Le premier ministre Najib Mikati a présidé ce vendredi soir une réunion au cours de laquelle il a été décidé que la Banque du Liban devrait acheter en priorité du blé libanais avec ses devises étrangères, cela sur proposition du ministre sortant de l’économie Amin Salam. Cette mesure intervient alors que le Liban était confronté encore la semaine dernière à des scènes d’importantes queues, voire même de violences, devant les boulangeries, de personnes victimes, non seulement des pénuries, mais aussi à l’impossibilité de payer son pain quotidien dont les prix ont fortement augmenté.

Cette mesure intervient sur fond aussi d’accusations – non fondées en réalité – de contrebande de blé vers la Syrie. Pour préciser les choses, le blé importé par le Liban était principalement utilisé par les boulangeries libanaises et non réexporté. La hausse du volume du blé acheté par le Liban depuis 2015 a été induite par plusieurs facteurs qui sont d’une part l’arrivée au Liban d’une importante communauté de réfugiés syriens qui doit se nourrir et d’autre part par la crise économique, le pain constituant un des aliments de base de la nourriture dont le prix a été stable par rapport aux autres produits alimentaires qui ont vu leurs prix augmenter parfois même de 500% pour la seule année 2021. Ces 2 facteurs, couplés à la hausse des prix sur le marché mondial, ont amené à la hausse ds prix locale et l’incapacité de la Banque du Liban à ouvrir les lignes de crédit nécessaires pour le financement des importations.

Le blé libanais pourrait ainsi couvrir jusqu’à 30% des besoins internes s’il était totalement acheté. Il faudrait tout de même donc continuer à acheter plus de 70% des besoins du pays des cèdres pour assurer la sécurité alimentaire des habitats de ce pays.

Cependant, il est vrai par ailleurs que le Liban exportait du blé vers la Syrie. En effet, si le blé importé par le Liban était payé en dollar, le blé local était toujours payé en livre libanaise. Les céréaliers libanais, comme beaucoup d’autres libanais, souhaitaient ainsi obtenir des devises étrangères et passaient par circuit d’importation officiels et non par des circuits de contrebande vers la Syrie. En l’absence d’interdiction d’exportation, aucun règlement ne leur interdisait de vendre leur blé en Syrie. Il s’agit donc d’accompagner cette mesure par une interdiction d’exportation du blé vers d’autres destinations. Pour l’heure, cela ne semble pas être sur la table.

Si cette mesure semble aujourd’hui être enfin prise, elle n’est aussi que trop tardive. Elle aurait dû être prise, il y a de cela plusieurs dizaines de mois afin de conserver les devises étrangères au Liban et de non les voir être transférées à l’étranger. Cela est valable pour le blé mais également pour de nombreux autres produits. D’autre part, une des seules solutions à la crise passe par la production locale afin de réduire le déficit de la balance commerciale. Il faut rappeler que le Pays des Cèdres importe plus de 70% de ses besoins et donc l’indisponibilité de devises étrangères pourrait mener à de graves conséquences, inflation, pénuries et donc insécurité, une situation dans laquelle le Liban se trouve aujourd’hui justement confronté.

D’autre part, des interrogations portent sur la disponibilité réelle de la Banque du Liban à honorer ses engagements et à payer ces devises étrangères aux producteurs libanais. Si cela était encore possible, il y a quelques mois, le fait même de recourir aujourd’hui au prêt de 150 millions de dollars de la Banque Mondiale semble constituer un aveu, celui de son incapacité désormais aujourd’hui à continuer à financer de tels programmes. Il faudra donc que la BdL accepte aussi, avec ses capacités financières réduite, pour une fois, de mettre en oeuvre les mesures décidées par le gouvernement.

Autre point, les récoltes de blé ont généralement lieu en juillet et août. Le blé actuellement moissonné est déjà probablement vendu. Cette mesure ne pourra donc être réellement applicable que lors des prochaines récoltes, c’est-à-dire l’année prochaine. L’annonce de cette décision semble ainsi être de nature idéologique et non pratique et convient à satisfaire une opinion publique soucieuse et non à réellement répondre à ses besoins.

“Gouverner, c’est prévoir”, comme le soulignait Adolphe Thiers. Au Liban, on peut prévoir d’être dans le pétrin (NB: ce n’est pas pétrin qui sert à pétrir la pâte du pain qui vient malheureusement à manquer), mais aucune mesure n’est réellement prise pour éviter toutes les catastrophes auxquelles nous sommes confrontées depuis quelques années, que cela concerne le secteur bancaire, le secteur de l’électricité, des carburants et voire même, celui de la sécurité alimentaire aujourd’hui dont le pain constitue l’un des éléments de base. Le Liban aurait pu être épargné de bien des drames si les mesures adéquates étaient prises en temps et en heure.

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