Dans un contexte économique libanais marqué par une crise sans précédent, le Conseil d’État libanais a pris une décision le 6 février 2024, révoquant une partie de la stratégie de redressement économique du gouvernement. Cette décision a soulevé une vague de critiques, pointant notamment un favoritisme envers les intérêts des banques au détriment de l’intérêt public. Nadi Abi Rached et Frédéric Rolin, universitaires à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, mettent en lumière dans un article de la Revue du droit public de mars 2024 les implications juridiques de cette décision et le contexte qui l’a entourée .

La crise libanaise, aggravée par des politiques fiscales inefficaces et une corruption systémique, a vu l’État incapable de maintenir un équilibre des finances publiques et s’endetter auprès de la banque centrale. L’effondrement du système bancaire en 2019 a exacerbé la situation, provoquant une chute drastique de la livre libanaise et un appauvrissement significatif de la population. Les banques, ayant investi massivement dans les produits de la banque centrale, ont vu leurs créances s’élever à 50 milliards de dollars, un chiffre exorbitant par rapport au PIB du pays .

La décision controversée du Conseil d’État de 2024 a été interprétée comme protégeant les banques qui devaient assumer une perte de 50 milliards de dollars en raison de l’annulation des créances sur la banque centrale. En théorie, cette décision reconnaît la recevabilité de la requête sur la base de la jurisprudence GISTI de 2020 concernant les documents de portée générale de l’État, mais en pratique, elle semble favoriser les banques aux dépens des obligations publiques et éthiques envers les citoyens affectés par la crise .

Le CEL s’est appuyé sur plusieurs motifs pour justifier son arrêt. Tout d’abord, il a considéré que la stratégie du gouvernement constituait une violation inconstitutionnelle de la propriété, car elle prévoyait l’annulation des créances sans juste et préalable indemnité. De plus, il a estimé que l’État devait seul supporter le fardeau des dettes, basant sa décision sur des sources juridiques tant nationales qu’internationales qui garantissent le droit de propriété, y compris la Déclaration des droits de l’Homme et la Convention européenne des droits de l’Homme .

Les auteurs soulignent la faiblesse de l’argumentation du Conseil qui a invoqué la protection de la loi sans tenir compte de l’impact de ses décisions sur la crise économique et financière elle-même. Ils suggèrent que la décision était basée sur des sources douteuses, y compris les déclarations du gouverneur de la Banque du Liban, un acteur central de la crise financière. La décision du Conseil est donc perçue comme une tentative d’exonérer les banques de toute responsabilité dans la crise, un point qui heurte profondément le principe d’équité .

Enfin, les auteurs critiquent le Conseil d’État pour avoir mis en péril l’égalité devant les charges publiques. En voulant éviter que les banques ne portent une partie des charges de redressement financier, le Conseil a, selon eux, mal appliqué le principe juridique et échoué à prendre en compte la proportionnalité nécessaire pour assurer le succès de toute restructuration financière. La Cour européenne des droits de l’Homme a déjà reconnu, dans des cas similaires, la légitimité des mesures prises par les États pour gérer les crises financières, tant que la proportionnalité et la justice sont respectées .

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