TRUMP S’EN VA, SON HERITAGE ET LES PROBLEMES DEMEURENT

Le calme après la tempête, une atmosphère d’apaisement, un sentiment de soulagement règne suite à une transition des plus tumultueuse singulière – une telle contestation autour d’une transition présidentielle est du jamais vu depuis 1877- et le départ chaotique, presque aux forceps, de Donald Trump qui par ailleurs boycottera la cérémonie d’investiture de son successeur, une première. 

Jusqu’au dernier moment les Etats-Unis et le monde auront retenu leur souffle tant le pire était à craindre après la prise du Capitole ; scène quasi surréaliste lors de laquelle la réalité aura dépassé la fiction. Crise du coronavirus, récession, profondes tensions sociales, sociétales et raciales, scandales, l’Amérique est en proie au pessimisme.  La pandémie   du covid-19 est la plus grande crise sanitaire qu’ont connu les Etats-Unis depuis la grippe espagnole en 1918 et elle a touché de manière disproportionnée les classes les plus défavorisées, les personnes âgées et les minorités. D’autant plus que les républicains avaient auparavant démantelé en partie l’Obamacare sans proposer la moindre solution de rechange mais aussi réduit les programmes alimentaires et de lutte contre la pauvreté. Ainsi, des millions d’Américains ont vu leur mince filet social se réduire davantage.

Aussi, Biden hérite-il d’une Amérique fragilisée, fracturée et polarisée qui se réveille, hagard et hébétée, avec la gueule de bois d’un long cauchemar. Une accalmie aussi pour le Moyen Orient, qui aura de la peine à se remettre des secousses et des bouleversements occasionnés par l’une des administrations les plus conflictuelles qui soit. En quatre ans, Trump et sa garde rapprochée auront franchi allègrement toutes les lignes rouges, fait fi de tous les usages et règles diplomatiques mais aussi des principes fondamentaux du droit international.

Celui qui promettait de rendre l’Amérique « Great again », de s’attaquer aux flux migratoires, au libre-échange, de pourfendre l’establishment et les lobbyistes de Washington, de rendre à l’homme de la rue ses emplois et sa dignité aura gouverné de manière erratique, ubuesque, à coup de tweets, d’« alternative facts », de revirement, de népotisme et de coup de tête. Beaucoup de promesses malheureusement tenues même si certaines n’auront pu aboutir grâce au garde-fou judiciaire.Versatilité, inexpérience, amateurisme, relativisme scientifique, incohérences, ignorance, puritanisme et mythologie religieuse, vulgarité, arrogance, mépris, cynisme, marchandages, crudité, provocations, préjugés, racisme, antisémitisme, islamophobie, homophobie, sexisme, scandales, polarisation auront marqué le mandat de celui qui aura accédé dans l’incrédulité générale à la tête de la première puissance mondiale.  Une victoire acquise principalement à la faveur de la crise de la mondialisation ; de la violence du néolibéralisme ; de la montée des nationalismes et de la vague populiste ; des replis identitaires ; de la crise de confiance à l’égard du politique et du système, de la trahison des élites au sens large. Tant les causes qui ont facilité son élection que les effets de sa politique sont toujours d’actualité. Ils constituent les ingrédients d’un cocktail explosif qui pourrait mener le pays au bord de l’implosion sous l’effet de la violence interraciale et du terrorisme notamment celui d’une extrême droite ultra-nationaliste et suprématiste qui représente désormais une menace transnationale.

Donald Trump restera avant tout comme le premier président à avoir été visé par deux procédures de destitution. Il aura entretenu le mythe du vol de l’élection et convoqué ses partisans à Washington pour protester contre la certification du vote du Collège électoral.

L’histoire retiendra aussi ses liens complexes avec la droite, la montée de l’extrémisme violent et la prolifération virale des thèses conspirationnistes qu’il a encouragées, voire légitimées. Sa gestion irresponsable des manifestations meurtrières de Charlottesville en 2017 – lors desquelles il a vu « de bonnes personnes » parmi les manifestants néonazis et traité les Antifa de terroristes – son absence de compréhension et de compassion lors de la mort de Breonna Taylor et de Georges Floyd et lors de l’essor du mouvement « Black Lives Matter » ont exacerbé les tensions raciales et la violence entre les groupes d’extrême-droite et d’extrême gauche.

Il aurait mis la démocratie et le fonctionnement des institutions à rude épreuve et réussi à convaincre des millions d’Américains, à coup de mensonges, de faits alternatifs et de désinformation, de sa version falsifiée de la réalité. Ainsi, pas moins du trois quarts de ses électeurs pensent qu’il a remporté l’élection présidentielle et que sa victoire lui a été usurpée par l’establishment. Il aura plus qu’aucun président auparavant exploité la puissance des médias sociaux et brouillé les frontières entre le divertissement et la politique de manière à contourner les critiques et à se connecter directement à ses partisans.

S’il n’a pas créé ces fractures il aura fortement contribué à les aggraver et les accentuer. Ses excès, son attitude désinvolte, ses propos provocants et ses mesures irréfléchies auront décomplexé et galvanisé les franges les plus radicalisées de l’ultra droite. Il aura ainsi écourté la mèche de l’exposition à venir dont les charges étaient déjà implantées. Trump et son administration ont accéléré des mécaniques déjà enclenchées et réveillé les vieux démons, qui ressurgissent au gré des crises et des périodes, et dont les racines idéologiques remontent aux origines des Etats-Unis.

L’alerte a été chaude, et si la catastrophe a été évitée de justesse, le danger n’est pas pour autant écarté.

Trump aura mis en exergue les dysfonctionnements, les failles, les faiblesses inhérentes à la société et au système, l’envers du décor et ses contradictions flagrantes. Il aura mis à nu toutes les ambiguïtés du système capitaliste : le racisme, l’exploitation et le mépris de classe.  Autant de facettes et de constantes que le système s’est toujours évertué à masquer et que Trump a révélé jusqu’à s’en vanter. Il a ainsi exprimé les peurs et les inquiétudes de l’Amérique rurale, des travailleurs blancs en proie à la pauvreté et à la crispation identitaire, ceux qui se considèrent les marginalisés, les laissés pour comptes du système. Celui qui s’abritait derrière la Bible, le puritanisme et le prosélytisme évangéliste aura représenté l’effondrement des valeurs morales mais aussi de l’écran éthique des droits de l’homme et de l’idéal démocratique derrière lequel s’abritait le soft power américain.  Il aura rendu l’implicite explicite et aura joint les gestes à la parole exposant ainsi au grand jour l’hypocrisie et la duplicité du narratif américain notamment en matière de politique étrangère.

Au final Trump s’incline devant « Sleepy Joe », sobriquet qu’il a attribué à son adversaire démocrate, le candidat à priori le plus faible de l’histoire du parti démocrate. Un vote sanction qui représente plus une défaite de Trump qu’une victoire de Biden.

L’establishment, mais aussi la gestion erratique et désastreuse de la pandémie du Covid – Trump en aura minimisé la gravité, contredit ses conseillers scientifiques et mis en œuvre une stratégie fédérale chaotique- auront eu raison du bouillant trublion mais ce n’est pas pour autant que l’on pourrait qualifier les choses de retour à la normale, au mieux d’un retour temporaire à l’ordre traditionnel. Une normalité somme toute relative qui aura aussi accouché d’un Georges W Bush et qui demeure en soi un objectif insuffisant voire peu souhaitable et inapte à encadrer les profonds changements en cours.

Si l’inauguration de Biden représente bel et bien un renouveau de l’expérience démocratique américaine, la menace plane toujours et la discorde sera difficile à résorber. Trump a tout de même recueilli plus de 74 millions de votes ; le pays est extrêmement clivé et fait face à une véritable contre-révolution. Plus qu’un simple malaise, une défaillance passagère, les symptômes laissent présager de la gravité de la maladie.  L’invasion du Capitole par des membres de l’alt-right a mis en évidence l’imminence du danger qui guette la démocratie américaine. Une insurrection inédite, du moins depuis la guerre de sécession et la fin de la reconstruction en 1876, et qui a pris des allures de véritable contre-révolution. Jusqu’alors le pays n’avait pas encore pris conscience de l’ampleur de la menace et de la dangerosité d’un mouvement nationaliste blanc violent et surarmé. Ses sympathisants ont pourtant multiplié les actes terroristes ces deux dernières décennies et prouvé qu’ils n’hésiteraient pas à passer à l’acte. Depuis 150 ans, la société américaine n’a jamais été aussi divisée, polarisée ; les clivages et les antagonismes se sont approfondis et, tout comme au XIXe siècle, la fracture a lieu autour des relations raciales.

