Un pays au bord de l’effondrement institutionnel
Le Liban, autrefois admiré pour ses hôpitaux modernes et son système éducatif d’élite, sombre dans un chaos institutionnel sans précédent. La crise économique, amorcée en 2019 avec une dette publique à 170 % du PIB (Banque mondiale, 2024), a vidé les caisses de l’État, tandis que la corruption et une gestion désastreuse ont achevé de paralyser les services publics. Aujourd’hui, plus de 60 % des hôpitaux fonctionnent à capacité réduite, selon l’Ordre des médecins libanais, et des centaines d’écoles ferment leurs portes, écrasées par des coûts insoutenables. La livre libanaise, dévaluée de 98 % à 120 000 LBP pour 1 dollar (Banque du Liban, 2023), et une inflation à 200 % (UNDP, 2024) ont transformé des services jadis fiables en coquilles vides, abandonnant une population déjà exsangue.
Une catastrophe sanitaire en cours : le secteur hospitalier en détresse
Le système de santé libanais, autrefois un modèle régional, est à l’agonie. Avant 2019, des hôpitaux comme l’Hôtel-Dieu ou l’Hôpital Rafic Hariri attiraient des patients du Moyen-Orient. Aujourd’hui, ils survivent à peine. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) rapporte que 70 % des établissements publics et privés manquent de médicaments essentiels – antibiotiques, anesthésiques, insuline – depuis 2022. Les patients, comme Mona, 38 ans, diabétique à Beyrouth, doivent acheter leurs propres seringues et insuline sur un marché noir où les prix ont été multipliés par dix : « Je dépense 300 dollars par mois, mais je gagne 50 dollars. »
Les chirurgies non urgentes sont suspendues faute de matériel. À l’Hôpital Geitaoui, un chirurgien confie que les stents cardiaques, coûtant 1 000 dollars pièce, sont introuvables depuis 2023. Les coupures d’électricité, jusqu’à 22 heures par jour (Électricité du Liban), forcent les unités de soins intensifs à dépendre de générateurs au mazout, dont le prix a explosé à 1 million de LBP le bidon (8 dollars au taux parallèle). En février 2025, un nourrisson est mort à Tripoli faute de respirateur fonctionnel, un drame devenu trop banal.
La fuite des cerveaux aggrave la crise. L’Ordre des médecins estime que 4 000 médecins – 40 % de la profession – ont quitté le pays entre 2020 et 2024, direction le Golfe ou l’Europe, où un chirurgien gagne 5 000 dollars par mois contre 100 dollars à Beyrouth. Les infirmiers suivent : 50 % des effectifs publics ont disparu (Syndicat des infirmiers, 2024). « On travaille dans le noir, sans salaire, sans espoir », déplore une infirmière de l’Hôpital Saint-Georges. Le système de santé, pilier du Liban, risque de s’effondrer totalement, laissant une population vulnérable face à une crise sanitaire imminente.
L’éducation en crise : un secteur en pleine implosion
L’éducation, jadis fleuron du Liban, s’effrite sous les coups de la crise. Avant 2019, 70 % des élèves fréquentaient des écoles privées, réputées pour leur excellence (ministère de l’Éducation). Aujourd’hui, ces institutions, confrontées à des frais de fonctionnement multipliés par dix (mazout, salaires en dollars), sont au bord de la faillite. Les frais de scolarité à l’Université Américaine de Beyrouth (AUB) atteignent 25 000 dollars par an en 2024, contre un revenu familial moyen de 1 200 dollars (Banque mondiale, 2024). Résultat : les inscriptions chutent de 15 % à l’AUB et de 30 % à l’Université Libanaise (UL), passant de 80 000 à 56 000 étudiants.
Les écoles publiques, gratuites mais sous-financées, croulent sous la demande. À Zahlé, une classe de 20 élèves en 2019 en compte 50 en 2025, sans livres ni chauffage. Les enseignants, payés 50 dollars par mois contre 1 000 avant la crise (Syndicat des enseignants), désertent ou font grève. « Je ne peux pas nourrir mes enfants avec ce salaire », explique Rana, professeure à Beyrouth, partie enseigner au Qatar pour 3 000 dollars mensuels. En 2024, 30 % des profs publics ont quitté leurs postes, laissant des élèves sans encadrement.
Le Liban, qui exportait ses diplômés – médecins, ingénieurs – dans le monde entier, voit son avenir académique s’effacer. « Une génération sacrifiée », alerte un doyen de l’UL, alors que les infrastructures se dégradent : fuites, pannes, et laboratoires à l’abandon. Sans éducation, le pays perd son dernier rempart contre le déclin.
