Un cortège de manifestants se dirigeant vers la place des canons, le 14 Mars 2005. Crédit Photo: François el Bacha, tous droits réservés.
Un cortège de manifestants se dirigeant vers la place des canons, le 14 Mars 2005. Crédit Photo: François el Bacha, tous droits réservés.

C’est par une litanie bien longue, que chaque ressortissant libanais pourrait débuter sa journée. Mafi Kahraba, il n’y a pas d’électricité, Mafi May, il n’y a pas d’eau, bass fi Zbeleh Aala Tarik, les poubelles prennent désormais demeures dans nos rues avec les rats et les cafards, au détriment de notre santé.  L’Etat est dans un état déplorable.

L’image d’un pouvoir politique perché dans sa tour d’ivoire, protégé de la société civile manifestant place Riad el Solh, et de ses demandes légitimes à des services qu’on considérait déjà comme basiques par le passé, eau, électricité et aujourd’hui encore plus fondamentaux puisqu’il s’agit de notre santé même, cette image est exécrable et augure d’un fossé qui s’agrandit entre gouvernants et gouvernés. Aucun autre pays, dans un tel cas de figure, n’aurait pas connu d’importants troubles publics. Malheureusement, le Liban n’est pas une nation, mais 19 nations ou une révolution sociale s’avère être pratiquement impossible.

Hakika, Horryieh, Isteqlal, scandait le peuple chaque jour, il y a 10 ans.

On peine à croire que 10 ans après les manifestations de 2005, on n’en soit arrivé à ce point, à une délégitimisation des institutions publiques, qui par définition doivent servir le peuple mais qui en réalité luttent contre elles.

Hakika, la vérité bien nue fait mal, un pays en défaut comme il  ne l’a jamais été, divisé en communautés, entre dirigeants qui n’oeuvrent même plus pour le bien public mais pour le bien de leurs portefeuilles respectifs.
Horryeh, un pays tellement libre aujourd’hui qu’on a le droit de tuer au détour d’une impasse, au détour d’une rue, son épouse, un membre de la famille, si ce n’est pas un inconnu pour un refus de priorité. On a poussé la liberté aussi loin que dans le FarWest.
Isteqlal, la nucléarisation de la société, ou chacun devient un pays propre à soit, on se détache de l’autorité publique pour instituer des émirats propres, émirat islamique d’un coté à Arsal ou encore à Roumieh encore il y a peu de temps, petits kapos municipaux en charge de contrôler les services privés qui remplacent les services publics, électricité, eau et aujourd’hui même ramassage des ordures, décidément ils mangent à tous les râteliers, sous couvert d’une pseudo-privatisation en raison de la faillite d’un système étatique.  Ils nous encadrent aujourd’hui plus ou moins subtilement dans un pays devenu prison à ciel puant et ou seule la véritable liberté est celle de l’exil.

Aux rares voix courageuses qui s’opposent à ces états de faits, qui croient encore à un sursaut national, à l’orgueil de la société civile, on oppose donc la force – peut-on encore parler de forces de l’ordre puis agissant sur ordre en fin de compte d’un pouvoir politique ayant perdu une grande partie de sa légitimité, via le non renouvellement de ses mandats, parlement d’abord, présidence de la république ensuite, un gouvernement paralysé ou n’évoquons pas les pouvoirs locaux dont les fils des chefs des municipalités tuent des responsables même des institutions sensées nous protéger comme nos forces armées – des pouvoirs arrivés les uns après les autres à expiration – et qui se protègent à coup de matraques et de canons à eau.

Le peuple aspire à de meilleures conditions de vie. Il aspire à la dignité dans sa vie quotidienne. Il ne peut que constater la dégradation de ses conditions socio-économiques dont la crise actuelle des ordures est un énième épisode qu’on subi. Il n’aspire pas à être tabasser, à recevoir des coups. Au lieu de cela, les autorités libanaises successives palabrent dans des conflits politiques sans fin, au lieu d’aborder la réalité d’une amélioration de la vie quotidienne du libanais.

Manifester face à l’inacceptable est un droit légitime afin de leurs rappeler leurs devoirs. Les états de fait dans lequel le Liban se trouve aujourd’hui sont à juste titre inacceptables. Il est du devoir de chacun d’entre nous de manifester face à l’inacceptable, tout comme il est du devoir des Forces de l’Ordre de protéger le peuple et non ceux qui sont en infraction à la volonté populaire.

Certes la violence est détestable et certains manifestants ont commis des erreurs mais on ne corrige pas une erreur en commettant une autre erreur: Il aurait été préférable pour les personnes sensées être au pouvoir d’accepter de recevoir une délégation des manifestants au lieu des les mettre en prison voir même d’avoir le courage d’aller à la rencontre des manifestants.  Ils n’en ont même pas eu l’idée. Seule la force a son mot à dire quand il s’agit de se partager des contrats bien juteux, dans l’idée de partitioner les bénéfices comme ils ont déjà partionné le Liban en 19 communautés distinctes avec leurs zaims. Mais le bon-sens leur manque autant que l’idée même du concept de la démocratie stipulant la participation du peuple.

Si un système est trop rigide, il ne permet pas l’expression populaire, conséquemment une révolution s’imposera par l’échec du système politique. Le courage serait donc de mettre à plat un système en faillite où la décision politique est morcelée et donc impossible. Le courage aux hommes politiques serait de se retrouver en face de la société civile, d’écouter les doléances publiques, de trouver des solutions via un programme politique, d’être élus, de devenir représentant du peuple et d’appliquer ces solutions. Et nous, le peuple, de choisir non pas en fonction de servitudes quasi féodales, nous ne sommes plus au Moyen-Âge ou de rétributions financières directes ou indirecte, mais en fonction d’un choix en toute âme et conscience.

L’intelligence et la survie politique passe par le peuple et non contre le peuple. Et à nos représentants, votre survie politique passe par servir le peuple et non pas par se servir du peuple à ses bénéfices.

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