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Damien Simonneau, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)

« Destruction du Hamas », « réoccupation militaire », « ruines », « massacres et expulsions de civils »… Dans l’affrontement actuel entre l’armée israélienne et le Hamas, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire les avenirs possibles de la bande de Gaza.

Au-delà des objectifs militaires à court terme, la question est bel et bien politique. Alors que les responsables israéliens avancent des propositions différentes et parfois mutuellement exclusives sur le sort futur de l’enclave, les leçons des 56 dernières années (c’est en 1967, à l’issue de la guerre des Six Jours, qu’Israël a pris le contrôle de la bande de Gaza, auparavant occupée par l’Égypte) seront-elles tirées, de sorte qu’une véritable solution viable à long terme s’impose ?

Au vu des propos tenus actuellement à Tel-Aviv, et de l’incapacité de la communauté internationale à peser réellement sur ce dossier, cela semble peu probable. Répondre à la question du devenir de Gaza implique de regarder en face l’échec de la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens, qui a largement consisté à les séparer d’Israël et à les contraindre à vivre dans des enclaves, et d’envisager les différents scénarios de sortie de guerre.

Les options militaires immédiates

Suite à l’attaque terroriste et aux prises d’otages du Hamas du 7 octobre, l’armée israélienne a repris le contrôle des localités attaquées. Elle a organisé la mobilisation de 300 000 réservistes et rassemblé des chars au nord de Gaza, tout en lançant une campagne de bombardements intensive.

Les intentions israéliennes restent, pour le moment, générales : « éliminer » le Hamas selon le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant, ou encore transformer ses zones d’opération « en ruines » pour reprendre les termes de Benyamin Nétanyahou.

Israël prépare également une incursion terrestre dans des zones urbaines très denses où le Hamas bénéficie d’un réseau structuré de tunnels contenant des caches d’armes, dont l’entrée peut se situer dans des habitations, des bâtiments agricoles ou des mosquées. https://www.youtube.com/embed/GI9bxr3tm3o?wmode=transparent&start=0

Les Israéliens bénéficient d’une expérience de combat en contexte urbain après leurs actions à Naplouse en 2002 ou encore au Liban en 2006. Ils ont appris à se déplacer à travers les murs, grâce notamment à des technologies de détection et au recours à des balles pénétrantes. Ils connaissent les limites et les dangers de ces opérations terrestres, longues et à grande échelle, par rapport à des interventions limitées à l’intérieur des enclaves palestiniennes comme celles qu’ils ont conduites récemment à Jénine et à Naplouse.

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En guise de représailles, l’armée israélienne a aussi mis fin à l’approvisionnement en eau (avant de le rétablir dans le sud), en fuel et en électricité dont dépend en grande partie la bande de Gaza. Ces mesures ne sont pas neuves. Elles s’inscrivent dans le blocus maritime et terrestre de la bande de Gaza à l’œuvre depuis 2007. Les importations de certains produits dans la bande sont limitées, ce qui affecte l’économie agricole et celle du bâtiment (souligner cela n’exonère en rien de critiquer la gestion économique du territoire par le Hamas), tout en ayant de graves répercussions sur les civils (comme l’a rappelé la résolution 1860 du Conseil de sécurité, respectée ni par Israël ni par le Hamas).

Les Égyptiens participent également de ce blocus : méfiants à l’égard du Hamas, ils ont tenté à de nombreuses reprises de détruire les tunnels creusés sous la frontière entre leur territoire et la bande de Gaza.

Tout se passe comme si cette enclave était une entité complètement déconnectée d’Israël et de la Cisjordanie. Pourtant, si les colons et militaires israéliens ont effectivement été évacués de Gaza en 2005 sur décision d’Ariel Sharon, Gaza n’en demeure pas moins, depuis lors, un territoire contrôlé par Israël de l’extérieur, notamment par des points de passage et une « barrière ». Le Hamas en a pris violemment le contrôle au détriment du Fatah en 2007. Les Israéliens ont aussi joué la carte de la division palestinienne, ce qui est aujourd’hui reproché à Benyamin Nétanyahou, de nombreux observateurs estimant que sa stratégie a renforcé l’implantation du Hamas à Gaza.

Les considérations tactiques et humanitaires, urgentes, masquent en tout état de cause la question du statut politique de la bande de Gaza et de la stratégie politico-militaire israélienne, appuyée par ses alliés internationaux.

Quelle stratégie israélienne à long terme ?

L’administration américaine, traditionnellement très peu critique envers les décisions prises par les autorités israéliennes, se montre aujourd’hui inquiète. Elle a demandé à Israël de préciser sa stratégie pour Gaza. Il est vrai que les positions avancées par les dirigeants de Tel-Aviv sont diverses. « Nous n’avons aucun intérêt à occuper Gaza ou à rester à Gaza », a déclaré l’ambassadeur israélien auprès des Nations unies, Gilad Erdan, le 12 octobre. Benny Gantz et Gadi Eisenkot, deux leaders de l’opposition, ont rejoint le gouvernement d’unité nationale à la condition qu’un plan opérationnel de sortie de Gaza après une incursion soit formulé.