Trump s’en est allé mais ses méfaits et leurs effets demeurent, le mal est fait, le vers est dans le fruit déjà atteint depuis longtemps. Les idées qu’il représente, ceux qui s’en réclament et s’y rallient – partisans, électeurs, élus, (gouverneurs, juges, sénateurs et représentants) sont toujours là.

Plus que tout autre président il aura remodelé le système judiciaire et y aura initié une révolution de droite apportant selon Mary Frances Berry, professeur d’histoire américaine et de pensée sociale à l’Université de Pennsylvanie et ex membre de la Commission américaine des droit civils, un changement durable au cours des 20 prochaines années dans la façon dont les politiques résisteront aux tests juridiques.

« Les tribunaux sont contrôlés par des personnes nommées par les républicains. Parfois, les juges nous surprennent, mais dans la plupart des cas, les preuves historiques montrent qu’ils font à peu près ce que leur politique et leurs antécédents disent qu’ils feront. »

Après Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh il a nommé – juste avant les élections, une première dans les annales –  un troisième juge à la Cour suprême en la personne de la très conservatrice Amy Coney Barrett suite au décès de la progressiste Ruth Bader Ginsburg

Depuis Richard Nixon aucun président n’avait lors de son premier mandat autant marqué de son empreinte la plus haute juridiction du pays. Ainsi, Trump et sa majorité républicaine au Sénat auront nommé 218 juges fédéraux, plus de 25% du total. En majorité des hommes à 75%, jeunes et blancs à 85%, tous sélectionnés par des groupes de pression socialement, économiquement et religieusement conservateurs qui constituent la colonne vertébrale du parti. Ces juges pourront défendre les orientations républicaines pendant des décennies, ce qui représente le legs le plus important de Trump.

Trump a quitté la Maison Blanche mais non la scène politique et médiatique encore moins la politique de scène ; il a d’ailleurs évoqué lors de son départ le 20 janvier un retour « sous une forme ou une autre ».

Les spéculations quant à une nouvelle candidature de Trump à la présidentielle de 2024 “se multiplient”, observe The Hill. Depuis la Floride il a même évoqué la possibilité de créer un nouveau parti politique qu’il envisagerait d’appeler le « parti patriote ». Un nom qui fait écho à la rhétorique de nombreux groupes d’extrême-droite, dont des milices antigouvernementales, qualifiés ironiquement de “Y’all Qaida” (Rural Qaida) ou encore “Vanilla Isis” (Daech à la vanille). Trump sait qu’il reste très populaire auprès des électeurs républicains – selon un sondage publié par NBC News, à la mi-janvier, 87 % d’entre eux soutenaient son action – et qu’il peut s’appuyer sur une large base de partisans dont certains n’étaient pas de fidèles républicains avant la campagne présidentielle de 2016. S’il possédait son propre parti, il pourrait donc réellement empêcher d’autres candidats républicains de se présenter à la présidence. Aussi, si le 20 janvier marque la fin de la présidence elle ne ferme pas pour autant la porte au mouvement Trump.

Bien que largement surnommés « suprématistes blancs », les foules qui ont pris d’assaut le Capitole englobent un réseau hétérogène de groupes et d’organisations qui comprend entre autres les « Proud Boys », déclarés récemment groupe terroriste par le Canada, les membres de Qanon, des milices armées et groupes paramilitaires à l’instar des « Oath Keepers » et des « Three percenters, qui prônent la résistance contre le gouvernement fédéral. Autant de groupes distincts qui bien qu’indépendants, sont unis par leur idéologie d’extrême droite, leur composition majoritairement blanche et masculine ainsi que leur fidélité à Trump qui alimente leur fanatisme et leur angoisse blanche identitaire. Elevé au rang de symbole, de rempart contre la « brownification » du pays, le président sortant représente une bannière sous laquelle ils se rassemblent.

Trump s’en est allé mais la haine qu’il a ravivé s’est largement répandue.  Il y a des signes que la menace représentée par ces groupes risque probablement de s’intensifier dans les mois à venir. La période actuelle est particulièrement dangereuse car ils y perçoivent à la fois des éléments de victoire et de défaite. Certains considèrent la prise du Capitole comme une réalisation historique et la célèbrent en ligne comme « le jour de l’indépendance ». Cependant, le départ de Trump de la Maison-Blanche réduit leur espace politique et constitue un revers. Si la majorité des citoyens pro-Trump passeront à autre chose, les ultras les plus radicalisés verront les quatre prochaines années comme une

Si les 17 premières mesures ou actions présidentielles prises par le président Biden ont permis d’effacer d’un trait de plume certaines décisions phares de son prédécesseur, elles concernent avant tout, hormis le retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris sur le climat, et au sein de l’OMS, des questions internes.[1]

En plus du retour dans l’accord de Paris il reviendra aussi sur une série de mesures de dérégulation prises par l’administration sortante en matière de normes environnementales et révoquera l’autorisation donnée par Donald Trump au projet controversé d’oléoduc Keystone XL, entre les Etats-Unis et le Canada.

Le président sortant avait fait de la lutte contre l’immigration illégale un marqueur de ses quatre années à la Maison Blanche. Biden prendra là aussi le contre-pied promettant d’ores et déjà d’annuler le décret migratoire controversé adopté par son prédécesseur pour interdire aux ressortissants de pays en majorité musulmans d’entrer aux Etats-Unis. Cette mesure était « enracinée dans la xénophobie et l’animosité religieuse », justifie Jake Sullivan, le futur conseiller à la sécurité nationale. Autre mesure hautement symbolique, Joe Biden signera par une « proclamation » pour suspendre les travaux de construction du mur à la frontière avec le Mexique et son financement grâce au budget du Pentagone, qui ont suscité d’âpres batailles politiques et judiciaires ces quatre dernières années. L’équipe Biden transmettra en parallèle un projet de loi sur l’immigration au Congrès et offrira notamment aux 700 000 jeunes arrivés clandestinement aux Etats-Unis lorsqu’ils étaient enfants, les «Dreamers», et aux autres immigrés en situation irrégulière une possibilité de naturalisation à terme et sous conditions.

D’un côté, il est impératif pour le nouveau président de marquer une rupture aussi nette que possible avec son prédécesseur. De l’autre, une frange des inconditionnels de Trump n’a pas accepté sa défaite et pourrait en cas de provocation faire preuve de violence.

De par son expérience et sa capacité à collaborer avec les Républicains Joe Biden pense être en mesure d’adopter une posture d’équilibriste politique peu aisée et n’a cesse d’insister depuis sa victoire qu’il veut être le président de tous les Américains. Des intentions louables mais difficiles à mettre en œuvre dans un pays politiquement et socialement plus divisé que jamais. « C’est le principal défi de ce début de mandat, selon Jean-Éric Branaa, spécialiste des États-Unis à l’université Paris II interrogé par France 24. Ce souci de rompre sans heurter a déjà “été le fil conducteur de la composition de son gouvernement”. Face à l’image d’une administration Trump marquée par des nominations de proches souvent peu qualifiés et dominée par la figure du mâle blanc et riche, le futur cabinet de Joe Biden “répond à deux exigences : compétence et diversité”. “Il va réhabiliter le rôle du Congrès et s’assurer que la séparation des pouvoirs est bien respectée”, note le chercheur de l’université Paris II. Une stratégie d’apaisement par un retour à la normalité institutionnelle.De même, le recours à l’arme économique a pour objectif de rassurer l’électorat de Donald Trump et ce n’est pas un hasard politique si “son plan de relance est très fortement axé sur le soutien aux classes moyennes et défavorisées”, note Jean-Éric Brana, des catégories qui représentent la majorité de électeurs de Trump.  Les républicains auront en revanche plus de mal à digérer les premiers jours de la présidence Biden. “Ce sera le temps du détricotage de l’héritage Trump et le choc va être violent”, confirme Jean-Éric Branaa. Un grand nettoyage impératif pour l’électorat démocrate que Biden compte boucler au plus vite afin de tourner la page “pour passer à la phase apaisement de son mandat dès que possible”.

La victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle de 2020 est en grande partie due au travail d’équipe des progressistes et des électeurs des communautés minoritaires qui, avec les modérés, ont collectivement pu obtenir environ 80 millions de voix, battant le record de Barack Obama en 2008 pour le plus de votes jamais exprimés lors d’une élection présidentielle américaine. Bien que Biden ne soit généralement pas le premier choix des membres de l’aile gauche du Parti démocrate, beaucoup ont estimé que l’alliance était cruciale pour renvoyer Donald Trump.  Aussi, dans une élection aux allures de referendum – « pour » ou « contre » Trump-  la majorité des progressistes auront voté contre lui et non pour Joe Biden. Quoi qu’il en soit le poids de l’aile gauche du parti démocrate est désormais déterminant et elle compte bien peser sur les choix du futur président. Pendant la campagne, le sénateur Bernie Sanders avait promis de mettre la pression sur Joe Biden pour qu’il « devienne le président le plus progressiste depuis Franklin Delano Roosevelt », père du « New Deal ».

Les militants les plus à gauche du parti se réjouissent des inflexions que Joe Biden a concédées (sur l’assurance santé pour tous, la réforme pénale ou encore le Green New Deal), même si ce n’est pas leur candidat Bernie Sanders mais la plus centriste Kamala Harris qui a été choisie comme colistière. Si M. Biden a remporté la présidence sans adhérer aux priorités les plus progressistes de son parti – dont l’assurance-maladie pour tous et le « Green New Deal » – il a cependant adopté une vision rooseveltienne comprenant le plan environnemental le plus ambitieux de l’histoire des États-Unis.

Le fait que Joe Biden cherche l’union des démocrates représente un avantage pour les progressistes qui ont un agenda à faire avancer selon   Mark Jones, professeur de science politique à la Rice université de Houston. « L’aile progressiste du parti démocrate est en pleine ascension. Je pense que ce groupe va le plus souvent se montrer coopératif. Mais en même temps, il va essayer de faire avancer son programme idéologique ». Mais ces démocrates veulent aller encore plus loin et se battent aussi pour le contrôle du parti démocrate tout comme le Tea party l’a fait chez les républicains avec Trump.

Biden lui-même a effectué progressivement un recentrage plus à gauche alors que par le passé il avait toujours défendu des positions très à droite notamment sur les questions de société [2].Des prises de position bien éloignées des accusations du camp Trump qui dénonçaient les tendances socialistes, progressistes, voire communistes du candidat démocrate.

Depuis, il a fait preuve d’un revirement sur les questions raciales et sociales. En tant que Vice-président, il finit par soutenir l’égalité de mariage pour les couples homosexuels et tend la main au mouvement « Black Lives Matter » après avoir lutté par le passé contre les mesures de déségrégation.

Ce revirement se confirme symboliquement, en août, lorsqu’il annonce le nom de sa colistière la sénatrice Kamala Harris, de père jamaïcain et de mère indienne. Elle représente l’image d’une administration diverse, métissée et engagée sur la voie de la parité. Jamais avant Harris une femme n’avait accédé à la Vice-présidence. Le tournant devient également palpable grâce au soutien de figures de l’aile gauche du Parti démocrate, comme Bernie Sanders ou Alexandria Ocasio-Cortez, ou encore grâce à son assise électorale auprès de la communauté afro-américaine qui votera massivement pour lui lors du scrutin du 3 novembre.

Progressiste modéré ou conservateur repenti ; opportunisme politique ou bien signe que le conservateur démocrate s’est adapté à son époque ? Son virage est pour le moins significatif de l’histoire d’un parti en pleine mutation. Ainsi, le nouveau président est à la tête de l’équipe la plus diverse de l’histoire des Etats-Unis[3], à l’image de l’Amérique d’aujourd’hui. Dans deux ou trois décennies tout au plus les blancs représenteront moins d’un Américain sur deux.

Mais cette nouvelle génération qui arrive au pouvoir n’est pas une génération spontanée, selon Ray La Raja, professeur de sciences politiques à l’université du Massachusett. « Barack Obama s’était déjà entouré de responsables d’origines variées. Avant lui, Bill Clinton, le premier, avait ouvert plus largement les portes de Washing­ton. Ce passé a permis à Joe Biden de trouver des personnes expérimentées pour jouer désormais les tout premiers rôles. »

À ce stade, il s’agit pour Joe Biden de donner des gages a l’aile gauche du Parti démocrate, qui s’est fortement investit dans la campagne contrairement à 2016.Cependant, Joe Biden risque de s’entourer d’une nouvelle uniformité. « Ces profils correspondent à une véritable diversité démographique, en phase avec l’évolution démographique de la société américaine, surtout dans les villes », précise Ray La Raja. « Mais tous viennent des mêmes grandes écoles. Il y a donc une plus grande diversité démographique, mais autour d’une élite assez uniforme. »

Un autre défi de taille l’attend sur la scène internationale où il devra impérativement rectifier le tir et revenir sur une série de décisions aux effets désastreux. Le moins que l’on puisse dire est que Trump aura fait voler en éclats non seulement le legs diplomatique d’Obama mais aussi les fondamentaux et nombre de constantes de la diplomatie américaine. Jusqu’au dernier moment l’administration Trump aura adopté des décisions corrosives pour le soft power américain, du moins ce qu’il en reste, le multilatéralisme, l’ordre et la sécurité internationale, le droit et la légalité et les engagements des Etats-Unis notamment à l’égard des pays d’Europe de l’Ouest. Des décisions qui en disent long sur l’esprit qui anime cette administration et sa conception du droit et des relations internationales. 

Jusqu’au dernier moment le monde, plus particulièrement le Moyen Orient, aura retenu leur souffle. L’administration Trump engagée dans une course contre la montre aura multiplié, même durant la période dite de transition, des décisions aussi unilatérales que controversées notamment des « cadeaux » à ses alliées les moins fréquentables.

Pour Netanyahu et une pléthore de régimes autocratiques le départ de Trump représente une perte inestimable. Ce dernier aura réussi en quelques mois à arracher par le biais d’une politique transactionnelle – mélange d’incitations, de cadeaux et de chantages – une série d’accords de normalisation entre Israël et des pays arabes. Des accords motivés par des intérêts bilatéraux, l’animosité a l’égard de l’Iran, la course aux armements et une assurance vie aux pires régimes réactionnaires du monde arabe. Le tout au détriment des droits des palestiniens, de la stabilité régionale, du droit international, du droit des peuples à l’auto-détermination et des aspirations démocratiques des peuples de la région.

Parmi ces décisions: La reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, une occupation contre une autre occupation qui s’inscrit dans la ligne annexionniste d’une administration qui aura reconnu la souveraineté israélienne sur Jérusalem et le Golan mais aussi donner son feu vert dans le cadre du  deal du siècle à l’annexion de 30 % de la Cisjordanie; la labélisation “made in Israël” des produits en provenance des colonies qu’elle ne considère plus du reste comme contraire à la légalité internationale; le fait de qualifier comme antisémite le mouvement BDS; l’ajout des Houtis sur la liste des organisations terroristes; de nouvelles sanctions contre l’Iran; l’inclusion d’Israël au sein du CENTCOM, le commandement central des États-Unis qui recouvre le Moyen Orient, le Golfe,  l’Afrique du Nord, l’Asie central, l’Asie du sud ouest; le fait de redésigner Cuba comme «État parrain du terrorisme», frappant le pays avec de nouvelles sanctions qui pourraient paralyser la promesse du président élu Joe Biden de renouer les relations avec l’île ; les contrats de vente d’armes aux Emirats Arabes Unis, signés le jour même du départ de Trump, et ceux à l’Arabie Saoudite, au Koweït et à l’Egypte.

Des gestes qui sont autant de violations supplémentaires du droit et de la légalité internationale mais aussi, pour certains, en rupture avec la position traditionnelle des Etats-Unis. Autant d’embuches qui compliqueront la tache de la nouvelle administration désormais liée par des décisions qu’il lui sera difficile de défaire.

