dictatures théocratiques et fanatiques du Golfe, qui ont financé Al Qaeda, les Frères Musulmans, les Salafis et autres mouvements intégristes et terroristes, quand on traite la Turquie plusieurs fois génocidaire de démocratie, alors qu’elle a nettoyé et nettoie ethniquement ses minorités et qu’on veut lui faire reprendre pied et assurer les droits de l’homme dans les territoires où elle a perpétré ses crimes ?

Alors, les stratèges du monde ont commencé à se demander ce qui pousse l’Occident à se battre et lancer les théocraties contre la Syrie ; ils ont pensé à l’affaiblissement de l’Iran et du Hezbollah libanais, ils ont pensé à un oléoduc et un gazoduc pour le pétrole du Golfe, permettant ainsi de shunter le Détroit d’Hormuz et qui rendrait l’Europe moins tributaire de la Russie pour ses approvisionnements énergétiques.

Tout cela est vrai. Mais le plus important est que le Liban et la Syrie détiennent des réserves gazières énormes, non seulement, dans leurs eaux territoriales, mais que le Sud-Liban regorge de pétrole que l’Occident et Israël convoitent en secret depuis des décennies et dont ils interdisent l’exploitation. Or, il se fait que la Russie et la Chine se trouvent aujourd’hui du bord de ceux qui veulent aider ces deux pays à exploiter leurs richesses et que cela ne fait pas l’affaire de l’Occident, de la Turquie et des théocraties du Golfe.

Kofi Annan et les 300 observateurs de l’ONU arriveront-ils à calmer le jeu ou bien les armes, les combattants et les terroristes continueront-ils à déferler sur ces deux pays, subissant la malédiction de l’Or Noir ?

Roger Akl


 


[1][1] Alain Chouet, dans  “Au Cœur des Services Spéciaux”, La Découverte, Paris, 2011, compare l’extrémisme des wahhabites, de la Qaeda, des Frères Musulmans et des Salafis à celui des Evangélistes américains. J’ajouterai qu’ils se comparent aussi aux extrémistes israéliens du parti Shass et autres extrémistes, alliés à ceux qui gouvernent aujourd’hui Israël, tous ne reculant pas devant l’utilisation de la violence pour arriver à leurs buts.

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