Des administrations paralysées et un État absent
Les services administratifs, censés être le squelette de l’État, sont en ruine. Obtenir un passeport, un permis ou un acte de naissance est un calvaire. À l’Intérieur et Municipalités, les délais s’étendent sur six mois, contre deux semaines avant 2019. Les bureaux, faute d’électricité et de personnel, tournent au ralenti. En 2023, 40 % des fonctionnaires ont déserté, leurs salaires dévalués à 30 dollars mensuels (Banque du Liban, 2023).
La corruption, endémique – le Liban est 154e sur 180 à l’indice de perception 2023 – gangrène le système. À Tripoli, un employé demande 200 dollars pour accélérer un passeport, une pratique courante selon Transparency International. Les citoyens, comme Sami, 45 ans, garagiste à Saïda, se détournent vers le privé : « J’ai payé un intermédiaire 300 dollars pour un acte de naissance. L’État n’existe plus. » Ce recours au privé creuse les inégalités, réservant les services à une élite.
Un gouvernement impuissant face à la crise
Le gouvernement, en gestion courante depuis le vide présidentiel d’octobre 2022, est un spectre impuissant. Les fonds publics, pillés par des décennies de corruption – 40 % détournés (Transparency International) – sont épuisés. Le budget de la santé, à 1 milliard de dollars en 2018, est tombé à 100 millions en 2023 (ministère des Finances). L’éducation suit : de 2 milliards à 200 millions (ministère de l’Éducation). Les aides internationales, comme les 11 milliards promis par la conférence CEDRE en 2018, restent bloquées faute de réformes.
Les divisions politiques – Hezbollah, Amal, Forces libanaises – paralysent toute action. « On promet des miracles, mais on ne fait rien », ironise un député anonyme. Les manifestations, de Beyrouth à Tripoli, traduisent la colère : en janvier 2025, des pneus brûlent devant le Parlement, exigeant des services dignes. Mais l’État, un colosse aux pieds d’argile, n’a ni argent ni volonté pour répondre.
Quelles solutions pour éviter un effondrement total ?
Face à ce naufrage, des experts et ONG proposent des pistes, mais leur mise en œuvre dépend d’une volonté politique inexistante.
Un financement d’urgence du secteur médical
L’OMS et des ONG comme Médecins Sans Frontières plaident pour une aide de 500 millions de dollars, sous supervision internationale pour contourner la corruption. Cela permettrait de réapprovisionner les hôpitaux en médicaments (20 % des stocks disponibles en 2024) et de payer les salaires, stoppant l’exode médical. Mais sans contrôle, les fonds risquent de s’évaporer, comme les 1,5 milliard de dollars d’aide post-explosion de 2020 (Banque mondiale, 2023).
Une réforme profonde du système éducatif
Un fonds spécial de 300 millions de dollars, financé par des donateurs (France, UE), pourrait sauver les écoles et universités. Réguler les frais de scolarité – plafonnés à 5 000 dollars annuels – éviterait l’exclusion massive. Mais l’État, endetté et divisé, peine à garantir ces mesures.
La lutte contre la corruption et la modernisation des services publics
Numériser les administrations, comme le propose l’UNDP, réduirait les délais à deux semaines et limiterait les pots-de-vin. Une supervision indépendante, via une commission internationale, assurerait la transparence. Mais les élites, bénéficiaires du chaos, bloquent tout.
Un accord avec le FMI pour relancer l’économie
Un accord complet avec le FMI, négocié depuis 2020 pour 3 milliards de dollars, pourrait injecter des liquidités dans les services publics. Une aide partielle ne repousserait l’épuisement qu’à 2026, pas au-delà (Reuters, 2022). Les réformes exigées – audit bancaire, unification du taux – sont sabotées par les factions politiques.
Un avenir incertain pour les services publics libanais
Sans intervention, le Liban court à la catastrophe. Le système hospitalier pourrait devenir inopérant d’ici 2026, avec des morts évitables en cascade. L’éducation, réservée à une élite (10 % des élèves en 2024), laisserait 90 % des jeunes sans avenir. Les administrations, déjà fantomatiques, sombreraient dans un chaos total, rendant impossibles passeports ou permis.
Les Libanais, épuisés, se débrouillent seuls. À Beyrouth, des cliniques privées à 500 dollars la consultation émergent, hors de portée pour 82 % de la population (UNICEF, 2024). À Saïda, des écoles informelles, tenues par des bénévoles, remplacent les établissements publics. Mais ces pansements ne remplacent pas un État. Sans réformes radicales et un accord global avec le FMI, le Liban deviendra un pays où les services publics ne seront qu’un souvenir, abandonnant ses citoyens à un déclin irréversible.