Certes, comme le soulignent de nombreux analystes, il n’aura pas engagé les Etats-Unis dans de nouvelles guerres, mené d’interventions militaires directes ni ordonné l’envoi de troupes supplémentaires. Bien au contraire il aura réduit les effectifs des contingents notamment en Syrie, en Afghanistan, en Irak mais aussi en Europe. Le bain de sang américain n’est pas nouveau, Trump ne l’a ni créé ni arrêté mais l’a entretenu tout en pavant la voie à de futurs conflits.  Il a alimenté et soutenu les guerres en cours, couvert des interventions militaires, mené des guerres par procuration, commandité des assassinats politiques, protégé des dictateurs, encouragé la course aux armements et la militarisation du Moyen Orient, exacerbé les tensions régionales, aggraver les lignes sectaires, fragilisé les processus de paix et les efforts diplomatiques, encourager la course aux armements et la militarisation a outrance du Moyen Orient, fragilisé les processus de paix et les efforts diplomatiques, renié des accords multilatéraux, lâché ses alliés Kurdes.

De l’Egypte à l’Arabie Saoudite, des Emirats au Bahreïn, de la Turquie à Israël, il aura garanti l’impunité aux dictateurs les plus sanguinaires et octroyé un quasi cheque en blanc aux abus, crimes, répressions et atteintes aux droits de l’homme perpétrés par leur régime. Il aura soutenu des crimes contre l’humanité notamment la guerre au Yémen, « la pire crise humanitaire dans le monde » selon les Nations Unies allant jusqu’à apposer son veto à une résolution du Congrès visant à bloquer la vente d’armes à l’Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis

Le « mérite » de Trump aura été de relativiser la fiabilité de l’allié américain, d’en dévoiler la versatilité et donc de faire évoluer le débat outre atlantique quand à une défense européenne plus autonome. Son recours abusif, arbitraire et systématique à l’arme des sanctions économiques aura entrainé une remise en question de la dollarisation des échanges et boosté la recherche d’une alternative au dollar afin de diminuer la dépendance des acteurs vis à vis de Washington. Trump aura aussi mis à jour toutes les failles, les anomalies, les dysfonctionnements du système américain : le cynisme, l’hypocrisie, les non-dits, la duplicité du soft power américain et la réalité des marchandages politiques et économiques sans fioritures ni pincettes. Avec Trump, les Etats-Unis sont sortis du bois et se sont départis du vernis éthique et moralisateur qui maquillait la réalité de leur politique internationale.

Il a notamment révélé la vérité sur les monarchies pétrolières Golfe ainsi que sur les intentions israéliennes. Il aura protégé le prince héritier MBS à coup de chantage politique et financier et obtenu des Emirats et de Bahreïn une victoire diplomatique qu’il entendait capitaliser dans la course a la Maison Blanche. L’impudence de son « deal du siècle » aura vidé le processus de paix déjà moribond de sa substance et définitivement mis fin a l’illusion d’Oslo et aux négociations sur le statut final en déclarant « off the table » l’ensemble des questions épineuses et fondamentales : Exit les résolutions du Conseil de sécurité, l’Etat palestinien, les frontières de 67, le statut de Jérusalem, le gel de la colonisation et le droit au retour des réfugiés. Le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem et la reconnaissance de l’annexion du Golan aura mis fin au principe de la « terre contre la paix » et balayé ce qu’il restait de l’initiative de paix arabe de 2002.

Un plan qualifié par Gideon Levy « de dernier clou dans le cercueil de ce cadavre ambulant connu sous le nom de solution à deux États » et qui a créé une réalité « dans laquelle le droit international, les résolutions de la communauté internationale et en particulier les institutions internationales n’ont aucun sens ».

Un changement de style, de méthode mais au final une grande continuité avec les administrations précédentes notamment sur le Moyen Orient où Trump aura bousculé les lignes rouges virtuelles. Loin de représenter une rupture radicale avec ses prédécesseurs il aura surtout transformé en coups d’essais leurs véritables orientations ; son action se situant dans la suite logique d’une politique en cours depuis des décennies. Il en est ainsi du train de normalisations arraché dans la dernière ligne de son mandat grâce à un timing idéal et le recours tout azimut à une politique transactionnelle et une approche purement utilitariste. Des normalisations dont les jalons étaient déjà posés depuis longtemps et qui n’ont fait qu’officialiser des relations feutrées vieilles de plus de trois décennies.

De l’Iran au Liban, d’Israël à la Palestine, de Damas aux pays du Golfe, du cout des normalisations à la sortie de l’accord sur le nucléaire, des assassinats à la question des droits de l’homme, Biden hérite d’un patchwork de crises et de relations dysfonctionnelles.

Aussi, devra-t-il en priorité s’atteler de recoller les morceaux, réparer les dégâts et nettoyer le désordre créé par Trump. En a-t-il seulement les moyens et la volonté ? dans quelle mesure est-il disposé à se distancier de l’héritage de l’administration Trump et de ses apprentis sorciers, de Kushner à Friedman en passant par Pompeo ?

D’autant plus que Trump, Netanyahu et ses alliés arabes, en premier lieu Mohamed Ben Salman et Mohamed Ben Zayed, s’évertuent déjà à lui mettre des bâtons dans les roues sur le dossier iranien. A cela s’ajoutent les nombreuses autres priorités et le fait de tenir compte du Congrès, du Département d’État, du Pentagone, de la CIA et des lobbies mais aussi le bras de fer au sein du parti démocrate. Autant de considérations qui limitent sa marge de manœuvre.

Ce qui est certain c’est qu’il effectuera un virage diplomatique et introduira une détente dans les rapports internationaux en revenant a une approche plus apaisée, privilégiant les voies de la négociation, de la diplomatie, et d’un multilatéralisme battu en brèche par son prédécesseur. Il a d’ores et déjà promis une nouvelle ère après la politique étrangère brouillonne de son prédécesseur.

« L’Amérique est de retour, la diplomatie est de retour », a martelé Joe Biden ; « Nous allons rebâtir nos alliances », a-t-il de nouveau promis le 4 Février lors de son premier discours de politique étrangère prononcé au Département d’Etat. “Les alliances américaines sont nos plus grands atouts”, a-t-il déclaré, ajoutant que guider la diplomatie signifiait “se tenir à nouveau épaule contre épaule avec nos alliés et partenaires clé”

 Il a défendu les valeurs classiques de la diplomatie américaine comme la promotion de la démocratie et des droits humains, délaissées selon lui par Donald Trump.

Biden va inverser et reconsidérer certaines décisions et mettre fin à la politique transactionnelle et à la méthode du chantage tant privilégiées par Trump[4]. Il pourrait ainsi sans porter préjudice aux normalisations, qu’il approuve et soutien, en revoir pour certaines les conditions et les modalités qui ont permis leur conclusion afin de revenir selon les cas sur des décisions controversées et prises a la hâte. Ce qui ne portera aucun préjudice à Israël, bien au contraire, ni aux accords obtenus.

Le nouveau secrétaire d’Etat Anthony Blinken a affirmé lors de son audition de confirmation au Senat : « Je pense qu’il y a un certain nombre de choses, d’où je me suis assis, que l’administration Trump a fait au-delà de nos frontières que j’applaudirais … Le travail qui a été fait pour faire avancer la normalisation avec Israël, j’applaudis. Cela rend Israël plus sûr, cela rend la région plus sûre, c’est une bonne chose. J’espère que nous pourrons bâtir sur cela. Lors de son premier point de presse, Ned Price, porte-parole du secrétaire d’État, a précisé : « Les États-Unis continueront à recommander à d’autres pays de normaliser leurs relations avec Israël. » tout en ajoutant que cette normalisation « n’est pas un substitut à la paix israélo-palestinienne. » L’administration Biden va sans doute surfer sur la vague et proposer d’élargir les accords d’Abraham à d’autres Etats

Il n’en demeure pas moins que Biden semble freiner ce processus à tout le moins de remettre en cause certaines de ses modalités : Ainsi les Etats-Unis ont suspendu la livraison des chasseurs F-35 aux Emirats ainsi que celles de munitions au Royaume Wahhabite. Il est probable que son administration renoncera à reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental octroyée en échange de la normalisation avec Israël.

Dans ses derniers jours, l’administration Trump a désigné les Houthis comme une organisation terroriste étrangère nonobstant le risque d’un tel acte sur l’acheminement de l’aide humanitaire. D’autant plus qu’une telle décision pourrait provoquer une rupture du timide dialogue entamé au Yémen. Invoquant des préoccupations humanitaires, Antony Blinken a annulé la décision de dernière minute de son prédécesseur Mike Pompeo. Le département d’État a cependant souligné que la révocation de la désignation ne reflétait en aucun cas les vues américaines sur les Houthis. Cette décision pourrait aussi être perçu par l’Iran comme un geste de bonne volonté alors que les deux pays s’apprête à des tractations complexes pour sauver l’accord sur le nucléaire iranien.

