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Maxime Lefebvre, ESCP Business School

Au lendemain des attaques barbares du Hamas contre Israël, le Commissaire européen chargé de l’élargissement et de la politique de voisinage, le Hongrois Oliver Varhelyi, annonçait la suspension de l’aide aux Palestiniens. Il n’a pas tardé à être démenti par le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell et par plusieurs pays et députés européens. C’est finalement une « révision » de l’aide européenne aux Palestiniens qui a été décidée. En outre, l’UE vient d’annoncer une augmentation de l’aide humanitaire à Gaza et la mise en place d’un pont aérien pour l’acheminer via l’Égypte.

Cette séquence illustre combien, sur le dossier israélo-palestinien, l’unité des 27 demeure difficile, malgré l’alignement des réactions de condamnation des attentats commis par le Hamas et d’affirmation du droit d’Israël à se défendre. Ursula von der Leyen a d’ailleurs été peu après critiquée pour avoir effectué une visite de soutien à Israël sans manifester sa préoccupation sur le sort des Palestiniens de Gaza.

Si par le passé, la Communauté économique européenne (remplacée par l’UE en 1993) avait su en la matière élaborer des positions communes consensuelles, il semble que cela soit plus difficile désormais. Dès lors, on peine à voir comment l’UE pourrait peser sur l’issue du conflit.

Un système bipolaire

La déclaration de Venise de 1980, sur le sujet spécifique de la Palestine, a été un terrain d’essai de la « Coopération politique européenne » lancée en 1970.

La « CPE » visait à doter la Communauté européenne d’une voix politique dans le concert des nations. Dans un contexte marqué par les deux chocs pétroliers et par les nouvelles tensions qu’avait engendrées la révolution islamique en Iran, mais aussi par les espoirs nés dans la foulée de la signature en septembre 1978 des accords de Camp David entre Israël et l’Égypte, les Neuf de l’époque affirmaient leur soutien au droit des Palestiniens à l’autodétermination.

Deux ans plus tard, François Mitterrand, tout en affichant son attachement à l’État d’Israël, évoquait devant la Knesset, le Parlement israélien, la perspective d’un État palestinien – une position française qui est ensuite devenue la position européenne.

Malgré ces prises de parole fortes, les Européens n’ont guère pesé dans le processus de paix au Proche-Orient. La crise de Suez de 1956 avait déjà marqué l’éviction stratégique de la France et du Royaume-Uni de la région, même si la France gaullienne et post-gaullienne a par la suite continué de jouer un rôle important dans les affaires du Liban et ailleurs dans la zone à travers sa « politique arabe » (qui se manifestait notamment par des ventes d’armes).

Au temps de la guerre froide, le système bipolaire s’était diffusé au Proche-Orient : les États-Unis se tenaient aux côtés d’Israël tandis que l’URSS soutenait la cause arabe et palestinienne. Les résolutions du Conseil de sécurité, dont la célèbre résolution 242 de 1967, qui demandait le retrait d’Israël des territoires occupés, marquaient néanmoins un consensus des puissances sur la nécessité de revenir au partage de la Palestine prévu en 1948-1949. En 1980, le même Conseil de sécurité, par sa résolution 478, refusait de reconnaître l’annexion de Jérusalem par Israël.

C’est sous l’égide des deux Grands – et avant tout des États-Unis, l’Union soviétique étant alors moribonde – qu’a été réellement lancé le processus de paix, à la Conférence de Madrid en 1991. Les Européens se sont fait une place dans ce processus complexe et hésitant avec la nomination d’un représentant spécial à partir de 1996 (l’Espagnol Miguel Moratinos a été le premier titulaire du poste, actuellement détenu par le Néerlandais Sven Kotmans) et la mise en place en 2002 du « quartet » (États-Unis, Russie, UE, ONU) pour jouer un rôle de médiateur dans le conflit.

L’Europe en soutien

Les Européens sont venus en soutien des accords de paix, finançant l’Autorité palestinienne et lançant une mission d’assistance au poste-frontière de Rafah, entre l’Égypte et la bande de Gaza évacuée par Israël en 2005. Il n’en reste pas moins que, face à un conflit qui n’a cessé de se durcir (première arrivée au pouvoir de Benyamin Nétanyahou en 1996, deuxième intifada entre 2000 et 2006, guerre entre Israël et le Hezbollah en 2006, renforcement de la colonisation juive en territoires occupés, enchaînements d’attentats et de représailles), ils ont peiné à se faire entendre collectivement.