En politique israélienne, voilà longtemps que l’on entend des voix qui appellent au nettoyage ethnique. Ces derniers jours, des députés du Likoud souhaitaient publiquement une « Nakba 2 » en référence à l’exil forcé de 600 à 800 000 Palestiniens en 1948. Le ministre des Affaires étrangères Eli Cohen a annoncé une « diminution du territoire de Gaza » après la guerre.

De manière générale, le gouvernement de droite et d’extrême droite de Benyamin Nétanyahou revendique sans s’en cacher une poursuite accrue de la colonisation, voire tout simplement l’annexion de pans des territoires palestiniens. En mars, la ministre des Implantations et des Missions nationales Orit Strock appelait à une recolonisation de Gaza.

Est-il possible de détruire le Hamas sans pour autant expulser de la bande de Gaza de très nombreux civils palestiniens et, au-delà, sans avoir au préalable élaboré une stratégie politique pour l’avenir de ce territoire ? C’est difficile à croire tant l’histoire de l’occupation nous a prouvé le contraire.

Les enseignements de l’histoire

Depuis 1967, les formes de l’occupation israélienne de Gaza et de la Cisjordanie ont évolué, tant dans les processus bureaucratiques qui régissent la vie des Palestiniens (permis de déplacement, construction d’habitations, regroupement familial, travail en Israël) que dans les outils de contrôle (checkpoints, surveillance, renseignement, mur, emprisonnement). Les formes de l’opposition palestinienne ont également évolué (des plus pacifiques, comme le recours au droit international, aux plus violentes comme celles prônées par le Hamas et d’autres groupes djihadistes).

Dans un premier temps, jusqu’aux années 1990, les Israéliens ont administré la vie des Palestiniens, intégrant leur force de travail à leur économie tout en exploitant et colonisant la terre. Leur souci a toujours été de dissocier la gestion de la vie des habitants palestiniens (qu’ils ne voulaient pas incorporer en trop grand nombre à un État majoritairement juif) du contrôle de la terre de Cisjordanie ou de Gaza.

Les années 1990 ont été ensuite marquées par la séparation tant politique que spatiale d’avec les Palestiniens, et ce d’autant plus que s’étiolait le processus de paix et s’aggravaient les attentats contre les Israéliens. Le politiste Neve Gordon analyse l’occupation dans cette phase comme une délégation de la gestion des Palestiniens à l’Autorité palestinienne, ainsi qu’aux ONG et aux organisations internationales, tout en poursuivant la colonisation et en accentuant le contrôle des mobilités au nom de la sécurité des Israéliens.

Un système de ségrégation spatiale s’est donc mis en œuvre pour que les mobilités des Palestiniens contournent les zones israéliennes. Ce système a offert aux Israéliens, traumatisés par la Seconde Intifada (2000-2005), une illusion de séparation, comme si le danger avait été repoussé de l’autre côté du mur, dans les enclaves palestiniennes.

Gaza est le modèle type de cette stratégie de l’enclave conjuguant contrôle extérieur, incursions militaires limitées mais régulières pour détruire les tunnels et les capacités des groupes armés palestiniens, délégitimation de l’Autorité palestinienne, dissociation de ses habitants d’avec les Palestiniens de Cisjordanie et appauvrissement de la population. Ce cocktail a permis la montée du Hamas, qui revendique, depuis sa fondation, la lutte armée contre Israël. Cette stratégie sécuritaire où se retrouvent face à face armée israélienne et Hamas permettait aussi de ne pas prendre de décisions politiques majeures sur le sort des Palestiniens, ni de s’engager dans une négociation politique.

Regards internationaux

Le 7 octobre 2023 est une tragédie incommensurable dans le conflit israélo-palestinien. Cet événement consacre l’échec de la politique israélienne à l’égard de Gaza et de la question palestinienne en général. L’option strictement sécuritaire n’est plus à même de contenir la violence. Dès lors, on peine à envisager les scénarios possibles de sortie de guerre. Transférer la gestion des Palestiniens de Gaza à l’Égypte ou à des organisations internationales ? Réinstaurer à Gaza le pouvoir de l’Autorité palestinienne (très décriée en Cisjordanie) ? Déplacer la population vers certaines zones de Gaza, vers le Sinaï ou la Jordanie (ce que refusent en chœur l’Égypte et la Jordanie) ? Annexer et contrôler militairement des pans de la bande ?

Tous ceux qui s’intéressent au vivre ensemble des deux peuples doivent réactiver une voie de résolution politique et multilatérale de l’occupation et aborder de manière critique la difficile question de la stratégie israélienne à Gaza et de l’autodétermination des Palestiniens. Il peut paraître naïf d’exprimer cela au milieu d’une guerre d’une telle violence. Pourtant, les relations israélo-palestiniennes sont affaire de positionnements internationaux depuis la déclaration Balfour de 1917. Après la Syrie, l’Ukraine et le Karabakh, elles sont aussi un nouveau test de la possibilité de gouverner les relations internationales et interethniques par le droit international et le multilatéralisme.

Damien Simonneau, Maître de conférences en science politique à l’INALCO, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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