Le patriarche maronite, Sa Béatitude Bechara Raï, saluant un groupe de personnes atteintes de handicap. © Nathalie Duplan - Valérie Raulin
Le patriarche maronite, Sa Béatitude Bechara Raï, saluant un groupe de personnes atteintes de handicap. © Nathalie Duplan - Valérie Raulin

           À l’occasion de la Journée mondiale des Pauvres, ce 19 novembre, 10 000 personnes ont convergé vers Bkerké à l’appel de l’Assemblée des patriarches et des évêques catholiques du Liban (APECL), en partenariat avec L’Œuvre d’Orient. Le but : lancer et incarner « un cri du cœur », le cri des Libanais qui ne peuvent plus faire face à la crise ; et mettre en garde contre le risque de fermeture des structures associatives qui remplacent l’État depuis trop longtemps.            

           Près de 10 000 personnes étaient rassemblées à Bkerké, ce dimanche 19 novembre pour la Journée mondiale des Pauvres à l’invitation du patriarche, Sa Béatitude Bechara Raï. Près de 10 000 personnes bravant les pluies torrentielles pour affluer de toutes les régions du pays. Près de 10 000 personnes issues d’établissements scolaires et hospitaliers, de mouvements de jeunesse, d’associations, d’instituts pour handicapés, etc. Près de 10 000 personnes : une réponse éclatante à ceux qui, quelques jours avant interrogeaient, sceptiques : « À quoi sert ce genre d’événement ? Qu’est-ce que cela va changer ? »

© Nathalie Duplan – Valérie Raulin

            À l’initiative de cette impressionnante manifestation, L’Œuvre d’Orient qui soutient financièrement la plupart de ces institutions. Son responsable pour le Liban, la Syrie, la Jordanie, Vincent Gelot, explique : « Cette journée est le fruit d’une réflexion qui remonte au début de l’année 2023. Elle fait suite au constat que la situation au Liban est devenue inacceptable, que toutes les limites de ce que les plus pauvres, les plus vulnérables pouvaient supporter ont été franchies. S’est donc mise en place une réflexion avec des congrégations, des associations, des gens qui s’occupent de personnes handicapées ou d’orphelinats. Nous avons décidé, à l’occasion de cette Journée mondiale des Pauvres, de nous rassembler pour faire entendre leur voix et leur cri. »

© Nathalie Duplan – Valérie Raulin

            À l’origine, le rassemblement devait se tenir en plein centre de Beyrouth, autour de la place des Martyrs. Le gouverneur avait donné son autorisation. La guerre entre Israël et le Hamas, entraînant des risques d’ordre sécuritaire, a bouleversé les préparatifs, compromettant même la tenue de cette journée.

            Vincent Gelot précise : « L’Assemblée des patriarches et évêques catholiques du Liban a décidé de reprendre cet événement pour qu’il ait lieu et se tienne à Bkerké afin de taper du poing sur la table. Les milliers de personnes qui ont répondu à l’appel sont des pauvres, des malades, des handicapés et ceux qui travaillent à leurs côtés – aides-soignants, infirmiers, responsables d’associations, congrégations religieuses, directeurs d’écoles, professeurs –, qui souffrent aussi, car ils sont parfois eux-mêmes devenus pauvres et continuent pourtant d’œuvrer auprès des plus miséreux. Et puis il y a les élèves, la jeune génération, qui viennent, sensibilisés à cette question de la pauvreté, de la solidarité et de la justice. C’est un cri lancé aujourd’hui car les droits les plus fondamentaux – droit à l’éducation, à la santé, à la dignité – ne sont plus respectés au Liban et c’est intolérable. »

Les jeunes de l’Équipe missionnaire de la Charité mobilisés. © Nathalie Duplan – Valérie Raulin

            Quatre jours avant l’événement, au cours d’une conférence de presse, le patriarche Raï rendait public un texte écrit et signé par les responsables catholiques du pays. Probablement, l’appel le plus fort lancé ces derniers temps, parlant du cri « des oubliés, des laissés pour compte, des invisibles, ceux que l’on ne veut pas voir et qui pourtant, au Liban, sont de plus en plus nombreux » ; insistant sur le fait que le secteur privé et le tissu associatif ne peuvent plus faire face au désastre, rendant hommage à ceux qui « réalisent chaque jour une mission admirable auprès des plus nécessiteux dans des conditions de travail éprouvantes rendues indignes par la négligence des responsables politiques, leur inaction et leur corruption » ; précisant et dénonçant : « Notre cri n’est pas de nature communautaire, ni idéologique. (…) C’est le cri de la conscience nationale adressé en premier lieu aux responsables politiques libanais, afin qu’ils assument leurs responsabilités. (…) Qu’ils fassent leurs devoirs envers notre peuple qu’ils ont réduit par leur corruption à la pauvreté et à la mendicité ».

            Un cri de révolte, un cri de détresse, un cri d’alarme, un cri du cœur : à la hauteur de l’enjeu en ces moments critiques que ne cesse de traverser le Liban.

