Le spectacle de Carlos Ghosn, se trémoussant de conférences en interview aux petits oignons, pourrait passer pour comique. Cela devient indécent dans un pays qui s’enfonce dans une crise sans fin.

Le « sauveur » de Renault et Nissan est un cost killer, rémunéré grassement par des actionnaires pour transformer une automobile en or. Chez Renault France, depuis 2005, il aura supprimé 22 000 emplois et fait gagner aux actionnaires 33,7 milliards d’euros. Ce score est à majorer avec les résultats de Nissan et Mitsubishi.

Les frais d’évasion, sa caution au Japon, son « arrangement » avec la justice américaine, les émoluments de ses avocats et communicants ne sont que bagatelles en comparaison. Carlos attaque même aux Prud’hommes pour ses indemnités et sa retraite. Un tribunal du commerce se chargera des autres litiges. Viendra-t-il personnellement plaider sa cause, carte de syndicaliste en poche ? Le ministre du travail par intérim, Camil Abu Sleiman, pourrait-il lui proposer aide et conseil après les hommages du président Michel Aoun ?

Une part écrasante de la presse nationale et internationale sert de caisse de résonance au héros, recherché par Interpol. On admire en catimini son « Pearl Harbor » à rebours. Carlos n’évoque-t-il pas le soutien d’un « insoumis » célèbre ? Un certain Jean-Luc Mélanchon en mal d’une nouvelle image tutélaire pour remplacer son « regretté » industriel de l’armement, Serge Dassault ?

Un tweet de Walid Jumblatt proposait, sur un ton badin, l’attribution du ministère de l’Énergie à Carlos Ghosn. Le « cost killer » aurait quelques qualités pour gérer les coupures de courant quotidiennes au Liban. Walid dirige une société importatrice de carburant et principalement du diesel. « Business as usual », lui aurait soufflé feu son chien Oscar.

Les frasques de Carlos sont heureusement interrompues par les réalités du terrain. L’admiration de nos « élites » politiques, toutes nuances confondues, était proportionnellement inverse à l’attention accordée au hirak. Émeutes et manifestation sont venues les sortir de leur torpeur admirative.

Au 90e jour du mouvement, fureur et désespoir prennent comme cible les agences bancaires. Elles sont occupées, prises d’assaut à coup de bélier ou assiégées. Les heurts avec les autorités sont inévitables. Le nombre de blessés et d’arrestations augmente. Retirer suffisamment d’argent pour ses besoins est une bataille quotidienne. La pâleur de certains manifestants est-elle déjà l’indicateur d’une diminution des rations alimentaires ?

Le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé voudrait « réglementer » les restrictions bancaires. Il « écarte » le spectre d’un effondrement de l’économie libanaise. La banque BEMO relance des prêts auprès de ses clients en réponse à la situation. 

Le président Michel Aoun estime que le Liban vit sa « pire crise économique financière et sociale ». La formation du gouvernement en cours devrait résoudre les problèmes pour qui veut bien le croire.

Futilité et désarroi tentent de répondre au chaos ambiant.

Jan Kubis, représentant de l’ONU, tance les élites politiques, « responsables du chaos ». De plus en plus d’écoles ferment leurs portes face au désordre.

Les barricades et barrages improvisés se multiplient. Ils sont évacués après de courtes échauffourées avec les forces de l’ordre. Le jeu du chat et de la souris.

Les affrontements vont crescendo au rythme de la dévaluation de la livre libanaise. Elle est passée de 1500 à 2500 livres pour un dollar en quelques semaines.

On harcèle les politiciens chez eux et maintenant dans leurs restaurants préférés. La situation sent l’exaspération et la hargne. Les manifestants demandent un gouvernement indépendant sous 48 h pour commencer à résoudre la crise. Un point de convergence avec les « élites » politiques ? Un quotidien parlait d’une accélération dans la formation du gouvernement après l’assassinat de Qassem Sulaymani. Ne serait-ce pas le Hirak ?

Les licenciements se répètent. Des centres commerciaux ferment et se débarrassent de leurs salariés. Pas de grèves ou d’occupations. Verra-t-on une situation semblable à celle de juin 1967 ? Le patronat libanais, dans la foulée de la défaite militaire de la Syrie et de l’Égypte, menaçait de licencier 50 % des salariés. À l’époque une menace, aujourd’hui une réalité palpable.

Devant ce chaos, les revendications et les actions des manifestants tendent plutôt vers le « dégagisme » du personnel politique et des responsables et leurs remplacements par des personnages moins marqués par le système. Il n’y a pas de programme économique revendicatif et alternatif à un niveau aussi élémentaire qu’une nationalisation des banques par exemple. Cela se fera-t-il sous la pression des événements ?

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