Dire que le Soleil de la chanson populaire libanaise ne se lèvera plus est très banal pour exprimer que Sabah n’est plus de ce monde. D’ailleurs elle n’en faisait plus partie depuis un certain nombre d’années ; elle était là en corps et en chansons, mais son âme était ailleurs.
Je vous parle d’un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître… Beyrouth en ce temps-là, accrochait ses roses damascènes, ces jasmins sambac et ses lilas jusque sous nos fenêtres aux beaux vitraux surmontés de belles arcades dans les maisons traditionnelles et les bâtisses des années folles aux couleurs chatoyantes.
Ce temps que nos parents et nos grands-parents ont connu, ce temps qui nous a fait et nous fait toujours fantasmer, et dont la mémoire par procuration fera élever nos enfants qui seront en quête de ce Liban haut en couleurs, cette belle mosaïque bariolée, si riche et si variée par ses tesselles qui la constituent…
Ouf, je me retrouve en train de parler du Liban, alors qu’il était question de pleurer la disparition de la diva Sabah … Oui, parce que son nom est synonyme d’un Liban où il y faisait bon vivre, où l’artiste faisait parler de son pays dans les quatre coins du globe, où les discussions tournaient autour des programmes des prochains festivals, du dernier costume de scène de Sabah ou de ses amourettes… alors qu’aujourd’hui …
Sabah, la Diva, la Voix de la Montagne Libanaise, en costume traditionnelle sur les escaliers du temple de Baalbeck ou en mini-jupe sur un yacht reliant le Liban à l’Egypte. Sabah, la Femme qui a trop aimé, la belle femme libérale, ambitieuse et talentueuse. Sabah, qui a chanté le Liban, l’Armée, le Village, la Belle époque, la Vie simple, les Traditions, l’Amour sous toutes ses facettes … Sabbouha, la très proche, l’éternellement jeune, sujets d’histoires, de rumeurs, de polémiques et d’anecdotes à n’en plus finir … Sabah, la Femme libanaise au grand cœur n’est plus de ce monde, et un autre pilier du patrimoine libanais s’écroule après le décès du grand Wadih Safi, ce patrimoine matériel et immatériel détruit à coup de superficialité, d’ignorance et de vulgarité.
Avec cette pluie torrentielle qui pleure le départ de l’éternelle sourire radieux, quelque chose d’étrange n’est plus … Je ne reconnais plus, ni les murs, ni les rues, de ce qu’est devenu ce Liban d’aujourd’hui … Dans son nouveau décor, avec Sabah en moins … Beyrouth semble étrangement triste, et les lilas sont morts …