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https://www.madaniya.info/ consacre un dossier en deux volets aux relations entre l’Arabie saoudite et l’Egypte du temps de Gamal Abdel Nasser, chef de file du combat nationaliste arabe, au temps de la fusion syro égyptienne (1958-1961)

Le 1er volet: Aux origines des relations entre l’Arabie saoudite et la confrérie des Frères Musulmans

Le 2me volet: La cour royale saoudienne à propos de Gamal Abdel Nasser: “Tuons cet homme”.


Aux origines des relations entre l’Arabie saoudite et la confrérie des Frères Musulmans

1- Le dialogue du Roi Abdel Aziz d’Arabie avec  M. Hassan Al Banna

En 1938, à l’occasion du pèlerinage annuel de La Mecque dit «le grand pèlerinage», Hassan Al Banna, fondateur de la confrérie des Frères Musulmans,  sollicite auprès du Roi Abdel Aziz d’Arabie, la possibilité d’ouvrir une permanence pour sa formation politique sur le territoire saoudien. S’ensuit le dialogue suivant:

Hassan Al Banna: “Nous sommes des Frères Musulmans».

Le Roi Abdel Aziz: Frères Musulmans ?? … Nous sommes tous frères. Nous sommes tous musulmans.

Par cette réplique d’une rare perfidie, le monarque saoudien voulait signifier à son interlocuteur égyptien que le fondateur de la dynastie wahhabite, gardienne du dogme fondamentaliste, ne saurait tolérer la moinre surenchère sur l’Islam.  Ni comparaison, ni concurrence avec un  quelconque mouvement intégriste de surcroît fondé par un profane. Et que si la confrérie se revendiquait comme la première formation politique trans arabe, le Royaume se veut le chef de file du Monde musulman dans son ensemble en sa qualité de gardien des Lieux saints de l’Islam.

Ce dialogue corrosif est rapporté par Mohammad Sayyed Rassas, politologue syrien, chroniqueur au journal libanais Al Akhbar dans une tribune en date du 21 janvier 2023. Originaire de Lattaquié, M. Rassas est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment «La chute du marxisme soviétique», «Au-delà de Moscou», «L’Iran et les Frères Musulmans».

Sur l’inclination au totalitarisme au sein des mouvements relevant de l’Islam politique, cf ce lien

Dix ans plus tard, en 1948, Hassan Al Banna soutenait fortement la “Révolution du palais”  au Yémen qui a abouti à l’éviction de l’Imam Yahya Al Hamid Eddine.

Le coup d’état du Yémen a constitué le premier coup d’état anti monarchique dans le Monde arabe et le premier qui a abouti à l’assassinat d’un Roi arabe.  Le 2eme sera le coup d’État des «officiers libres» en Egypte avec la chute du Roi Farouk.

Ce coup d’État anti monarchique yéménite a suscité un réflexe d’auto-défense au sein des monarchies arabes. L’assaut pour la reconquête de la capitale yéménite a été lancé avec l’aide des tribus zaydites du Nord de Sanaa et de la province de Sa’ada. Le nouvel Imam, de la famille Al Wazir, intronisé par les putschistes, a été tué. Les Frères Musulmans ont essuyé ce revers, au moment  où le Roi Farouk d’Egypte s’apprêtait à frapper d’interdit la confrérie.

L’interdiction du pouvoir égyptien est intervenue en décembre 1948. Deux mois plus tard, Hassan Al Banna était assassiné. Son élimination est apparue comme une réplique à sa conspiration au Yémen. Les Monarchies se sont ainsi liguées pour neutraliser la menace que représentait pour elles la confrérie.

2- La montée en puissance du nationalisme arabe et le retournement d’alliance de la décennie 1950.

Le retournement d’alliance s’est opéré dans la décennie 1950 lorsque la dynastie wahhabite, saisie de panique par la montée en puissance du nationalisme arabe dans les pays à structure républicaine  sous la direction de Gamal Abdel Nasser –-«le flux nassérien» marquée notamment par la nationalisation du Canal de Suez, en 1956  première nationalisation réussie du tiers monde et la fusion syro-égyptienne en 1958–, a conduit l’Arabie saoudite  à rompre son alliance avec l’Egypte nouée dans la décennie 1940 pour faire pièce aux dynasties hachémites d’Irak et de Jordanie. Elle troquera son alliance avec l’Egypte pour une alliance avec les Frères Musulmans, frappés par une terrible répression sur ordre de Nasser à partir de 1954.

