Le Liban est fréquemment décrit comme une “bankcratie”, une appellation qui reflète le rôle prédominant du secteur bancaire dans son économie pour plusieurs raisons.

Premièrement, le secteur bancaire du Liban, qui est parmi les plus influents du monde arabe, constitue environ 75% du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays. Cette prééminence est due en partie à sa capacité à attirer d’importants dépôts étrangers, favorisés par des taux d’intérêt élevés, ainsi qu’à ses liens étroits et souvent critiqués avec le système politique, où les connexions entre banquiers et politiciens sont monnaie courante.

Le développement des banques libanaises et le secret bancaire : Quand a-t-il été mis en place et comment le Liban en a profité ?

Le développement du système bancaire libanais et du secret bancaire a joué un rôle crucial dans l’économie du pays. Ce système a été mis en place dans le pays dans les années 1950 et 1960, et a depuis lors été un pilier fondamental de l’économie libanaise.

La loi sur le secret bancaire a été mise en œuvre au Liban en 1956. Cette loi a permis aux banques libanaises de garder confidentielles les informations concernant les comptes de leurs clients, à moins que ces derniers ne donnent leur consentement explicite pour la divulgation de ces informations. Le secret bancaire a attiré les investisseurs étrangers, en particulier ceux qui cherchaient à protéger leur argent des régimes politiques instables dans leurs pays d’origine.

Le système bancaire libanais a connu un essor considérable grâce à cette loi. Les banques sont devenues un refuge pour les capitaux étrangers, ce qui a permis au pays de financer son déficit budgétaire et de maintenir une certaine stabilité économique.

L’application du secret bancaire a également favorisé le développement du secteur financier au Liban. Le pays est devenu un centre financier régional, attirant des investissements de toute la région du Moyen-Orient.

En outre, le secret bancaire a également aidé le Liban à attirer des dépôts de la diaspora libanaise dans le monde entier. Ces dépôts ont joué un rôle clé dans le financement de l’économie libanaise.

Cependant, il est important de noter que le secret bancaire a également ses inconvénients. Il a été critiqué pour avoir facilité le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. De plus, il a été suggéré que le secret bancaire a contribué à l’instabilité économique actuelle du Liban, car il a permis à l’élite politique et économique du pays de cacher ses richesses et d’éviter la responsabilité fiscale.

Quelles sont les relations entre les politiciens et les banques ? Quelles banques libanaises sont principalement détenues par des politiciens et qui sont-ils ?

Deuxièmement, l’influence politique du secteur bancaire est notable. Les institutions bancaires libanaises exercent un lobbying puissant sur le gouvernement, influençant fréquemment les politiques économiques à leur avantage. Cette influence est souvent associée à des accusations de financement de la corruption et du clientélisme, ainsi qu’à un manque de transparence et de responsabilité, ce qui soulève des inquiétudes quant à l’intégrité du secteur.

Les relations entre les politiciens et les banques peuvent être complexes et variées. En général, les politiciens et les banques interagissent souvent en raison de la nécessité de financer des campagnes politiques, de réguler l’industrie bancaire et de gérer l’économie nationale. Les politiciens peuvent également avoir des intérêts personnels ou commerciaux dans des banques spécifiques, ce qui peut influencer leurs décisions politiques.

En ce qui concerne le Liban, il est difficile de donner une liste précise des banques libanaises détenues principalement par des politiciens sans avoir accès à des informations confidentielles. Cependant, il est largement reconnu que de nombreux politiciens libanais ont des liens étroits avec le secteur bancaire. Par exemple, la famille Hariri, une autre figure politique majeure au Liban, est connue pour avoir des intérêts substantiels dans plusieurs banques libanaises.

Les banques ont ainsi permis à certaines personnalités de transférer des fonds à l’étranger alors que l’immense majorité de la population était confronté à un contrôle informel des capitaux. Il est difficile de déterminer avec précision le montant total des fonds illégalement transférés à l’étranger depuis le Liban. Les estimations varient en fonction de la méthodologie utilisée et de la définition de “transfert illégal”.

