Le Pape au Liban : Une messe dominicale … tout sauf orientale !

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La visite apostolique de sa Sainteté Benoit XVI au Liban est certes un évènement  qui revêt une importance particulière non seulement pour les Libanais, mais pour l’ensemble du Moyen-Orient, cette terre plurielle qui maintient ardent et intense le flambeau de l’amour et de la foi, cette terre qui a été la première à accueillir les premiers témoins du Christ.

En dépit des mesures de sécurité drastiques, dans une atmosphère où le prétendu printemps arabe prend des airs de climat hiémal, des centaines voire des milliers ont tenu à accueillir le Saint-Père sur les routes libanaises, des dizaines de milliers de jeunes ont pris part à la rencontre de Bkerké, et des centaines de milliers ont participé à la messe du dimanche au centre-ville de Beyrouth.

Une marée de croyants qui se sont déplacés sous un soleil de plomb afin de célébrer l’office divin présidé par le pasteur suprême dans la capitale du pays des cèdres a peuplé la place du Biel sous le regard bienveillant des différents représentants ecclésiastiques des communautés libanaises chrétiennes. L’œil du spectateur ainsi que du téléspectateur était bien servi et le spectacle qu’offrait ce rassemblement suscitait en lui de fortes émotions tout le long de la cérémonie. Cependant, du côté auditif, et par conséquent du côté identitaire, le Libanais ne se sentait point gâté : les acclamations du peuple faisaient chaud au cœur, émotions promptement entravées lors des prémices de la liturgie.

Que la messe suive le rite latin, rite officiel du Vatican, soit – pour ne pas créer de jaloux entre les Maronites, Syriaques, Melkites et Arméniens, tous de rites catholiques. Cependant, les chants choisis par la pléiade de chœurs étaient fortement inappropriés par rapport au lieu, aux traditions et à l’occasion en tant que telle. Le souverain pontife n’a pas fait tout ce périple afin de venir en terre d’Orient et avoir droit à une réplique d’une messe place Saint-Pierre, en moins bonne certainement.

Où sont les cymbales retentissantes avec lesquelles il faudrait louer le Seigneur selon le Psaume? Où sont les flûtes pastorales illustres représentantes de la tradition maronite ? Où est le oud, le qanoun, et toutes sortes de cithares orientales ? Qui sont les organisateurs qui ont jeté leur dévolu sur ce répertoire loin de réunir tous les Libanais ? Il est sûr qu’une bonne tranche de la population libanaise est adepte de la musique lyrique et des voix de sopranos, mais en ce dimanche 16 septembre, elles n’avaient pas du tout leur place au cours de cette messe papale en plein cœur du pays des cèdres bibliques. Aucun cachet maronite, syriaque, libanais ni même oriental n’a transparu à travers le service de ces chorales, qui sont bel et bien libanaises, originaires de cet Orient si compliqué…

Pourquoi chantonner le credo sous forme de colorature alors que 350 mille fidèles auraient pu proclamer leur foi à haute voix de manière à faire vibrer le cœur de la cité ? Pourquoi ne pas avoir fait en sorte que cette messe soit d’avantage interactive ? Pourquoi cette assemblée s’est contrainte à observer un silence interloqué en raison de son incompréhension de l’office qui se déroulait, alors que le successeur de Saint-Pierre avait formulé son émotion face à ce peuple qui manifeste sa foi à haute voix ? Le citoyen lambda maronite, latin, syriaque, arménien, etc. n’a pas pu accompagner les chorales en fredonnant un seul chant liturgique. Il fallait peut-être que les organisateurs aient en tête que le vicaire de Jésus-Christ est venu, à la manière de ce dernier, pour tous les peuples, et non pour certains élus …

Seule la chorale patriarcale melkite – l’unique qu’on ait pu reconnaitre – a fidèlement représenté son Église et sa tradition orientale en entonnant leurs traditionnels cantiques. Les autres ont tenté en vain d’imiter l’Occident, pour faire peut-être preuve que nous pouvons ressembler aux civilisations du Ponant, nous plaçant sur un niveau moindre par rapport à ces peuples, alors que la genèse de la musique liturgique chrétienne a pris son élan dans la tradition syriaque, et que nous avons un patrimoine libanais oriental cossu qui nous permet de garder le front haut au lieu de se courber devant ceux qui viennent d’ailleurs. Encore une fois, le Libanais a voulu être plus royaliste que le roi, aux dépends de sa propre terre, de sa propre identité, de son propre patrimoine. Encore une fois, mon peuple me déçoit. Nous aurions pu faire luire notre identité tel un ostensoir sur le saint autel où se célébrait la messe papale par des chants orientaux qui, tel l’encens, auraient embaumé l’atmosphère d’une senteur libanaise et levantine, et aurait gravé dans l’esprit et le cœur de ce cher Visiteur qui nous vient d’ailleurs un souvenir fidèle à nos traditions, à ce que nous sommes réellement.

Par Marie-Josee Rizkallah
Libnanews 

Marie Josée Rizkallah
Marie-Josée Rizkallah est une artiste libanaise originaire de Deir-el-Qamar. Versée dans le domaine de l’écriture depuis l’enfance, elle est l’auteur de trois recueils de poèmes et possède des écrits dans plusieurs ouvrages collectifs ainsi que dans la presse nationale et internationale. Écrivain bénévole sur le média citoyen Libnanews depuis 2006, dont elle est également cofondatrice, profondément engagée dans la sauvegarde du patrimoine libanais et dans la promotion de l'identité et de l’héritage culturel du Liban, elle a fondé l'association I.C.H.T.A.R. (Identité.Culture.Histoire.Traditions.Arts.Racines) pour le Patrimoine Libanais dont elle est actuellement présidente. Elle défend également des causes nationales qui lui touchent au cœur, loin des équations politiques étriquées. Marie-Josée est également artiste peintre et iconographe de profession, et donne des cours et des conférences sur l'Histoire et la Théologie de l'Icône ainsi que l'Expression artistique. Pour plus de détails, visitez son site: mariejoseerizkallah.com son blog: mjliban.wordpress.com et la page FB d'ICHTAR : https://www.facebook.com/I.C.H.T.A.R.lb/

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