Vincent Gelot, directeur de L’Œuvre d’Orient au Liban, à l’écoute des besoins exprimés par les congrégations religieuses, les diocèses, les patriarcats, etc. © Nathalie Duplan - Valérie Raulin
Vincent Gelot, directeur de L’Œuvre d’Orient au Liban, à l’écoute des besoins exprimés par les congrégations religieuses, les diocèses, les patriarcats, etc. © Nathalie Duplan - Valérie Raulin

Si nombre d’écoles chrétiennes n’ont pas définitivement fermé au Liban, elles le doivent, pour la plupart, à L’Œuvre d’Orient qui a mis en place, avec le gouvernement français, le Fonds des Écoles d’Orient. Explications avec Vincent Gelot, directeur de L’Œuvre d’Orient au Liban, et Mayeul Cachia, chargé de projets.

Qu’est-ce que le Fonds des Écoles d’Orient ?

Vincent Gelot : Le FEO est né d’une mission que l’Élysée a confiée à M. Charles Personnaz, haut fonctionnaire français, en 2017 ; le président de la République a demandé à ce dernier de produire un rapport sur la situation des écoles chrétiennes francophones au Moyen-Orient. Ce haut fonctionnaire a visité les pays de la région et a dressé un état des lieux assez alarmant. Il a souligné, entre autres, qu’au Moyen-Orient, environ 300 000 enfants reçoivent aujourd’hui une éducation académique en langue française dans des établissements tenus par des congrégations religieuses, des diocèses, des Ordres, des patriarcats. Or, de par les crises et les guerres, ces écoles sont menacées de disparaître. Et avec elles, la francophonie et les valeurs qu’elle porte.

Le rapport de ce haut fonctionnaire préconisait donc la création d’un fonds pour soutenir les populations de ces écoles chrétiennes francophones du Moyen-Orient. Il a vu le jour en 2020 sous le nom de Fonds des Écoles d’Orient ou FEO, selon une formule singulière : c’est un fonds privé (L’Œuvre d’Orient)/public (État français). Les deux premières années, le fonds était de 2 millions d’euros, désormais, il est de 4 millions d’euros pour desservir l’Iraq, la Turquie, la Syrie, le Liban, la Terre Sainte, la Jordanie, et l’Égypte. Le Liban a une part très importante puisqu’il reçoit 75 % de ce fonds en raison de la densité des écoles chrétiennes francophones libanaises.

Je précise que ce Fonds ne soutient pas le réseau des écoles dites homologuées au Liban (une trentaine d’écoles chrétiennes) déjà soutenues par l’AEFE (l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger) à travers l’ambassade de France.

Que soutient le Fonds ?

VG : Il peut soutenir de l’équipement, de la formation, et également des bourses scolaires ou aides aux scolarités. Chaque année, plus d’une centaine d’écoles sont aidées grâce au travail considérable réalisé par les équipes du bureau Liban de L’Œuvre d’Orient et de l’ambassade de France. Il s’agit en effet de collecter des données auprès des écoles éligibles à ce Fonds afin d’évaluer leur situation : nombre d’élèves et de professeurs, pourcentage de scolarités impayées, salaire des enseignants, évolution depuis l’année précédente, etc. Une des difficultés réside dans le fait que nous avons affaire à toute la mosaïque des Églises d’Orient, c’est-à-dire à une cinquantaine de tutelles différentes que nous devons toutes rencontrer afin de sélectionner et d’aider les écoles qui nous paraissent en accord avec les critères que le Fonds a fixés.

Quels sont ces critères ?

VG : Tout d’abord l’apport en francophonie dans la région où se trouve l’école ; certaines écoles des régions périphériques rurales, par exemple, sont le seul vecteur de francophonie. Ensuite, la population de l’école : pauvre ou modeste, capable ou non de payer les scolarités. Il y a également l’argument de la mixité sociale et religieuse, car ces écoles accueillent des enfants chrétiens et non chrétiens. Nous prenons aussi en compte le risque de fermeture de certaines écoles, notamment dans des régions éloignées ou rurales qui jouent un rôle éducatif, social, communautaire, essentiel dans nos régions.

Nous essayons aussi de respecter l’équilibre géographique en soutenant toutes les régions, et également l’équilibre confessionnel pour ne pas aider une Église plus qu’une autre.

