Un récent numéro du Point cet été (n° 2 233) est intitulé : Comment peut-on être français ? 40 réflexions sur la nouvelle querelle de l’identité.
« Entre l’identité malheureuse d’Alain Finkielkraut et l’identité heureuse d’Alain Juppé, il fallait creuser… 40 philosophes, historiens, artistes, soldats, chefs d’entreprise et autres ont rendu des contributions contradictoires, inquiètes ou jubilatoires. Leurs “papiers” d’identité… »

Le résultat paraît disparate et reflète la difficulté structurelle de débattre de la question sans avoir défini au préalable la problématique identitaire. Il dévoile également l’insuffisance aujourd’hui, dans un pays pluriculturel, à dégager de manière transversale des fils conducteurs pour construire un discours idéologique et politique commun. Si la France, jadis grand État-nation, ne parvient plus à se définir par l’intermédiaire de ses élites, quelle serait la possibilité d’un pays aussi improbable que le Liban de le faire ?

Certes, le Liban demeure une expérience vécue et réelle mais qui demande à être clarifiée, planifiée, rationalisée et organisée. Il serait souhaitable que cette expérience d’enquête, réalisée en France, soit tentée au Liban car elle pourrait servir de plateforme de réflexion et amorcer une définition en profondeur de l’identité (ou l’identification), condition préalable à l’établissement et la stabilité de toute entité.

Dans l’enquête menée en France, nous constaterons sans surprise que chacun se réfère, explicitement ou implicitement, à l’un des quatre paramètres identitaires qui lui semble le plus significatif. Il y a donc une part de subjectivité incompressible et qui doit être inscrite pour être relativisée, dans le cadre constant et interactif, de la grille identitaire (race, langue, religion, mœurs).

Le Liban est un pays où semblent alterner, de manière quasi permanente, les malentendus, les menaces et les compromis. La crise continue et structurelle des institutions et celle conjoncturelle et néanmoins devenue chronique des déchets avec ses multiples réactions ont illustré cette problématique. La confusion des genres et les solutions provisoires semblent également une spécificité. Avec un mélange de constat sanglant et de quiproquo hilarant. On ne sait jamais si c’est de la tragédie ou du vaudeville. Ce qui est à la fois inquiétant et rassurant.

« Arrêtez Tarek Yatim et libérez Tarek al-Yatim (orphelin) » est un slogan récent tragi-comique qui mettait en parallèle l’agression sauvage d’un malfrat narcissique et criminel et la protestation impulsive d’un postadolescent issu de la société civile. L’établissement politique traumatisé, qui a cru à bon droit (compte tenu de la présence d’une milice communautaire) à une nouvelle édition du 7 mai 2008, a finalement découvert de jeunes universitaires et étudiants qui se battent de bonne foi pour un Liban écologique et démocratique. Finalement, les chemises brunes embrigadées et armées n’étaient que des vacanciers déterminés et désarmés, en shorts et chaussures sans chaussettes. Même si ces deux logiques continuent à coexister au quotidien : celle du permanent coup de force dictatorial avorté et celle du ras-le-bol récurrent, d’une classe moyenne épuisée et bon enfant. Comme s’il fallait à tout prix rester dans le paradoxe et « l’insoutenable légèreté ».

Le Liban, c’est ce décalage entre une société civile qui cherche à décloisonner la société pour la faire évoluer et des communautés patriarcales qui cherchent à la verrouiller pour la préserver. Avec, au final, un statu quo structurel et indispensable (ni vainqueur ni vaincu). Contrairement à ce qui s’est passé tout dernièrement dans les capitales du printemps arabe, où une classe moyenne libérale et idéaliste s’est révoltée mais a été vite submergée et récupérée par une classe populaire idéologisée. Ce qui a poussé les militaires, quand ils le pouvaient, à revenir rétablir parfois brutalement l’ordre (Égypte-Tunisie). Sinon le pays est livré au chaos (Irak, Syrie, Libye, Yémen).

Au Liban, on ne sait toujours pas si ce sont les communautaristes (chaque communauté à tour de rôle, quand elle parvient à s’adjoindre un bras armé), les militaires ou les associations civiles qui finalement pourront l’emporter. Chacun tente de se saisir avec ses moyens du pouvoir, mais aucun ne parvient à l’accaparer. C’est d’une certaine manière un pays contrarié ou entravé qui doit concilier des logiques contradictoires par une sorte de compromis improvisé et impératif dicté à la dernière minute par la nécessité de survie.
Ni dictature ni démocratie, une sorte de no man’s land flexible, formule hybride ou idéale, acclamée ou dénoncée, qui se vit au jour le jour avec une mise sous tutelle régressive et une répétition spéculative qui allient absurdités, dépendances et innovations. Pays rêvé ou manquant, maintenu en gestation ou en devenir…

Bahjat Rizk

Bahjat Rizk
Avocat à la cour, écrivain libanais, professeur universitaire, attaché culturel à la délégation du Liban auprès de l’UNESCO (depuis 1990) a représenté le Liban à de multiples conférences de l’UNESCO (décennie mondiale du développement culturel-patrimoine mondial

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