La désacralisation du politique

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Après les confidences de  l’ex compagne du président Hollande,  Valérie Trierweiler (Merci pour ce moment) voici que nous avons celles de l’ex conseiller et gourou  du président Sarkozy, Patrick Buisson (La cause du peuple).Certes nous avons droit à des révélations croustillantes (secrets d’alcôve et secrets de bureau) et dans le cas de Buisson, à des analyses politiques très pertinentes, dans un style inspiré et recherché . La question qui demeure est celle de faire crédit, à des personnes qui ont côtoyé des personnalités dans leur intimité et qui tentent par vengeance, de les démythifier.

Les personnes publiques jouent un rôle à l’extérieur mais restent humaines dans leur quotidien (il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre).C’est comme des acteurs qui réalisent des performances mais qui une fois en coulisses, se lâchent pour récupérer, notamment devant leurs proches. La contrainte rationnelle  de la fonction a besoin d’être compensée, par la liberté retrouvée des émotions. Après tout, un président de la République est également un être humain comme les autres, avec des pulsions d’autant plus décuplées, qu’il est soumis à une pression continue.

En se démocratisant, la fonction présidentielle a été désacralisée, d’un côté par la multiplication des médias (notamment sociaux)  et d’autre part, par la tendance risquée et  hasardeuse moderne, qui veut que le chef doit apparaître comme un homme ordinaire, auquel la majorité peut s’identifier. Toutefois, en le privant de sa part de mystère et de l’autorité qui s’attache à sa fonction, le chef devient incapable de jouer, son rôle symbolique, de transcender sa mission en l’incarnant et de porter la collectivité. Seule la reine d’Angleterre demeure aujourd’hui retranchée voire figée, dans sa fonction .Ceci étant dû tant à la spécificité culturelle britannique qu’à sa nature propre.

Les révélations des intimes des gouvernants ressemblent  souvent, à des exercices d’exhibitionnisme auxquels facilement, nous succombons. Nous sommes partagés par le fait, que nos gouvernants doivent nous dépasser mais en même temps nous ressembler. Toutefois en cassant leur image à nos yeux et en les banalisant, les dénonciateurs nous privent de nos repères. Qu’attendre de quelqu’un qui est censé nous aider à nous construire alors que nous connaissons tous ses travers et que nous le suspectons des turpitudes les plus communes. Le pouvoir reste de l’ordre du désir, du rêve, de l’espoir ou de l’effroi. Celui qui le porte devrait nous inspirer un minimum de ferveur, de confiance, d’admiration ou de fascination. S’il est tout nu, dépouillé de ses attributs, il lui est impossible d’avoir une emprise sur nous et surtout, une prise sur les évènements extérieurs. Comment s’en remettre à des parents défaillants ?

Certes le  détenteur du pouvoir ne devrait pas, nous écraser et disposer de nos vies ou de notre devenir mais s’il est trop faible, voire méprisable, comment lui confier le destin de la collectivité ? Comment peut-il être à la fois élu et en même temps jugé ?

Même si nous savons parfaitement que nos dirigeants ne sont pas des surhommes, nous devons les maintenir, hissés au-dessus de nous pour qu’ils demeurent opérationnels car leurs failles, tout en les dénigrant nous rendent également vulnérables. (La femme de César doit rester au dessus de tout soupçon).

En se déchaînant sur son ancien amant, la journaliste-people  Trierweiler démonte un mécanisme et décrédibilise un homme au pouvoir. En se livrant au même exercice, le journaliste-polémiste Buisson s’attaque à un homme, qui tente de revenir au pouvoir, en révélant ses carences narcissiques. Or ce que Freud appelle la névrose, Bergson l’appelle l’élan vital .Nos manques sublimés se transforment en motivations. Un être satisfait ne cherche pas, à changer le monde ou à l’accaparer. Seul celui auquel le contentement manque, se lance dans l’action. Les saints, les héros, les monstres et les criminels portent tous en eux, une sorte de culpabilité et de béance, que les premiers rachètent et qui engloutit les seconds.

Les excès des hommes et leurs passions naissent de leurs blessures intérieures. En se livrant à des règlements de comptes et en essayant de se dédouaner, les dénonciateurs déçus, sacrifient les personnes qu’ils ont idéalisées et sur lesquelles ils ont cru exercer, un certain temps, un certain  pouvoir.

Bien sûr ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort .Et face aux épreuves, un dirigeant doit savoir réagir, affronter, se relever et peut être, inverser l’attaque. L’issue d’un combat  n’est jamais dans un premier temps acquise. Mais il y a une violence de plus, qui fait malheureusement confondre aujourd’hui, les luttes idéologiques et les conflits personnels.

Bahjat Rizk
Avocat à la cour, écrivain libanais, professeur universitaire, attaché culturel à la délégation du Liban auprès de l’UNESCO (depuis 1990) a représenté le Liban à de multiples conférences de l’UNESCO (décennie mondiale du développement culturel-patrimoine mondial

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