Voici quelques estimations :

  • 5,5 milliards de dollars: En juillet 2020, le directeur général démissionnaire du ministère des Finances, Alain Bifani, a affirmé que plus de 5,5 milliards de dollars avaient quitté le Liban depuis le 17 octobre 2019.
  • 6,8 milliards de dollars: Une étude réalisée par l’association Information International a estimé que 6,8 milliards de dollars ont été transférés illégalement à l’étranger entre 2019 et 2021.
  • 15,5 milliards de dollars: Le Centre libanais des études politiques a estimé que 15,5 milliards de dollars ont été transférés illégalement à l’étranger entre 2017 et 2021.

Parallèlement, l’instabilité politique et économique a encouragé les élites libanaises à transférer des milliards de dollars à l’étranger, appauvrissant le pays de capitaux précieux nécessaires à son redressement. Ce phénomène de fuite des capitaux souligne la crise de confiance envers le système bancaire national et accentue la pression sur une économie déjà à genoux.

Comment les banques ont entravé les réformes nécessaires?

Confronté à une crise économique sans précédent, le secteur bancaire a révélé sa fragilité, notamment à travers des niveaux alarmants de prêts non performants.

Le plan Lazard, nommé d’après la banque d’affaires internationale Lazard mandatée par le gouvernement libanais, fut élaboré dans le but de proposer une stratégie de restructuration financière face à la crise économique et financière sévère du Liban. Cette crise, aggravée par des années de mauvaise gestion, de corruption et de politiques économiques déficientes, a abouti à une dette publique insoutenable et à une chute vertigineuse de la valeur de la livre libanaise. Le plan prévoyait un ensemble de mesures visant à restructurer la dette nationale, à réformer le secteur bancaire et à instaurer des réformes économiques structurelles.

Les banques libanaises sont soupçonnées d’avoir entravé ce plan pour plusieurs raisons. Premièrement, la restructuration de la dette, telle que proposée, aurait signifié pour elles d’importantes pertes financières, résultant de la dévaluation des obligations d’État qu’elles détenaient. Cette perspective était particulièrement rébarbative pour un secteur qui possède une large part de la dette libanaise. Deuxièmement, l’application du plan Lazard aurait sans doute entraîné une réforme profonde du système bancaire, incluant consolidation et régulation accrue, ce qui aurait dilué le pouvoir et l’influence des élites bancaires et politiques étroitement entrelacées au Liban. Enfin, le secteur bancaire, souvent critiqué pour son manque de transparence et sa résistance au changement, aurait pu voir dans ce plan une menace à son autonomie et à sa capacité de fonctionner avec peu de surveillance externe.

Parallèlement, pour les propriétaires des banques, souvent des personnalités politiquement influentes et économiquement puissantes au Liban, cela aurait signifié des pertes substantielles, non seulement en termes de richesse mais aussi en termes de pouvoir économique et d’influence politique. Leurs biens auraient même pu être saisis pour résorber les pertes des établissements et rembourser les déposants.

Pour contrer le plan Lazard, les banques libanaises auraient déployé plusieurs stratégies. Elles auraient utilisé leur influence considérable, forgée par des liens étroits avec les politiciens et les décideurs, pour exercer un lobbying et une pression politique visant à faire rejeter ou affaiblir les réformes proposées. Il est également possible qu’elles aient orchestré des campagnes médiatiques et de désinformation, mettant en avant les aspects négatifs du plan tout en minimisant ses bénéfices potentiels pour l’économie libanaise, dans le but de diminuer le soutien public aux réformes. En outre, en influençant les législateurs, les banques auraient pu bloquer l’adoption de lois et de régulations nécessaires à l’implémentation du plan, notamment celles concernant la restructuration de la dette et la réforme du secteur bancaire.

Alors, le Liban, une bankcratie?

Les conséquences de cette “bankcratie” sont multiples et complexes. Elle a engendré une croissance économique déséquilibrée, concentrant une grande partie des richesses entre les mains d’une élite restreinte, tout en fragilisant le système bancaire face à la crise économique et financière actuelle du pays. De plus, cette domination bancaire a souvent entravé les réformes économiques nécessaires pour remettre le Liban sur la voie de la récupération et du développement durable.

Dans la situation présente, malheureusement, le pouvoir de décision se trouve bel et bien au sein des dirigeants des banques libanaises.

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