Syrie : La Vérité, les médias et les dangers prospectifs.

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Roger AKL- Une de mes amies a réagi à certains de mes commentaires sur la Syrie en m’écrivant : « En Afghanistan et en Irak, les gens ne manifestaient pas pour demander des réformes, alors qu’en Syrie ils le faisaient pacifiquement et le gouvernement n’aurait pas du tirer sur eux ».

Elle aurait eu raison si c’était « la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ». Mais il y a d’autres vérités. Je suis un ancien officier de la marine libanaise et les nouvelles que je reçois de mon pays racontent que beaucoup d’armements et de combattants traversent la frontière syrienne pour tirer à la fois sur les manifestants et les forces de l’ordre. On nous raconte aussi qu’il y a beaucoup d’argent et de propagande extérieure, venant surtout des pays du Golfe, appuyant les extrémistes sunnites, dont les Salafis et les Frères Musulmans, pour une révolte contre le seul gouvernement laïc des pays arabes et musulmans. Nous entendons beaucoup de Cheikhs fanatiques wahhabites et salafis appelant au renversement du gouvernement, car dirigé par un Président appartenant à la minorité alaouite et à cause de son caractère laïc. Ils ont armé un tas de terroristes étrangers. Les forces syriennes de sécurité en ont arrêté qui sont de onze nationalités différentes, dont des Libanais, des Palestiniens, des Saoudites, des Irakiens, des Jordaniens…

De plus, mon expérience de militaire d’un pays du Moyen-Orient m’a appris à me méfier des médias, surtout les plus grands, parce qu’ils sont très coûteux et appartiennent à de grands groupes multinationaux et/ou à des lobbies intéressés, comme AIPAC, travaillant pour l’argent et/ou des intérêts étrangers, même si cela pourrait nuire à leurs propres nations. Je réalisais cela pour la première fois, au début des guerres civiles et confessionnelles libanaises, lorsque je fus envoyé comme Assistant de l’Attaché des Forces Armées à Washington D.C. : Ce que j’entendis et lus alors dans les médias américains était tout le contraire de ce que je savais d’expérience être arrivé dans mon pays. Je sus alors que nous étions manipulés pour satisfaire des intérêts qui nous étaient étrangers et ennemis, par ceux que nous pensions être nos amis.

Je décidais alors et je me décide maintenant à « témoigner de la vérité » quel qu’en soit le coût, non seulement parce que c’est mon devoir, mais surtout à cause des dangers prospectifs extrêmes des tentatives de renversement du gouvernement syrien.

En Egypte, pays à grande majorité sunnite, le Président Moubarak a bien été renversé, mais le régime est toujours le même, gouverné par l’armée avec les mêmes chefs. Rien n’a changé jusqu’à maintenant, sauf une excitation des combats entre les intégristes sunnites et les chrétiens coptes. Plusieurs Eglises ont été brûlées. Mais la démocratie demandée par le peuple tarde à venir.

La différence entre l’Egypte et la Syrie, est dans le fait qu’en Syrie, les minorités (alaouites, druzes, kurdes, chrétiennes…) se chiffrent à 40% du total de la population. Elles ont goûté à la laïcité et font non seulement partie du gouvernement du pays, mais en sont la partie la plus importante. Elles sont bien armées et beaucoup de sunnites de la majorité ainsi que les réfugiés palestiniens les appuient à cause de leur défense des droits palestiniens et arabes, contre les agressions et injustices israéliennes, en Cisjordanie, à Gaza et aux frontières. Le gouvernement ne peut donc pas être renversé sans une très longue et très meurtrière guerre civile et confessionnelle.

Or, la minorité kurde syrienne habite le Nord-est de la Syrie, jouxtant la frontière turque et celle de la région autonome kurde de l’Irak. Elle profiterait sûrement du chaos provoqué par la guerre civile pour demander à être rattachée au Kurdistan irakien. Les Kurdes de Turquie ne se feront pas prier pour essayer de faire sécession et rejoindre la nouvelle entité kurde pour enfin satisfaire leurs ambitions séculaires d’un Etat réunissant tous les Kurdes de la région.

Il est inutile de dire que la Turquie voit tout cela d’un très mauvais œil. Mais ce n’est pas tout. Les Alaouites sont majoritaires au Nord-ouest de la Syrie, juste à côté de la province turque d’Antioche, habitée par une majorité d’Alaouites turcs. Il ne faut pas oublier les ambitions syriennes sur cette région qui a fait historiquement partie de la Syrie à tel point que saint Luc appelle la ville, « Antioche de Syrie », au premier siècle. Une guerre civile lançant les sunnites syriens contre les Alaouites de Syrie ne peut que réveiller les anciens démons turcs de guerre confessionnelle et religieuse en Turquie ; elle ne pourra pas rester en dehors des combats, appuyant, bien sûr, les Frères Musulmans sunnites syriens. Ce fut pour cela qu’Erdogan a qualifié les problèmes syriens d‘« affaires internes ».

La Turquie lancée à la rescousse des Sunnites serait donc tentée de faire une poussée vers le Sud à la frontière syro-irakienne habitée des deux côtés par des sunnites. En même temps elle devrait essayer d’aider les sunnites de Homs et de Tal Kalakh qui se sont soulevés contre le régime syrien, avec l’aide et le financement de certains de leurs voisins sunnites du Nord du Liban. Serait-ce pour cela qu’on a qualifié l’AKP turc d’ottoman ?

Comme on le voit une guerre civile en Syrie va entraîner automatiquement les Turcs, les Irakiens et les Libanais dans les combats. La poussée turque vers le Sud, coupant l’axe chiite Est-Ouest par un axe sunnite Nord-Sud, et la participation des sunnites irakiens dans les combats ne pourront qu’y entraîner les chiites d’Irak appuyés par l’Iran et le Hezbollah.

Pensez-vous qu’alors les états pétroliers du Golfe, surtout l’Arabie saoudite, pourront rester en dehors de la mêlée, eux qui sont soupçonnés, avec leurs protégés libanais d’avoir financé, armé et encouragé la révolte en Syrie ?

Que deviendra alors le prix du pétrole, à condition qu’on puisse encore l’extraire et le transporter ? Que feront les membres de l’OTAN, surtout quand le pétrole viendra à manquer et qu’un des membres de l’OTAN, la Turquie, est en train de se battre contre nombre de pays du Moyen-Orient, dont l’Iran ? Que fera alors Israël ?

Quelles seront alors les réactions d’un grand nombre de pays comme la Russie, la Chine, le Pakistan et l’Inde, chacun d’entre eux ayant des alliés, des ennemis et/ou des rivaux impliqués dans toutes ces guerres ?

Cela me rappelle la prophétie des évangéliques américains sur le retour du Christ à la fin des temps au moment de la refondation du Royaume d’Israël. Auraient-ils donc raison ?

Ce fut pour essayer d’arrêter la chute dans l’abysse et de leur donner tort que j’ai écrit dans le New York Times : « Ceux qui sont en train d’appeler à un changement de régime en Syrie sont en fait en train de souhaiter une explosion telle qu’elle enflammera le Moyen-Orient, la Méditerranée et atteindra les lointains rivages de l’Amérique ».

Serais-je entendu ?

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