Dans un tournant décisif pour le système judiciaire, le juge Jamal Al-Hajjar est prévu pour assumer la fonction prestigieuse de Procureur général auprès de la Cour de cassation dans les toutes prochaines 24 heures. Il prendra la relève du juge Ghassan Oueidat, figure respectée et expérimentée de la magistrature, qui s’apprête à entrer en retraite le jeudi 22 février. Al-Hajjar se voit confier une responsabilité de taille, au cœur de laquelle se trouve l’enquête sur l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth. Sa mission principale consistera à insuffler un nouvel élan à cette enquête, potentiellement en annulant les décisions restrictives prises par son prédécesseur en janvier 2023. Ces décisions avaient considérablement limité les prérogatives du juge Tarek Bitar, entravant la capacité de la police judiciaire à exécuter les mandats d’arrêt qu’il émettait alors que les personnes convoquées ne se présentaient pas devant lui.

La trajectoire professionnelle d’Al-Hajjar, notamment son implication dans le dossier du 4 août, soulève cependant des préoccupations. Il était, après tout, à l’origine de la décision controversée de démettre le juge d’instruction Fadi Sawan le 18 février 2021, sur la base que Sawan avait été personnellement affecté par l’explosion, sa maison faisant partie des nombreux logements endommagés à Beyrouth. Cette action d’Al-Hajjar faisait écho aux attentes des autorités, désireuses d’évincer Sawan après qu’il eut courageusement convoqué des figures politiques éminentes, y compris l’ancien Premier ministre Hassan Diab et les anciens ministres des finances Ali Hassan Khalil, des travaux publics Ghazi Zeaiter, 2 proches du président de la chambre Nabih Berri, et des transports Youssef Fenianos, quant à lui proche de Sleiman Franjieh.

Pour rappel, Ghazi Zeaiter n’est autre que le beau-frère du désormais ex-procureur de la république, le juge Ghassan Oweidat qui avait été par ailleurs mis également en cause par le juge Tarek Bitar pour avoir bloquer les procédures judiciaires ayant pu permettre l’évacuation du nitrate d’ammonium hors de la capitale libanaise.

L’explosion du port de Beyrouth, survenue le 4 août 2020, reste gravée dans la mémoire collective comme l’une des catastrophes les plus tragiques de l’histoire récente du Liban. La déflagration, causée par l’ignition de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées de manière inappropriée, a provoqué une onde de choc dévastatrice, tuant plus de 200 personnes, en blessant des milliers d’autres et causant des dégâts matériels considérables dans toute la ville. L’ampleur de cette tragédie a mis en évidence les failles profondes dans la gestion et la sécurité des installations portuaires, ainsi que l’urgence d’une réforme systémique pour prévenir de telles catastrophes.

Le juge Tarek Bitar, malgré les entraves posées par les décisions d’Oueidat, a persisté dans ses efforts pour faire avancer l’enquête, retournant à son bureau au Palais de Justice à plusieurs reprises le mois dernier, dans un contexte de défis juridiques et politiques sans précédent. Sa détermination à poursuivre le travail basé sur la jurisprudence qu’il avait établie en janvier 2023 témoigne de son engagement envers la quête de justice, malgré les limitations imposées par les manoeuvres politiques.

Le passage de témoin entre Oueidat et Al-Hajjar intervient dans un moment critique pour le Liban, où la quête de vérité et de justice pour les victimes de l’explosion du port de Beyrouth reste entravée par des obstacles judiciaires et politiques. L’arrivée d’Al-Hajjar à ce poste clé est attendue avec espoir et scepticisme, car elle pourrait redéfinir l’avenir de l’enquête et, potentiellement, celui de la justice libanaise.

Une enquête entravée par l’ingérence politique

L’enquête du juge Tarek Bitar sur l’explosion du port de Beyrouth a été entravée pour plusieurs raisons complexes et interdépendantes, reflétant les défis inhérents au système judiciaire libanais ainsi qu’aux dynamiques politiques et sociales du pays. Voici les principales raisons :

  1. Interventions politiques : L’un des obstacles majeurs a été l’intervention directe de personnalités et d’entités politiques de haut rang. Le Liban est caractérisé par un système politique fortement sectaire et factionnel, où les élites politiques exercent une influence considérable sur les institutions étatiques, y compris le système judiciaire. Lorsque Bitar a convoqué ou envisagé de poursuivre d’anciens ministres et hauts fonctionnaires, ces démarches ont été perçues comme une menace directe par certains secteurs politiques, qui ont activement cherché à bloquer ou à ralentir l’enquête.
  2. Recours judiciaires : Les personnes convoquées ou visées par l’enquête ont souvent utilisé des recours judiciaires pour contester les procédures, entraînant des retards et des complications. Ces actions ont inclus des plaintes contre Bitar lui-même, des accusations de partialité, et des demandes de récusation, ce qui a contribué à entraver la progression de l’enquête.
  3. Menaces et pressions : Bitar et d’autres personnes impliquées dans l’enquête ont fait face à des menaces et à des pressions, tant publiques que privées. Ces tactiques d’intimidation visaient à décourager la poursuite de l’enquête et à influencer ses résultats.
  4. Cadre légal et institutionnel fragile : Le système judiciaire libanais souffre de faiblesses structurelles, notamment en termes d’indépendance et de ressources. Cette fragilité institutionnelle a rendu difficile la conduite d’une enquête de cette envergure, surtout face à des oppositions puissantes.
  5. Décisions judiciaires controversées : Comme mentionné précédemment, les décisions prises par les prédécesseurs de Bitar et d’autres acteurs judiciaires ont parfois créé des obstacles légaux supplémentaires, limitant la capacité de Bitar à agir de manière efficace.
  6. Problèmes de sécurité et logistiques : Enfin, la nature même de l’explosion du port de Beyrouth, avec son immense destruction matérielle et son impact humain, a posé d’énormes défis logistiques et de sécurité pour l’enquête, exacerbant les difficultés à collecter des preuves et à mener des investigations sur le terrain.

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