X, 24ème lettre de l’alphabet, mieux connue sous le nom de l’ « Inconnue ». Drôlement inexistante en Italien, comme si les Italiens savaient tout, et par conséquent n’en avaient aucun besoin. Mais peut-être en savent-ils t assez ces sacrés descendants des romains : Voyez-vous comment ont-ils su si bien préserver leur pays pour en faire un immense musée sans pareil que des dizaines de millions de touristes visitent chaque année ? De quoi donner envie de faire pareil .
Le X, les Français lui donnent une place privilégiée puisque leur illustre École polytechnique dont ils sont si fiers et à raison est surnommée l’« X ».
Pour ma part je verrai le X comme une croisée des chemins où l’être humain s’arrête un petit peu , pondère et choisit la route à suivre. En somme, choisit son destin.
Etêté, sans président, divisé, meurtri, saigné à blanc, étouffé par ses propres effluves nauséabondes, le Liban une fois de plus faillit tout dernièrement culbuter dans l’abime. Une malédiction dirait-on, comme le mythe de Sisyphe qui pour avoir osé défier les dieux, fut condamné à faire rouler éternellement jusqu’en haut d’une colline un rocher qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet.
Normalement le bourdon, ce minuscule insecte, ne devrait pas voler : tout le monde sait cela. Et pourtant il vole… Corps trapu, ailes minuscules, donc aérodynamisme déplorable, poids excessif rapporté à la surface des ailes: il ne devrait jamais recevoir l’autorisation de décoller .Et pourtant il vole…Devant cette énigme, la réponse la plus croustillante demeure la suivante : Le bourdon est incapable de voler, mais lui ne le sait pas et continue à voler, imperturbable.
Tout comme le Liban. Tout indique que ce petit pays ne peut survivre. Sa taille est inférieure à la masse critique capable de soutenir un Etat, son voisinage déplorable et les invasions qui s’ensuivirent, la multiplicité de ses religions et leurs rites respectifs ainsi que les contradictions qui viennent avec, l’indécision de ses leaders et paradoxalement la détermination de ces mêmes leaders qui ne voient que leurs intérêts et la liste serait épuisante à énumérer. Et pourtant il vole…
Oui , à visiter le salon du Livre nouvellement clôturé, à observer les gens qui y circulaient les bras alourdis de livres, à se mettre en ligne devant une longue file de gens qui attendent une gentille dédicace d’un auteur Libanais, on reprend espoir . Un monde fou, bouillonnant. Seulement pour accéder au salon, il faut affronter le bitume pendant de longs moments, dans une marée de voitures. Ensuite, pour grignoter un bout après la visite, il faut souvent réserver, les restaurants étant bondés. La vie quoi !
De maigres symptômes de résurrection diriez-vous. Mais dans ce cas vous ne seriez pas de l’avis de Victor Hugo qui répéta en maintes occasions : “Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons”. Or les écoles, ça sert à lire et écrire , à écrire des livres, à produire , à apprendre le dessin, la sculpture , à bâtir , à se cultiver et cultiver son jardin , en somme , à vivre. Et la prison, c’est la mort lente, l’agonie,
Et ça mesdames et messieurs, c’est le X Libanais, ce facteur que j’ai souvent essayé d’élucider pour expliquer la survie du Liban. Le facteur X c’est cette culture libanaise, cette fureur de vivre et de survivre. La culture ne signifie pas gagner la cagnotte dans « Questions pour un champion ». La culture est un mode de vie, une soif de savoir, de productivité.
La culture rendit Charles Malek capable de rédiger la charte des droits de l’homme en devançant toutes ces grosses têtes du monde libre qui s’y cassèrent les dents. La culture c’est Gibran , Fouad Ephrem Boustani, Mikhael Neaimeh, c’est Antony Fadell de chez Apple qui pour ceux d’entre vous qui lisent ce mot en écoutant la magie de Feyrouz sur leur IPod. La culture ce sont les sommets gravis par Maxime Chaya. Quid du Docteur Michael Debakey, au cœur immense et qui offrit une nouvelle vie à tant de cardiaques ? Ignorer Charles Elachi qui dirigea le Jet Propulsion Laboratory dont les engins spatiaux emportera un jour le premier astronaute Libanais ? Jamais. Etcetera Etcetera…
Restent ces soldats inconnus de la culture Libanaise que j’ai involontairement omis dans la liste de notre patrimoine. Le premier et le plus illustre étant sans doute enterré quelque part du coté de Byblos. Hirsute, pieds nus, occupé toute la journée à gratter dans la pierre d’intrigants signes, il refusait de contribuer au négoce de son père. Ce dernier , navigateur téméraire, commerçant , partagé entre Carthage et Sidon , ne savait quoi faire de ce fils rebelle jusqu’au jour où il comprit qu’ il pouvait faire bon usage des graffitis de son fils pour communiquer , peut-être faire des factures pour le pourpre Tyrrhénien qu’il vendait à prix fort . Si à partir de ce moment il cessa de gronder son fils, il ne se douta jamais que ce dernier venait d’inventer le plus vieil alphabet de l’histoire à ce jour.
Tout ce qui précède est le facteur , X en phénicien.
Jean-Marie Kassab