La fusion syro-égyptienne a suscité une telle crainte en Arabie saoudite, que le Roi Saoud a même été jusqu’ à commanditer un attentat contre le président Nasser, ordonnant la destruction de l’avion en vol du dirigeant saoudien à son retour au Caire.

L’homme chargé de mettre à exécution cette opération a perçu la somme de 2 millions de livres sterling, selon les révélations de Jaafar Al Bakli, universitaire tunisien, chercheur sur les questions de l’Islam, spécialiste de l’histoire politique des pays arabes, notamment les pays du Golfe, et chroniqueur au quotidien libanais Al Akhbar.

3- L’afflux des cadres égyptiens en Arabie saoudite

Fuyant la répression nassérienne, bon nombre de cadres égyptiens de la confrérie se réfugient alors en Arabie saoudite, la famille royale saoudienne estimant que la Confrérie pouvait servir d’utile contrepoids aux visées de Nasser, contre lequel elle a engagé un combat par Yémen interposé dans la décennie 1960, la «guerre des monarchistes contre les Républicains» (1960-1967).

L’Egypte soutenait les Républicains qui avaient aboli la Monarchie, notamment l’Imamat de la dynastie Al Hamid Eddine,  et l’Arabie saoudite œuvrait au rétablissement de la monarchie.

Dans la foulée, bon nombre universitaires, médecins ingénieurs, enseignants, journalistes de tendance confrériste ont été recrutés dans l’administration saoudienne, qui pâtissait, à l’époque d’un manque cruel de cadres compétents, lesquels finiront d’ailleurs à investir des postes d’importance dans le domaine éducatif et l’appareil universitaire.

(( NDLR En 2015, soit 65 ans plus tard, un écrivain saoudien tentera de justifier l’islamisation de la société saoudienne par l’afflux des cadres arabes dans le royaume pour comme pour rejeter sur autrui la responsabilité de la promotion du terrorisme islamique à travers le monde alors que le Wahhabisme est consubstantiellement fondamentaliste .

4- La guerre anti sovietique d’Afghanistan: apogée de l’alliance saoudo-confrérique

Cette alliance saoudo confrérique s’est prolongée après la mort de Nasser pour connaître son apogée dans la décennie 1980, au paroxysme de la guerre froide soviéto-américaine, notamment lors de la guerre anti soviétique d’Afghanistan (1979-1989). Une alliance maintenue en dépit de l’assassinat par des islamistes égyptiens en 1981 du président Anouar El Sadate, un grand allié des Etats Unis et signataire du premier traité de paix entre Israël et un état arabe.

En parfaite coordination avec le Pakistan et les Etats Unis, hostiles à l’invasion soviétique d’Afghanistan, le 27 décembre 1979, le Royaume saoudien a  embrigadé des dizaines de milliers d’Arabes afghans» en fait des islamistes des pays arabes pour faire la guerre en Afghanistan à l’Union soviétique.

La très grande majorité des «Arabes afghans» étaient des membres des groupements islamistes relevant de la tendance des Frères Musulmans. Leur rôle a été supérieur à celui des Moudjahiddines afghans dans la défaite des soviétiques jusqu’à leur retrait en 1989.

L’URSS était présentée alors comme une «puissance athée», alors qu’elle était le principal ravitailleur en armes de sept pays arabes (Egypte, Syrie, Irak, OLP, ainsi que l’Algérie, la Libye, et le Soudan, soit 4 pays du champ de bataille contre Israël et trois pays du Front.

La défaite soviétique en Afghanistan a été décisive dans le triomphe des Etats Unis dans la guerre froide (1948-1990) qui opposait les Etats Unis à l’Union sovietique depuis la fin de la 2ème Guerre Mondiale (1939-1945). La défaite soviétique a débouché en effet, deux ans plus tard, sur l’effondrement de l’URSS et le démantèlement du bloc communiste, les pays de l’ancien Pacte de Varsovie.

5- 1990: L’invasion irakienne du Koweït et la rupture de facto de l’alliance entre l’Arabie saoudite et les Frères Musulmans.

L’alliance saoudo confrérique a duré quarante ans. Nouée en 1958, au moment de la fusion syro-égyptienne, l’alliance sera rompue de facto en 1990 au moment de l’invasion irakienne du Koweït, soutenue par la quasi totalité des formations de la confrérie, à la notable exception de la branche koweïtienne des Frères Musulmans.