Sans oublier le volet formation qui est vaste : cette année, par exemple, l’accent va être mis sur la sensibilisation autour des problèmes liés à la drogue dans les quartiers défavorisés de Beyrouth, Nabaa, Bouchrieh, Bourj Hammoud, Dekwaneh.

Qu’en est-il de l’installation de panneaux solaires ?

VG : Avec la crise économique au Liban, nous avons fait le constat que le budget des écoles est dévoré par la consommation de mazout pour le fonctionnement des générateurs. Nous avons entrepris de consacrer une part du financement du FEO aux panneaux photovoltaïques afin de réduire les frais de fonctionnement des établissements scolaires et que ces derniers puissent répercuter cette économie sur les frais de scolarités. L’année dernière nous avons équipé 20 écoles et cette année 25. Mais je laisse notre ingénieur, Mayeul Cachia, chargé du suivi des installations solaires pour les écoles du FEO, expliquer cela.

L’ingénieur Mayeul Cachia, chargé du suivi des installations solaires pour les écoles du FEO. © Nathalie Duplan – Valérie Raulin

Mayeul Cachia : Effectivement, mon travail prévoit des visites sur le terrain avec notre partenaire technique Engie assistance France (une fondation d’entreprise) pour évaluer les besoins énergétiques des écoles et effectuer un audit complet des difficultés d’approvisionnement énergétique auxquelles elles sont confrontées. Je rédige un cahier des charges pour lancer des appels d’offres auprès d’entreprises reconnues afin de trouver les meilleurs prix pour fournir des installations qui fonctionnent et que les écoles équipées puissent être, autant que possible, autonomes en énergie. Il m’incombe aussi de suivre les travaux et de vérifier la bonne réalisation des projets.

Comment choisissez-vous parmi les quelque 330 établissements soutenus par L’Œuvre dOrient ?

MC : Il faut préciser que nous ne sommes pas les seuls à nous occuper de cette question prioritaire. Les écoles homologuées reçoivent, en principe, un financement de l’ambassade de France. Nous nous concertons avec les différents acteurs pour cibler les écoles qui ont le plus de besoins, celles qui sont les plus vulnérables et en danger de fermeture, avec l’objectif, à terme, d’équiper toutes les écoles du réseau chrétien francophone. Le choix s’effectue aussi sur des critères d’équilibres : nous essayons de prendre en considération les différents rites et congrégations, et toutes les régions.

Votre rôle ne se limite pas à équiper les établissements ?

MC : Non. Nous accompagnons les écoles dans l’autonomie progressive, dans la gestion de leur énergie et dans la gestion de leur système. Nous demandons aux entreprises une formation obligatoire du personnel technique de l’école. Et, durant un an, nous avons les données d’exploitation des sites, ce qui nous permet d’évaluer si l’installation fonctionne bien et dans quelle mesure nous pouvons aider l’école à faire des économies d’énergie supplémentaires.

Cela va plus loin qu’installer des panneaux photovoltaïques. Il s’agit d’exploiter l’installation solaire et d’obtenir que l’école soit autonome dans la gestion de son énergie. L’exemple typique est l’utilisation de lumières LED pour les lampes qui économisent l’énergie et permettent de moins puiser dans les batteries.

L’enjeu est de sensibiliser autour de l’énergie qu’il ne faut pas gaspiller. Cela tend à se faire par la force des choses avec la crise économique. Mais acquérir les bonnes habitudes de gestion énergétique reste un défi. Toute installation est un compromis technique énergétique entre l’investissement initial et l’énergie qui pourra être économisée. Cela implique cette responsabilisation de l’école qui doit s’adapter au fait que l’énergie solaire n’est pas disponible tout le temps. Donc, si des machines consomment beaucoup, il faut les faire fonctionner quand il y a du soleil.

Quelle économie permet de faire l’installation de panneaux solaires ?

MC : Cela dépend du montant investi. Mais il est rare d’avoir une autonomie à 100 %. Techniquement, il est parfois plus intéressant d’investir moins car une autonomie de 80 ou 60 % est un résultat très satisfaisant par rapport au niveau d’argent investi. De toute façon, le générateur doit toujours être présent pour les cas de mauvais temps, et il vaut mieux qu’il fonctionne 10 jours dans l’année qu’en permanence au ralenti.

