Du Nord au Sud en passant par la capitale du pays des cèdres, des cris du cœur fusent de partout et se résument à une seule formule : Protégeons notre Patrimoine ! Cette fois-ci, c’est à Tripoli que les défenseurs du Patrimoine libanais tirent la sonnette d’alarme. Le cœur de celle qui fut jadis l’Odorante(1) exhale aujourd’hui des effluves de dégénérescence. Les monuments traditionnels conférant à cette cité un cachet typique qui la démarque des autres localités libanaises, courent actuellement un danger imminent de destruction au profit de bâtiments en béton au style répugnant.
Une campagne nationale a été lancée il y a quelques jours par Tripoli Foundation, couronnant deux années de préparatifs et d’engagement, pour la protection du Tall à Tripoli (2), cœur de la cité, en collaboration avec l’Association pour la Sauvegarde de Tripolis (ASPT)(3), la municipalité de Tripoli, le syndicat des ingénieurs, la DGA, et des associations pour la sauvegarde et la restauration du patrimoine tripolitain, en prenant des mesures fermes et en instaurant des projets de lois visant à protéger ce qui reste de ce patrimoine. Cette campagne, fruit de deux années
Connue pour ses monuments à caractère traditionnel dont le célèbre palais Naufal, ainsi que son horloge de cinq étages datant de l’époque ottomane et construite pour le 25ème anniversaire du règne du Sultan Abdel Hamid II, la place publique Tall est menacée à son tour par les démolitions arbitraires des anciens bâtiments, qui nécessitent plutôt une restauration qu’une destruction. Ces monuments au style architectural ottoman et français, datant du XVIIIème au XXème siècle, sont en train de disparaître progressivement. Le quartier perd son âme, ses habitants et ses édifices centenaires, pour laisser la place à des constructions modernes sans goût ni saveur.
Vue de la forteresse Saint-Gilles, Tripoli. Photo prise en avril 2012 © Marie-Josée Rizkallah
Tripoli a déjà subi de grandes pertes de monuments historiques dont le célèbre Théâtre Ingea (4) et le Grand Sérail, une perle de l’architecture ottomane perdue à jamais. Des menaces actuelles planent également sur la Foire internationale de Tripoli, joyau de l’architecte brésilien Oscar Niemeyer qui serait transformée en vulgaire parc d’attractions, sur les vieux immeubles traditionnels, et sur la forteresse de Saint-Gilles qui se trouve dans un état déplorable et en proie à une « restauration » arbitraire qu’il faudrait urgemment reconsidérer. Par contre, Tripoli regorge de constructions vétustes abjectes mettant en péril la santé et la vie de leurs habitants : pourquoi ne seraient-ce ces terrains qui seraient achetés par les promoteurs pour y élever leurs projets immobiliers au lieu de s’obstiner à détruire les monuments marqueurs d’un passé glorieux et qui font l’âme de la ville ?
Une façade d’une maison traditionnelle dans l’ancienne ville, Tripoli © François El Bacha
L’ultime question que tout citoyen se pose des centaines, voire des milliers de fois : À quel prix défigure-t-on notre identité ? Un peuple sans patrimoine est un peuple sans identité, et un peuple sans identité est un peuple en perdition qui ne pourrait jamais se réunir sous l’étendard d’une patrie qui lui offrirait l’asile, l’éducation, les valeurs et les droits civils primordiaux. Tant que le Libanais oriente son regard et ses ambitions vers un autre pays que le sien ou vers une communauté religieuse à laquelle il s’assimile méprisant ainsi son attachement à son pays, il serait en train d’enterrer par ses propres mains son patrimoine, son histoire et les sacrifices de ses aïeux, et serait en train d’assassiner sa « libanité » en s’adonnant au proxénétisme par la vente de sa terre et de son identité au plus offrant.
Par Marie-Josée Rizkallah
Libnanews
Crédits Photos : © Tripoli Foundation, © Marie-Josée Rizkallah, © François El Bacha
Notes
(1) Tripoli est désignée par Al-Fayhaa’ (l’Odorante) en raison des senteurs naguère proférées par les multiples vergers d’agrumes en fleurs qui s’étendaient tout le long du littoral et qui étaient les garants de la prospérité économique de la ville.
(2) Voir le groupe sur Facebook National Campaign to Preserve El Tall – Tripoli
(3) L’ASPT, créée en avril 2009, a pour but la promotion de la ville de Tripoli au riche héritage patrimonial, archéologique et architectural, par le biais d’un éventail d’actions culturelles diverses et variées, afin de redonner à cette métropole du Liban Nord, l’image d’une ville historique où il fait bon vivre. Dans le cadre de cet engagement, l’ASPT avait organisé en février 2012 à Paris, un colloque intitulé : ” Tripoli, quelles ambitions pour demain ? Refaire la ville”, afin de dénoncer la vague de démolitions massives de monuments et de sites historiques de la ville.
(4) Lire Le Théâtre Ingea à Tripoli … devient un parking !!! et Destruction du Théâtre Ingea à Tripoli : La suite du Scandale