Quatre vingt organisations, partis et autres groupements relevant de l’idéologie confrériste ont non seulement salué l’invasion irakienne du koweït, mais également dénoncé la constitution d’une coalition internationale de 30 pays mise sur pied conjointement par les Etats Unis et l’Arabie saoudite pour bouter hors du Koweït le président irakien Saddam Hussein.

Certes, l’Arabie saoudite n’avait pas ordonné à l’époque la répression des Frères Musulmans résidant sur son sol. Mais l’opposition de Riyad au nouveau régime parvenu au pouvoir au Soudan à la faveur d’un coup d’état, le 30 juillet 1989,  de même le soutien continu du royaume au président égyptien Hosni Moubarak et au président tunisien Zine el Abidine Ben Ali, en pointe à l’époque dans la lutte contre l’islamisme, ont constitué autant d’indices d’une prise de distance de la dynastie wahhabite à l’égard de la Confrérie.

6- Le raid du 11 septembre 2001 contre les Etats Unis scelle la rupture définitive entre le Royaume saoudien et la Confrérie des Frères Musulmans.

Cette prise de distance a débouché sur un franche rupture à la suite du raid terroriste du 11 septembre 2001 contre les symboles de l’hyperpuissance américaine, commis par 10 pirates de l’air dont 15 de nationalité saoudienne.

Le Prince Nayef Ben Abdel Aziz, ministre de l’intérieur, imputera aux Frères Musulmans «la responsabilité des problèmes que rencontre l’Arabie». «Tous nos problèmes et leurs répercussions viennent des Frères Musulmans» déclarera-t-il dans une interview au quotidien saoudien «Asharq Al Awsat».

Riyad a mené depuis lors, parallèlement une guerre contre le mouvement Al Qaïda dont elle avait favorisé la création sous l’égide d’un de ses ressortissants, Oussama Ben Laden, lors de la guerre anti soviétique d’Afghanistan et une purge de l’appareil éducatif et universitaire saoudien, de même qu’au sein de la presse, de tous les éléments affiliés aux Frères Musulmans, qu’ils soient de nationalité saoudienne ou non.

7- L’invasion américaine d’Irak et les divergences saoudo américaines à propos des Frères Musulmans.

Washington ne partageait pas l’avis de Riyad à propos des Frères Musulmans. Les Etats-Unis souhaitaient en effet embrigader les Frères Musulmans dans leur combat contre Al Qaïda. Les Américains se sont en effet appliqués à nouer des contacts en Irak avec la branche irakienne de la Confrérie –Le Parti Islamique d’Irak– afin de briser le boycott de la communauté sunnite irakienne à leur égard et les conduire à collaborer avec les forces d’invasion américaines.

Les Américains ont finalement réussi à convaincre les Frères Musulmans irakiens de participer au gouvernement de Nouri Al Maliki en 2006.

8- L’engouement pro islamiste des Américains lors de la séquence dite du printemps arabe.

Le débauchage de la branche irakienne de la Confrérie a incité les Américains à réediter leur expérience en Turquie, avec  la frange islamiste représentée par le Parti de la Justice et du Développement du futur président Reccep Tayip Erdogan. Une caution à «l’expérience islamiste d’Erdogan», selon l’expression en vigueur.

L’engouement islamiste des Etats Unis se manifestera à l’occasion de l’accession au pouvoir des Islamistes en Tunisie et en Egypte, de même que leur participation au pouvoir au Yémen et en Libye lors du «printemps arabe», en 2011-2012

9-Turki Ben Faysal : «Nous avons fait chuter Mohammad Morsi contre la volonté d’OBAMA»

Turki Ben Faysal, ancien chef des services de renseignements saoudiens à l’époque de la guerre anti soviétique d’Afghanistan et tuteur d’Oussama Ben Laden, affichera publiquement sa fierté d’avoir provoqué «la chute de Mohamad Morsi, premier président islamiste d’Egypte contre la volonté de Barack Obama», le président des Etats Unis.

Pour ne laisser de place à la moindre ambiguïté, le prince Turki, qui est l’un des propres fils du défunt Roi Fayçal d’Arabie, avait rédigé personnellement sa tribune qu’il avait  adressée au quotidien Asharq Al Awsat, en 2015.

L’ambassadrice des Etats Unis au Caire, en ces temps là, se rendait fréquemment au siège de la Confrérie dans la capitale égyptienne, dans le secteur d’al Muqattam, pour y rencontrer le guide suprême des Frères  Musulmans Mohammad Badie et poser pour les photographes se prendre en sa compagnie.