J’insiste, le but en installant des panneaux solaires est que les établissements reprennent en main leur budget et recouvrent une autonomie énergétique et financière. Plus solides financièrement, ils pourront accueillir des élèves en difficultés dont les familles ne peuvent pas payer les frais de scolarité, mieux rémunérer leurs professeurs et sortir de leur situation économique actuelle.

L’impact est important parce que l’énergie représente parfois jusqu’à 30 % des frais de fonctionnement. À l’époque où le mazout coûtait peu cher car subventionné, ils ont acheté des générateurs surdimensionnés qui fonctionnent en sous-régime et brûlent du carburant pour rien.

Quand nous installons des panneaux solaires, nous sommes dans l’optique inverse, à savoir de s’adapter au mieux aux besoins pour satisfaire la consommation nécessaire. Ce changement de mode de fonctionnement est parfois difficile.

Tous domaines confondus, à combien s’élève l’aide apportée par le Fonds des Écoles d’Orient ?

Vincent Gelot : Cette année, 4 millions d’euros dont 3 millions uniquement pour le Liban : 1,5 million de la part de L’Œuvre d’Orient et 1,5 million de la part de l’État français ; environ 400 000 € pour les universités, 1 250 000 € pour les panneaux solaires et le reste pour des bourses et de l’équipement.

L’objectif d’un Fonds est qu’il perdure. L’aide devrait donc être reconduite l’année prochaine, même si j’en ignore le montant, tout comme j’ignore si la part du Liban sera aussi importante car de nombreux pays vont très mal.

Je le dis en toute modestie et objectivité, dans la situation tragique que connaissent les écoles, le FEO a permis de sauver, en partie, le réseau des écoles chrétiennes au Liban parce que, depuis 4 ans, les sommes octroyées sont considérables. Ce Fonds n’est pas le seul à aider : nous collaborons avec le Secrétariat général de l’Enseignement catholique, et nous avons une plateforme de coordination avec les autres associations libanaises et non libanaises qui soutiennent ces écoles afin de répartir l’aide équitablement ; une aide qui tourne au total autour de 11 millions d’euros pour quelque 300 écoles. Il y a 8 ans, au moment de la crise, des estimations prévoyaient que 80 % des écoles allaient fermer : elles sont restées ouvertes, mais uniquement parce que nous les transfusons, ce qui est un problème. Cela étant, cette mission est l’ADN de L’Œuvre d’Orient qui, quand elle a été créée en 1856, s’appelait L’Œuvre des Écoles d’Orient.

Au-delà du FEO, à combien se chiffre l’ensemble de l’aide apportée par L’Œuvre dOrient au Liban ?

VG : Le Liban reçoit à peu près 35 % de la collecte annuelle de L’Œuvre d’Orient (environ 30 millions d’euros), soit environ 10 millions d’euros par an. C’est considérable, et même trop comparé aux richesses de ce pays et aux cerveaux qu’il produit. Cela explique parfois notre frustration de voir que cette capacité, cette richesse ne donnent rien. Il est anormal qu’une association comme la nôtre doive consacrer près de 40 % de sa collecte au Liban alors que le pays a des ressources et une puissante diaspora.

Nathalie Duplan et Valérie Raulin
Grands reporters spécialistes du Liban, Nathalie DUPLAN et Valérie RAULIN sont les auteurs de "Jocelyne Khoueiry l’indomptable" (Le Passeur), "Le Camp oublié de Dbayeh" (Grand Prix littéraire 2014 de L’Œuvre d’Orient), et "Un café à Beyrouth" (Magellan & Cie). Avec Fouad Abou Nader, elles ont publié "Liban : les défis de la liberté", aux Éditions de L’Observatoire. Nathalie Duplan a débuté au Figaro Magazine ; elle est rédactrice en chef de la revue mensuelle Les Annales d’Issoudun et correspondante au Liban du trimestriel Codex. Valérie Raulin a commencé sa carrière au Figaro et a été "accréditée Défense". Également réalisatrice, elle a participé au lancement de la chaîne KTO. Elles sont également les auteurs, aux Presses de la Renaissance, de "Le Cèdre et la Croix", "Tenir et se tenir, entretiens avec Patrick Poivre d’Arvor", "Les Grandes Heures de Solesmes" et "Confidences d’un exorciste".

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