Autre signe d’apaisement, le rappel par le Pentagone porte-avions USS Nimitz, envoyé par Trump dans les eaux du Golfe persique pour faire étalage de force et pression sur Téhéran.

La première semaine du président Joe Biden a donné lieu à une franche condamnation des politiques de l’administration Trump et à une réaffirmation de son engagement à faire progresser la démocratie et les droits de l’homme dans le monde – à l’exception notable d’Israël. En effet, le président américain s’est à maintes reprises engagé à ne jamais imposer de conditions à l’assistance militaire américaine, malgré les appels des démocrates progressistes à le faire. En mai dernier, Tony Blinken, à présent secrétaire d’État, avait assuré à un groupe pro-israélien qu’une administration Biden «ne lierait pas l’assistance militaire à Israël aux décisions politiques qu’elle prend. » Des valeurs qui loin d’être absolues et poursuivies de manière impartiale ne s’appliqueront donc pas à Israël en dépit de ses graves violations du droit international.

Son administration a promis de réévaluer selon le critère des droits de l’homme ses relations avec l’Arabie Saoudite et de mettre fin au soutien américain à la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen. « Nous renforçons nos efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre au Yémen», «  qui a créé une catastrophe humanitaire et stratégique », a déclaré Biden dans son premier discours de politique étrangère. « Cette guerre doit cesser », a-t-il martelé, confirmant la nomination d’un diplomate chevronné, Timothy Lenderking, comme émissaire pour le Yémen. « Et pour souligner notre détermination, nous mettons fin à tout soutien américain aux opérations offensives dans la guerre au Yémen, y compris aux ventes d’armes. » Concrètement, Washington va annuler la vente controversée à Riyad de « munitions de précisions » décidée à la fin du mandat de Trump, qui a toujours soutenu, envers et contre tout, le royaume saoudien, pilier avec Israël de sa politique anti-Iran. Cette remise en cause du soutien à l’Arabie saoudite[5] signifiera-t-elle pour autant un changement de la stratégie des Etats-Unis au Moyen Orient ? Rien n’est moins sur.

Considérée pourtant comme une « priorité cruciale » par la Maison-Blanche, Joe Biden n’a pas évoqué lors de son discours la question du retour dans l’accord de 2015. L’éventualité d’un retour prochain des Etats-Unis à cet accord est une véritable hantise tant pour Israël que les pays du Golfe. Israël a de longue date dénoncé ce « deal », et perçoit un retour aux pourparlers comme une incitation à court terme, pour Téhéran, à poursuivre son escalade nucléaire, et à multiplier les incidents régionaux. Aussi, les dirigeants israéliens sont fermement opposés à tout retour a cet accord et font déjà pression par tous les moyens sur la nouvelle administration afin de l’en dissuader.

 Face à l’annonce il y a trois semaines de Téhéran d’augmenter la production d’uranium enrichi de nature à raccourcir le délai de fabrication d’une bombe, l’état-major de Tsahal, qui a longtemps temporisé, multiplie désormais les menaces et les mises en garde. Ainsi, le ministre israélien des Affaires étrangères, Gaby Ashkenazi a affirmé qu’Israël devait « maintenir sur la table une option militaire crédible ». Selon le spécialiste du monde arabe et musulman de la chaîne Hadashot 13, Tsvi Yehezkeli,  l’opération aérienne qui s’est déroulée le 10 février dans la zone frontalière entre l’Irak et la Syrie. constitue des messages « subliminaux » adressés au président Joe Biden : le pousser à adopter l’option militaire face à l’Iran, lui faire comprendre qu’Israël n’hésitera pas à le faire si c’est nécessaire mais aussi de faire comprendre qu’au-delà du programme nucléaire le problème avec l’Iran réside également dans son soutien au terrorisme, son programme balistique et sa tentative d’hégémonie régionale.

Quelques jours après la déclaration sur NBC NEWS du secrétaire d’État américain selon laquelle “l’Iran serait à quelque mois de disposer suffisamment de matériel pour construire une bombe nucléaire – un délai qui pourrait être réduit à ‘quelques semaines’, si la République islamique continue de violer l’accord signé avec les puissances mondiales” l’évaluation annuelle des renseignements israéliens a présenté une prévision complètement différente. Selon le rapport établi par la Direction du renseignement militaire, il faudrait au moins deux ans à l’Iran pour obtenir une arme nucléaire si le régime voulait franchir ce seuil. Selon Ben Caspit journaliste pour Al-Monitor et analyste politique pour plusieurs journaux israéliens , ce rapport a été conçu avant tout pour calmer le sentiment d’urgence américain de négocier avec Téhéran. Les commentaires de Blinken ont été perçus en Israël comme une tentative de fournir un alibi préalable à une éventuelle décision du président Joe Biden sur un retour rapide à l’accord nucléaire.

Le choix, en dépit des pressions israéliennes et de l’opposition des néo-conservateurs, de Robert Malley – Président et CEO d’International Crises Group, coordinateur de la Maison Blanche pour la région MENA sous Obama, négociateur en chef lors de l’accord sur le nucléaire iranien – comme représentant spécial pour l’Iran est un signal fort quand aux orientations de l’administration Biden concernant l’Iran mais aussi le dossier israélo-palestinien. La nomination de Malley signifierait que Biden est sérieux quand a une relance de l’accord avec l’Iran. Un choix qui a provoqué l’ire des néo-conservateurs, a suscitée les inquiétudes en Israël et une levée de boucliers des lobbies pro-israéliens.[6]

Si son intention de revenir au JCPOA, Joint Comprehensive Plan of Action, est claire, sa tactique l’est beaucoup moins. Pense-t-il revenir à l’accord de 2015 tel que signé en l’état, à condition que l’Iran se conforme à nouveau à ses clauses ? ou est-il question d’en renégocier certains points et si oui, lesquels ? Alors que l’Iran avait appelé dimanche par la voix se son guide suprême a une levée des sanctions comme préalable au retour aux accord de 2015, Joe Biden a déclaré dans une interview sur la CBS le 7 Février que les Etats-Unis ne lèveront pas les sanctions tant que l’Iran n’aura pas honoré ses engagements. Il a aussi répondu par l’affirmative à la question de savoir si l’Iran devait stopper l’enrichissement de l’uranium d’abord.

Concernant le dossier israélo-palestinien il est d’ores et déjà acquis qu’il reviendra sur nombres de mesures vexatoires et punitives à l’égard des Palestiniens et de politiques considérées comme fortement biaisées en faveur d’Israël.

Ainsi, d’entrée la Vice-présidente Kamala Harris a annoncé trois mesures immédiates :  la reprise des négociations avec les Palestiniens et de l’aide financière directe de Washington ; la réouverture de la mission palestinienne à Washington et la reprise du financement de l’UNRWA.

Cependant, même si le démocrate s’y était ouvertement opposé il ne devrait pas revenir sur le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem ni sur la décision controversée de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, a déclaré Anthony Blinken, lors de son audition de confirmation devant le Sénat. Dans une interview à la CNN, il a refusé de s’engager et de dire s’il soutiendrait que Jérusalem-est devienne la capitale d’un future Etat Palestinien affirmant que les deux parties doivent “se réunir directement et négocier ces questions relatives au statut final”. Toutefois la réouverture du consulat à Jérusalem-Est est un geste qui nuance la décision de Trump : Jérusalem, capitale d’Israël, pourrait être aussi celle d’un hypothétique État palestinien

A noter, que le Sénat américain a voté à une écrasante majorité, seuls trois sénateurs votant contre, le 4 Février le maintien de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem. L’amendement approuvé par 97 sénateurs rend le déménagement de l’ambassade permanent.

Si ne devrait pas revenir non plus, du moins dans l’immédiat, sur la reconnaissance de la souveraineté israélienne sur le Golan accordée par Trump en 2019, son administration semble néanmoins adopter une position plus nuancée qui ouvrirait la voie à une remise en question de la légalité de cette décision.