Ce n’est pas que les pays européens soient condamnés à l’impuissance : ils ont su mener une action unie et résolue sur le dossier nucléaire iranien à partir de 2003, combinant sanctions et diplomatie. Des éléments de consensus entre pays européens existent sur l’aide civile aux Palestiniens, le soutien au processus de paix, l’opposition à la politique de force et du fait accompli, y compris la colonisation des territoires occupés. Les Européens ne sont pas toujours restés passifs vis-à-vis d’Israël. Le Conseil d’association, prévu par l’accord d’association de 1995 qui organise la coopération entre l’Union et Israël, ne s’est pas réuni entre 2012 et 2022, les Israéliens réagissant aux objections formulées par l’Union à propos des colonies en Cisjordanie. L’accord de libre-échange ne s’applique pas aux produits israéliens issus des colonies.

Les États membres ne se sont cependant jamais accordés sur de quelconques sanctions. Tout juste ont-ils décidé en 2019 l’étiquetage (et non l’interdiction) des produits israéliens issus des territoires occupés, après qu’Israël s’est proclamé par une loi fondamentale « l’État-nation du peuple juif », ce qui discrimine les citoyens non juifs, notamment la minorité arabe. Les relations commerciales et technologiques avec l’État hébreu restent étroites. Israël est notamment associé aux programmes de recherche de l’Union.

Des divergences trop importantes ?

Malgré les quelques points d’accord, les États membres (et l’ancien État membre qu’est le Royaume-Uni) ont des visions très (trop ?) différentes de la question israélo-palestinienne pour pouvoir se montrer plus efficaces.

Historiquement, le Royaume-Uni et la France ont encouragé dès 1917 la renaissance d’un foyer national juif sur la terre ancestrale d’Israël. Si Londres est par la suite globalement resté très proche des positions israéliennes, cela n’a pas été le cas de Paris, qui a veillé à ménager ses relations avec le monde arabe et à défendre les droits des Palestiniens. L’Allemagne et l’Autriche, de leur côté, portent comme des stigmates l’élimination des communautés juives par les nazis et sont plus enclines à s’aligner sur les positions d’Israël. C’est aussi le cas des Pays-Bas, l’un des berceaux du libéralisme occidental, et d’un certain nombre de pays d’Europe centrale et orientale. L’Espagne, pour sa part, a eu souvent une position proche de la France, position qui a pu être relayée par des personnalités espagnoles ayant été placées à des postes clés de la diplomatie européenne – Javier Solana et Miguel Moratinos dans le passé, Josep Borrell aujourd’hui.

En réalité, aucun des pays européens n’est assez puissant pour s’imposer seul comme un acteur de poids ; mais ensemble, ils sont trop divisés. Leur voix ne peut qu’être faible, surtout quand il s’agit d’aller contre les positions de Washington.

Si l’UE a l’habitude d’adopter une position commune sur les textes de l’Assemblée générale des Nations unies (dans plus de 90 % des cas), les clivages réapparaissent dès que les questions deviennent sensibles. C’est ainsi que les votes des États membres se sont divisés sur la réaction de l’ONU à l’offensive israélienne à Gaza en 2008-2009, sur l’admission de la Palestine à l’Unesco en 2011, puis sur l’octroi d’un statut d’observateur à la Palestine à l’ONU en 2012. Dans ce dernier cas, 14 pays (dont la France) ont voté pour, la République tchèque s’est prononcée contre, 12 pays se sont abstenus, dont l’Allemagne et le Royaume-Uni. Certains pays européens, comme la Hongrie et la Tchéquie, sont aujourd’hui tentés de transférer leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, comme l’administration Trump l’a fait en 2018.

Par ailleurs, un axe droitier (« illibéral ») n’a cessé de se renforcer en Israël comme en Occident, combinant poussée identitaire et nationaliste, rhétorique de la « guerre contre le terrorisme islamiste » et logique du tout-sécuritaire, au détriment d’une analyse politique du conflit. À cette aune, il n’est pas surprenant de voir Viktor Orban, Georgia Meloni ou Marine Le Pen s’aligner totalement sur la politique sécuritaire du gouvernement Nétanyahou.

L’UE peut-elle faire plus ?

L’Europe pourrait-elle s’engager davantage ? La légitimité des institutions européennes pour porter une diplomatie forte au-dessus des États membres est fragile. Si l’on introduisait le vote majoritaire en politique étrangère, alors que celle-ci se définit actuellement à l’unanimité, cela faciliterait peut-être les positions de compromis ; mais seraient-elles acceptées par tous et pourraient-elles soutenir des actions autonomes et fortes qui ne seraient pas forcément alignées sur les États-Unis ?

À ce stade, une action coordonnée de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, comme dans le dossier iranien, ne paraît pas non plus en vue. Le dossier israélo-palestinien montre hélas les limites de la puissance européenne.

Maxime Lefebvre, Affiliate professor, ESCP Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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