Sr Marie-Antoinette Saadé, présidente de l’Assemblée générale des Supérieures majeures du Liban et Supérieure de la congrégation des Sœurs maronites de la Sainte Famille, entourée du patriarche et de Vincent Gelot, avant la conférence de presse du 15 novembre 2023. © Nathalie Duplan – Valérie Raulin

            « Cette journée est un événement en soi, confie Vincent Gelot, parce que c’est sans doute le plus important ici, à Bkerké, depuis la visite du pape Benoît XVI en 2012 en termes de nombre de participants. C’est un événement parce qu’il y a cet engagement des Églises catholiques qui se sont unies autour de ce texte et de ce cri. Ce qui est assez unique. C’est un événement parce que cela va permettre à tous ces gens d’arrêter de prendre des coups et de relever la tête ensemble, de faire un travail d’unité et de communion. C’est un événement parce qu’une collecte a été réalisée pour la Journée mondiale des Pauvres à destination des déplacés et des populations du Sud-Liban victimes de la guerre et des bombardements. »

            Une collecte qui a suscité une polémique davantage relayée que cette initiative et ce texte forts. Le Dr Fouad Abou Nader, président de l’ONG Nawraj, réagit : « Cette solidarité chrétienne doit être la règle parmi toutes les Églises du Moyen-Orient. Quant à ceux qui ont attaqué le patriarche à ce propos, peut-être sont-ils tellement aisés qu’ils n’ont aucune idée de ce que signifie la solidarité entre les gens et entre les différentes communautés. C’est pourtant le rôle des chrétiens, qui sont le ciment de ce pays, de toujours penser aux autres, de faire preuve de compassion et de manifester leur solidarité envers tous. »

            Une solidarité plus que jamais nécessaire à en croire l’ensemble des témoignages qui ont suivi la messe. Qu’ils émanent de responsables d’établissements scolaires, d’associations à caractère social, ou d’instituts prenant en charge des handicapés, ils pourraient se résumer ainsi : « Sans l’aide apportée par L’Œuvre d’Orient, nous aurions certainement dû fermer nos portes. »

 Ghassan Jabra accompagné de Maya Aoun témoigne pour Anta Akhi © Nathalie Duplan – Valérie Raulin

            Espérant que cette journée aidera chacun à croire en la dignité et en la valeur de tout être humain, Sr Magda, Petite Sœur de Nazareth du camp palestinien de Dbayeh, explique pourquoi elle a accepté d’intervenir : « Par reconnaissance pour L’Œuvre d’Orient. Je serais venue, mais je ne voulais pas prendre la parole. Cependant, par gratitude pour toute l’aide reçue et par respect pour nos enfants, dont les 3/4 seraient dans la rue sans le soutien de cette association française, je ne pouvais pas refuser. »

            Le pari était osé ; il a été réussi. Néanmoins, de l’aveu des organisateurs, il ne constitue pas une fin en lui-même, mais un premier jalon qui vient d’être posé : « C’est un commencement, affirme Vincent Gelot, un premier pas vers autre chose, vers un chemin qui, nous l’espérons tous, nous mènera vers davantage d’unité et d’engagement. Nous voulons faire entendre le cri des pauvres et réclamer leurs droits à l’instar de ce que le pape François demande quand il exhorte à s’impliquer au niveau législatif, juridique, parfois politique, dans tous les pays du monde pour faire valoir les droits quand ceux-ci ne sont pas respectés ».

            En attendant, ce dimanche, les chaises rouges de Bkerké étaient réservées. Non pas aux personnalités influentes, mais aux pauvres et aux handicapés.

Mgr Gollnisch, directeur de L’Œuvre d’Orient, a fait spécialement le déplacement au Liban pour cette Journée mondiale des Pauvres. © Nathalie Duplan – Valérie Raulin
Nathalie Duplan et Valérie Raulin
Grands reporters spécialistes du Liban, Nathalie DUPLAN et Valérie RAULIN sont les auteurs de "Jocelyne Khoueiry l’indomptable" (Le Passeur), "Le Camp oublié de Dbayeh" (Grand Prix littéraire 2014 de L’Œuvre d’Orient), et "Un café à Beyrouth" (Magellan & Cie). Avec Fouad Abou Nader, elles ont publié "Liban : les défis de la liberté", aux Éditions de L’Observatoire. Nathalie Duplan a débuté au Figaro Magazine ; elle est rédactrice en chef de la revue mensuelle Les Annales d’Issoudun et correspondante au Liban du trimestriel Codex. Valérie Raulin a commencé sa carrière au Figaro et a été "accréditée Défense". Également réalisatrice, elle a participé au lancement de la chaîne KTO. Elles sont également les auteurs, aux Presses de la Renaissance, de "Le Cèdre et la Croix", "Tenir et se tenir, entretiens avec Patrick Poivre d’Arvor", "Les Grandes Heures de Solesmes" et "Confidences d’un exorciste".

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