Ainsi, tout en déclarant que dans les conditions actuelles il soutenait le contrôle par Israël du plateau du Golan, le secrétaire d’Etat a laissé planer un doute sur la légalité de la décision de l’administration Trump.  Soutenant plutôt que ce territoire était essentiel pour la sécurité d’Israël tant que Bashar Assad est au pouvoir en Syrie et que l’Iran est présent en Syrie ainsi que les milices qu’il soutient. « En pratique, le contrôle du Golan dans cette situation reste d’une importance réelle pour la sécurité d’Israël », a déclaré Blinken à CNN. Cependant, il a indiqué qu’à l’avenir, les États-Unis pourraient être disposés à réexaminer cette position. “Les questions juridiques sont autre chose et avec le temps, si la situation devait changer en Syrie, c’est quelque chose que nous examinons, mais nous en sommes encore loin.”

Les commentaires de Blinken contrastent fortement avec ceux de son prédécesseur Mike Pompeo, qui a effectué une visite inédite pour un responsable américain de haut rang sur les hauteurs du Golan en novembre.[7]

La priorité du nouveau président ne sera probablement pas de proposer un nouvel accord de paix israélo-palestinien mais juste renouer le dialogue avec Ramallah et de restaurer la confiance. Joe Biden estime cependant que la seule issue viable au conflit israélo-palestinien est « la solution à deux Etats », comme l’a déclaré Blinken, lors de son audition au Sénat ; un retour donc à la position classique de la diplomatie américaine. « Le président pense comme moi que la meilleure manière, peut-être la seule manière d’assurer à Israël son avenir en tant qu’État juif démocratique, et de donner aux Palestiniens l’État auquel ils ont droit, c’est la solution dite à deux États”, avait-il affirmé, le 19 janvier.

Au cours de ses trois premières semaines, l’administration n’a guère publiquement prêté attention à ce qui se passe entre Israël et les Palestiniens et a adopté une approche prudente du processus de paix évitant pour l’heure toutes initiatives majeures. Du reste, l’administration Biden n’a même pas encore pourvu l’ensemble des postes de haut niveau au sein du Département d’État, et encore moins eu le temps d’élaborer une politique globale en la matière. Il est probable que Biden considère que le conflit ne soit pas encore mûr pour la diplomatie américaine en ce moment.

Détail, significatif : Biden a téléphoné à nombre de chefs d’État et de gouvernement, mais toujours pas à Benyamin Netanyahou plus de trois semaines après sa prise de fonction alors qu’Obama et Trump avaient contacté le premier ministre israélien dès les premiers jours de leur investiture.

Selon Jacob Kornbluh, senior journaliste politique pour le web magazine juif-américain « Forward » l’ex-ambassadeur israélien auprès des Nations Unies Danny Danon lui aurait confié que cette omission était intentionnelle et que la nouvelle administration voulait envoyer un message. Ben Rhodes, conseiller adjoint à la sécurité nationale d’Obama pour les communications stratégiques, a déclaré que la réticence de Biden à contacter Netanyahu ne devrait pas être un choc, étant donné la façon dont il a traite l’ancienne administration de Biden. Mais la réticence de Biden à appeler le dirigeant israélien n’est guère la preuve d’un quelconque rejet du statut d’Israël en tant que l’un des alliés les plus précieux de Washington.

Le mardi 26 janvier 2021, l’administration Biden a présenté ses premiers commentaires détaillés sur sa politique israélo-palestinienne dans un discours prononcé devant le Conseil de sécurité des Nations Unies par l’envoyé américain par intérim Richard Mills.

Le plus remarquable dans le discours de Mills a été l’indication que les États-Unis reprendront l’aide financière à l’UNRWA  confrontée a un déficit de 200 millions de dollars Bien que Mills n’ait pas suggéré une reprise des négociations parrainée par les États-Unis, ni appelé les Palestiniens et les Israéliens à revenir à la table des négociations, il a souligné qu’il tentait de façonner une meilleure situation «pour les deux parties» dans le but final de préserver la possibilité d’un résultat à deux États – un objectif plus illusoire que jamais. A noter que sa déclaration a eu lieu le premier anniversaire de l’annonce du contenu du tristement célèbre « Deal of the Century,

Pour les Palestiniens, le changement sera visible rapidement du moins dans la forme et la méthode. « La priorité de Joe Biden sera de réparer la relation avec Ramallah, très abîmée par son prédécesseur. « Ces quatre dernières années ont été si tendues que la signature d’un accord de paix ces prochains mois est impensable. Il faut d’abord réduire l’intensité du conflit », affirme Ofer Zalzberg, directeur du programme Proche-Orient à l’Institut Kelman pour la transformation de conflit. Cela passe par des gestes d’apaisement tels que la restauration des programmes d’assistance, de coopération sécuritaire et de développement économique en faveur des Palestiniens. Déjà annoncés par Joe Biden et Kamala Harris pendant la campagne, ils seront accompagnés de la réouverture du consulat américain à Jérusalem-Est et de la mission de l’Organisation de libération de la Palestine à Washington.[8]

Malgré les paroles optimistes de Biden, on ne sait pas encore s’il y aura des changements de fond dans la politique étrangère américaine. Il n’est pas clair s’il y aura des conditions supplémentaires pour un retour du bureau palestinien à Washington et de la mission américaine à Jérusalem-Est. Si les annonces de la nouvelle administration ont été saluées par Mahmoud Abbas et son premier ministre Mohammad Shtayyeh, les responsables palestiniens craignent de devoir revenir à la situation antérieure dans laquelle le statut du bureau de Washington sera réexaminé tous les six mois dans le cadre de la législation antiterroriste du Congrès. De plus, on ne sait pas comment la mission américaine à Jérusalem-Est fonctionnera alors que l’administration Biden a déclaré qu’elle n’annulerait pas la décision de Trump de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem.

La réaction des Palestiniens reflète un besoin majeur de retour au statu quo qui existait avant les pressions de Trump visant à forcer les Palestiniens à se rendre aux dictats américano-israéliens et de prendre acte de leur défaite. La décision des États-Unis de réactiver son soutien financier mettra effectivement fin à un siège financier placé sur le gouvernement palestinien et ses institutions. Un relâchement de la pression certes mais on est encore loin d’assister à un effort sérieux et soutenu de Washington pour parvenir a des solutions politiques et exercer un forcing pour faire avancer la paix. Il faut dire qu’entretemps autant les israéliens qu’en principe les Palestiniens seront appelés aux urnes et qu’il faudra donc attendre les résultats de ces deux scrutins.

Moins d’une semaine avant l’investiture du président américain Joe Biden, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a publié un décret ordonnant la tenue d’élections parlementaires et présidentielles dans le courant de l’année ; une décision a été largement interprétée comme un geste envers la nouvelle administration américaine. Ramallah n’a pas caché que la décision de convoquer de nouvelles élections a été stimulée par le changement d’administration à la Maison Blanche.  « Nous faisons cela pour nous et pour notre propre légitimité nationale, mais c’est aussi un message adressé à Biden et à la communauté internationale qui a fait pression pour la tenue d’élections », a déclaré au Times of Israel un haut fonctionnaire palestinien qui a requis l’anonymat

Hanan Ashrawi, a fait de même le mois dernier dans politique étrangère.( Foreign Policy) : « C’est un clin d’œil à Joe Biden et à la nouvelle administration qui disent être une démocratie et répondre aux exigences du moment… Les dirigeants palestiniens envoient des signaux qu’ils sont prêts à jouer le jeu ».

Mais l’administration Biden n’a pas encore reconnu publiquement ces signaux et a réagi à l’initiative avec froideur et un silence presque total.

Une apparente froideur à l’égard des élections palestiniennes qui pourrait être due au fait fait que le vote obligera Washington à se confronter d’entrée de jeu au probable renforcement du Hamas qui devrait gagner du terrain lors du vote et disposer à tout le moins d’une forte minorité au sein du futur parlement palestinien. Un sondage de décembre a montré que 38 % des Palestiniens soutiennent le Fatah pour les élections législatives, contre 34 % qui soutiennent le Hamas. « Tout scénario électoral impliquera l’intégration du Hamas dans le système de l’AP – dans le meilleur des cas, en tant que minorité importante », a déclaré M. al-Omari, chercheur au Washington Institute of Near East Policy. Cependant, Un fonctionnaire du Département d’Etat a insisté sur le fait que les Etats-Unis soutiennent les élections palestiniennes et reconnaîtront les résultats même si le Hamas gagne. Déjà en 2014, l’administration Obama s’était dite disposée à travailler avec un gouvernement d’union technocrate Fatah-Hamas. Aujourd’hui, Israël mène des pourparlers indirects avec le Hamas et contribue à faciliter le flux de dizaines de millions de dollars du Qatar vers le groupe islamiste

« Mais cela crée également un test précoce et compliqué pour l’administration Biden sur ce qu’il faut faire avec le Hamas », a reconnu un ancien responsable de l’administration Obama familier de la question.