10 – Le cauchemar des Saoudiens: L’Islamiste Erdogan sur les rives du Bosphore et l’Islamiste Morsi sur les rives du Nil.

Les Saoudiens étaient en opposition totale avec la vision américaine.

Le spectacle de l’islamiste Erdogan sur les rives du Bosphore et de l’islamiste Morsi sur les rives du Nil constituaient pour la dynastie wahhabite un douloureux remake d’un mauvais film. Un cauchemar qui la renvoyait à l’épouvantable scénario qu’elle a avaient vécu en 1818, lorsque le Pacha d’Egypte Mohammad Ali Bacha s’empara de l’Émir saoudien, lors de sa conquête d’Ad Darrhiya, la capitale saoudienne de l’époque, pour le mener, menotté, au Sultan Ottoman où il sera pendu, sur une potence dressée sur les rives du Bosphore.

Les Saoudiens nourissaient une appréhension d’autant plus vive à l’égard de «l’engouement islamiste des Américains» que  le président Erdogan se pavanait à l’automne 2011 de Tunis, à Tripoli (Libye), au Caire  se vivant comme le nouveau sultan de l’Empire ottoman, le Sultan Salim 1 er, volant de victoire en victoire, vainqueur des Mamelouks, à Damas, en 1516, avant de s’emparer de l’Egypte pour finir par conquérir le Hedjaz.

11-  Le décret du 7 Mars 2014 et la criminalisation des Frères Musulmans par l’Arabie saoudite.

Un décret royal du 7 Mars 2014 a criminalisé les Frères Musulmans,  qualifiant la confrérie d’«organisation terroriste». Une mesure qui s’appliquait à toutes les composantes de la Confrérie. Pour faire bonne mesure, la dynastie wahhabite criminalisait également le Hezbollah Libanais.

Mais alors que la Confrérie des Frères Musulmans, sunnite, était ostracisée dans son ensemble sur le territoire saoudien et en dehors, la formation  paramilitaire chiite libanaise était exclusivement criminalisée dans sa branche saoudienne.

12- Une guerre secrète permanente

En fait, la guerre contre les Frères Musulmans avait débuté en 2011 en Egypte, en Libye, en Tunisie voire même en Syrie quand bien même Riyad avait pris ses distances avec le régime baasiste de Damas.

Une guerre secrète contre l’emprise intégriste islamiste au sein de la coalition de l’opposition  syrienne off shore, dans sa première mouture, «Conseil National Syrien».

En Mai 2013, l’Arabie saoudite a réussi à élargir la représentativité du Conseil National, en parrainant la candidature d’Ahmad Jerba, un chef de tribu proche du Royaume et Michel Kilo, un chrétien communiste, ancien prisonnier politique, en vue d’y contrebalancer l’influence, prépondérante en son sein,  de la Turquie et du Qatar, les deux parrains des Frères Musulmans.

Cette guerre se poursuit de nos jours et éclaire le soutien de l’Arabie saoudite à l’égyptien Abdel Fattah Ismail, au libyéen Khalifa Haftar, au tunisien Quais Saïd, et à Mahmoud Abbas, le chef de  l’Autorité palestinienne à Ramallah, face au Hamas, la branche palestinienne des Frères Musulmans, maître de l’enclave de Gaza.

Enfin, dernier en date du soutien saoudien à un pays arabe, le soutien au coup d’État du 11 Avril 2018 au Soudan qui a évincé du pouvoir le général Omar Al Bachir.

Un positionnement qui rend problématique un véritable rapprochement entre l’Arabie saoudite et la Turquie, du moins tant que l’islamiste Erdogan demeurera au pouvoir.

Sur la confrérie des Frères Musulmans, cf ce lien

La tentative saoudienne de rejeter  sur les cadres arabes venus d’Egypte, d’Irak et de Syrie la responsabilité de l’intégrisme islamique alors que le wahhabisme est consubstantiellement fondamentaliste, cf ce lien

ReneNaba
René Naba | Journaliste, Ecrivain, En partenariat avec https;//www.Madaniya.info Français d’origine libanaise, jouissant d’une double culture franco arabe, natif d’Afrique, juriste de formation et journaliste de profession ayant opéré pendant 40 ans au Moyen Orient, en Afrique du Nord et en Europe, l’auteur dont l’expérience internationale s’articule sur trois continents (Afrique Europe Asie) a été la première personne d’origine arabe à exercer, bien avant la diversité, des responsabilités journalistiques sur le Monde arabo-musulman au sein d’une grande entreprise de presse française de dimension mondiale.

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