L’arrivée du démocrate à Washington rouvre un champ de possibles pour les Palestiniens, même si leurs espoirs et leurs attentes vis-à-vis de Joe Biden doivent rester modestes avant que de connaitre les positions de fond de la nouvelle administration sur les questions clés et jusqu’a quel point fera-t-elle pression sur Israël en faveur de la solution des deux Etats. Il s’agit d’éviter à nouveau le piège de l’attentisme et d’un retour à un processus mortifère qui ouvre la voie à la poursuite d’une politique de faits accomplis irréversibles sur le terrain.

Aussi, le scepticisme doit rester de vigueur. D’abord, parce que le soutien à Israël est un axiome de base de la politique américaine. Joe Biden et Kamala Harris, connus pour leur lobbysmes pro sioniste au Congrès, ne font pas exception.

Ensuite, parce que Joe Biden « devra probablement composer avec un Sénat divisé en deux camps égaux de 50 parlementaires même si la vice-présidente élue Kamala Harris aura le dernier mot pour trancher en cas d’égalité. Il ne pourra donc pas faire table rase de l’héritage politique de Donald Trump dans la région », souligne l’analyste Ofer Zalzberg. Concrètement, son plan de paix, le « deal du siècle », ne disparaîtra pas, « Biden influencera certaines parties de cet accord mais devra en maintenir d’autres. »

Biden a déclaré à plusieurs reprises que son administration reviendrait au consensus international sur cette question ce qui demeure irréaliste tant qu’il n’aura pas dénoncé le « Deal du siècle » et inversé ses effets sur le terrain. Car il est impossible de fusionner la formule des deux Etats aux changements introduits par Trump. La solution à deux États a toujours été une voie d’épuisement et le refus de Biden d’annuler certaines décisions de Trump tout en approuvant la formule des « deux États » sera le nouveau visage de l’annexion de nouveaux territoires palestiniens.

Aucune des premières mesures de la nouvelle administration, aussi bienvenues soient-elles, ne remettra en cause le désastreux statu quo et la cruelle réalité forgée et soutenue par les Etats-Unis. Depuis son entrée en fonction, le président Biden, un fervent partisan d’Israël tout au long de sa longue carrière politique, a clairement indiqué que les États-Unis n’avaient pas l’intention d’annuler les changements politiques controversés de l’ère Trump. Il refuse également de conditionner l’aide américaine à Israël au respect du droit international. « L’idée que nous couperions l’aide militaire à un allié, notre seul vrai partenaire dans la région, est complètement absurde », affirmait-il dans une interview fin 2019.

Le fait que Blinken et Biden aient tous deux exprimé leur opposition au mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), est révélateur d’une certaine continuité avec l’administration Trump.

Tout aussi troublant sont les commentaires de l’envoyée de Biden auprès des Nations Unies, Linda Thomas-Greenfield qui lors de son audition de confirmation au Senat a affirmé :

« Je trouve les actions et l’approche que BDS a prises envers Israël inacceptables. Cela frôle l’antisémitisme et il est important qu’ils ne soient pas autorisés à se faire entendre aux Nations Unies. J’ai l’intention de travailler très fermement contre cela. Les États-Unis n’ont pas d’ami plus proche qu’Israël. »

Au cours de son mandat, Trump a progressivement assimilé la critique d’Israël et du sionisme à de l’antisémitisme, ce qui en fait un discours de haine punissable. Son décret de 2019 oblige les agences fédérales enquêtant sur les plaintes relatives aux droits civiques sur les campus publics à utiliser la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), qui associe la critique d’Israël à l’antisémitisme. À présent, le département d’État de Biden vient d’annoncer qu’il approuve la définition de l’antisémitisme de l’IHRA. Loin de combattre l’attaque frontale de Trump contre la défense des droits de l’homme et la liberté d’expression, Biden marche sur les pas de son prédécesseur. En plus d’approuver la définition de l’IHRA, il s’évertue d’immuniser Israël face aux critiques et à lui assurer une totale impunité.

Un autre indicateur qui ne prête guère à l’optimisme est la réaction de l’administration Biden s’opposant à la décision la Cour pénale internationale qui a statué qu’elle était compétente pour mener une enquête sur les crimes de guerre dans les territoires palestiniens occupés, y compris les colonies israéliennes et son massacre de civils à Gaza. Le 6 février, le département d’Etat a publié une déclaration juridique neutre s’opposant à la compétence de la CPI[9] tout en soulignant que les Etats-Unis en partageaient les objectifs. Cette position intervient juste un jour après que les États-Unis aient salué un verdict de la CPI contre un criminel de guerre ougandais. Le porte-parole de l’État, Ned Price, est allé encore plus loin sur twitter: «Nous continuerons de respecter l’engagement ferme du président Biden envers Israël et sa sécurité, y compris les actions opposées qui visent à cibler Israël de manière injuste.»

En essayant de saborder les efforts judiciaires internationaux pour tenir Israël responsable de ses actions, l’administration Biden poursuit un modèle bipartisan qui remonte au moins à l’administration George W. Bush.[10]

Cette question constituait un test crucial quand aux intentions de Biden et à ses promesses de campagne les plus importantes : retour au multilatéralisme ; restauration du rôle des États-Unis dans la promotion des droits humains ; maintien d’un ordre international fondé sur des règles de droit.

De toute évidence Biden n’est pas Bernie Sanders mais un homme de compromis, un centriste en mesure d’aboutir à un langage commun avec la droite dure du Parti républicain et un ami d’Israël prêt à en couvrir les agissements, la réalité de l’apartheid et lui garantir l’impunité.  

« Il essaiera de projeter une image d’équité et d’équilibre », a déclaré à Reuters Michele Dunne, directrice du programme Moyen-Orient de la Carnegie Endowment for International Peace. « Il ne fait aucun doute que la politique de Biden envers le Moyen-Orient sera très différente de celle de Trump ; la question est de savoir dans quelle mesure ils seront différents de ceux d’Obama. »

« Il ne fait aucun doute que l’administration Biden adoptera la même politique à l’égard d’Israël que celle de Trump même si elle y apportera de légers changements cosmétiques”, estime le chercheur Alaa Tartir, dans une tribune publiée par Al-Shabaka, The Palestinian Policy Network, un think tank basé aux États-Unis.

Et d’ajouter : “Biden ne sera pas le sauveur des Palestiniens, ni le bâtisseur de paix, mais il sera probablement le sauveur de ce qui reste du processus de paix (…). Son administration dépensera d’énormes sommes d’argent et beaucoup d’énergie afin de juste le raviver, et non pour parvenir à une forme de paix réelle et durable.”

Dans le style et la manière l’approche de Biden envers la région sera meilleure que celle de Trump et se traduira par un retour au normes diplomatiques en vigueur de longue date comme il en ressort des propos de Blinken lors de son audition au Sénat : « La seule façon d’assurer l’avenir d’Israël en tant qu’État juif démocratique et de donner aux Palestiniens un État auquel ils ont droit est de recourir à la soi-disant solution à deux États », a déclaré Blinken ajoutant: “En réalité, il est difficile de voir les perspectives à court terme pour aller de l’avant dans ce domaine.”

Joe Biden n’a ni obligation ni volonté politique de renverser les pires concessions de Trump à Israël ; il fera tout au plus du Trump version light.

Nous aurons probablement droit au même vocabulaire devenu si familier au cours des décennies d’échecs des administrations tant démocrates que républicaines. Les débuts de Biden dans l’arène israélo-palestinienne suggèrent un retour aux politiques de l’ère Obama qui n’adresseraient pas les dommages occasionnés par Trump et son équipe. Les Etats-Unis reviendront à une politique de vœux pieux, de condamnation formelle et de « lips service » en opposition à la colonisation et à tout acte unilatéral des deux parties.

Le défi pour Biden sera de savoir comment revenir en arrière et pas seulement à la politique avant l’ère Trump. Il ne suffit pas de retourner à la case départ, à ce qui était, aux pratiques antérieures déjà éprouvées. La rupture doit se faire vis-à-vis des politiques suivies par toutes les administrations précédentes et non juste se contenter de faire du Obama.

 Il ne suffit pas d’être en rupture avec l’administration Trump mais aussi d’être en mesure d’inverser le cours des choses, de démanteler une série de « facts on the ground » qui représentent des obstacles insurmontables à la paix et disqualifient les Etats-Unis en tant que médiateur et parrain du processus de paix. Un retour au statu quo ante Trump est insuffisant d’autant plus que quatre années se sont écoulées aggravants la situation sur le terrain, créant une nouvelle réalité – fondée sur les rapports de forces et des acquis pour Israël- incompatible avec les perspectives d’un Etat palestinien viable et rendant plus complexe la recherche de solution selon le logiciel classique. Trump avait prétendu introduire de nouveaux paramètres prétextant l’échec des approches antérieures tout en occultant les raisons qui y ont menés et la responsabilité directe des Etats-Unis et de leur protégé. En réalité son plan de « paix » s’évertuait à faire du neuf avec de l’ancien et se situait dans la continuité de ce qui avait été fait jusqu’à présent. Trump n’aura fait que forcer le trait en allant jusqu’au bout de la logique d’Oslo et qui n’est que le résultat de la politique suivie par les administrations successives pendant sept décennies.

Certes, les Palestiniens ont leur part de chaos interne, de corruption et de dysfonctionnement politique. Aussi, ils doivent entre autre mettre de l’ordre dans leur maison et restaurer la cohésion de leur cause et l’unité de leur rang. En aucune manière ils doivent se précipiter vers un retour au piège du statu quo et des négociations directes avec Israël sans garanties et assurances solides de la nouvelle administration qui comprennent un calendrier, un horizon clairement définit et les moyens d’y parvenir. Faute de quoi ils se retrouveront à nouveau enlisés dans un face à face mortifère et régit par un déséquilibre abyssal des rapports de forces.

Si un véritable changement devait advenir pendant la présidence Biden il y a fort à parier qu’il ne viendra pas de la Maison Blanche mais plutôt du courant caucus progressiste au Congrès, où un nombre croissant de jeunes voix demandent la fin à l’occupation illégale la plus durable du monde. Nous assistons à un important changement de génération et d’idéologie au sein du Parti démocrate dont l’orientation est en train de changer lentement et progressivement vers un soutien du droit des Palestiniens. Si 70% des israéliens ont une opinion favorable de Trump, les deux tiers des juifs américains ont votés pour le candidat démocrate.  L’osmose entre Netanyahu et Trump a eu pour effet de fragiliser le traditionnel soutien bipartisan à Israël.

Même au sein de l’aile progressiste le chemin à parcourir reste long. Les abus systématiques commis par Israël contre le peuple palestinien se sont poursuivis sans relâche l’année dernière.

Malgré toutes leurs critiques légitimes sur d’autres injustices, les progressistes, à quelques exceptions près, perpétuent une longue tradition de silence sur les injustices dont souffre le peuple palestinien.

À l’exception de ceux qui ont déjà démontré leurs engagements envers la justice pour les Palestiniens, comme Bernie Sanders, Ilhan Omar (D-Minnesota) et Rashida Tlaib (D-Michigan), peu de membres du Parti démocrate ont attiré l’attention sur les violations des droits des Palestiniens qui n’ont fait qu’empirer pendant la pandémie.

Au contraire, beaucoup ont célébré le « retour à la normale » de la politique étrangère américaine représentée par la victoire électorale du président Biden. Les libéraux n’ont donc pas reconnu – ou peut-être intentionnellement ignoré – le solide consensus bipartisan sous les prédécesseurs démocrates et républicains qui a jeté les bases des politiques ouvertement hostiles de Trump envers les Palestiniens.

Passé le cauchemar des années Trump les États-Unis chercheront surtout à revenir à leur ancienne recette impériale enrobée des principes d’un soft power étriqué et à une domination sans prétention au moyen d’une diplomatie qui s’inscrit dans un multilatéralisme de façade. 


[1] Le nouveau secrétaire d’Etat américain Tony Blinken a aussi annoncé que les Etats-Unis vont réintégrer le Conseil des droits de l’homme de l’Onu à Genève, comme membre observateur.

[2] En 1994, il participe à la rédaction d’une loi de lutte contre la criminalité qui emprunte largement au registre républicain de l’ordre sécuritaire. Parmi de nombreuses mesures, la loi élargit l’application de la peine de mort, met en place des camps de redressement disciplinaire et augmente les effectifs de la police. Autre exemple, en 1996, il soutient la loi de défense du mariage qui restreint l’union maritale à un homme et une femme. Jusqu’en 2019, il soutient l’amendement Hyde limitant les subventions fédérales pour les avortements à quelques situations extrêmes (vie de la mère en danger, inceste, viol).

[3]  Linda Thomas-Greenfield, l’une des diplomates afro-américaines les plus renommées qui a longtemps travaillé sur l’Afrique, occupera le siège d’ambassadrice américaine à l’Onu. Alejandro Mayorkas sera le premier Américain d’origine hispanique à superviser la politique migratoire des États-Unis en tant que secrétaire à la Sécurité intérieure. Janet Yellen, 74 ans ancienne cheffe de la FED dirigera le Trésor americain. La pédiatre Rachel Levine Une transgenre rentre pour la première fois au gouvernement au poste de ministre adjointe de la Santé et c’est une femme, Avril Haines, qui dirigera pour la première fois le Renseignement américain

[4] Ainsi, chaque pays a obtenu quelque chose en échange d’une normalisation avec Israël :

Les EAU et Bahreïn des armes notamment la livraison de chasseurs F-35 pour les Emirats; le Soudan l’obtention d’un accord d’aide pour un financement annuel de 1 milliard de dollars de la Banque mondiale et de son retrait de la liste des «États parrains du terrorisme» des États-Unis; et le Maroc l’a fait en échange de la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le territoire contesté du Sahara occidental, une mesure a laquelle sont opposés une majorité des membres du Congrès américain. Même l’Indonésie, le plus grand pays musulman du monde, a affirmé Pompeo, était sur le point de reconnaître Israël pour une poignée de dollars

[5] L’armée américaine continuera à partager des renseignements liés à la défense de l’Arabie saoudite et à soutenir la lutte contre l’État islamique et Al Qaida dans la péninsule arabique, a déclaré le 6 Février le porte-parole du Pentagone, John Kirby. Cependant, elle mettra fin au partage de renseignements liés aux opérations offensives et aux activités de formation pour réduire les pertes civiles, a-t-il déclaré

[6] Pour mémoire, Malley est un ardent défenseur du rapprochement avec la République islamique. Il s’est opposé à l’assassinat du scientifique nucléaire iranien Mohsen Fakhrizadeh, et s’est également opposé aux 12 conditions de l’ancien secrétaire d’État Mike Pompeo pour lever les sanctions contre Téhéran.

Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle son nom suscite actuellement les craintes dans les couloirs du pouvoir à Jérusalem. Il a été négociateur lors des pourparlers de Camp David en 2000, et a été parmi les principales voix a reconnaître que Yasser Arafat n’était pas responsable de l’échec des pourparlers. A plusieurs reprises il a été très critique de la politique israélienne et a également exprimé son scepticisme quant à l’accord de normalisation entre les Émirats Arabes Unis et Israël.

[7] A cette occasion il avait déclaré : “Vous ne pouvez pas rester ici et regarder ce qui se passe de l’autre côté de la frontière et nier la chose centrale que le président Donald Trump a reconnue, ce que les présidents précédents ont refusé de faire”, ajoutant que Pompeo. « C’est une partie d’Israël et une partie centrale d’Israël. »

[8] C’est du moins ce qui figure dans le programme 2020 du parti démocrate, qui soutient également la création d’un État palestinien « viable » dans lequel les Palestiniens « devraient être libres de se gouverner »

[9] « Nous ne pensons pas que les Palestiniens soient considérés comme un État souverain et ne sont donc pas qualifiés pour devenir un État ou participer en tant qu’État à des organisations, entités ou conférences internationales, y compris la CPI », a déclaré le porte-parole du Département d’État Ned Price.

[10] L’année dernière, l’administration Trump a imposé des sanctions à des personnes participant à l’enquête ou aux poursuites contre le personnel israélien ou américain de la CPI, gelant leurs biens et avoirs basés aux États-Unis et leur refusant les visas pour les États-Unis. Cette décision est venue en réponse aux lettres bipartisanes en provenance des deux chambres.  L’auteur de ce document serait Ester Kurz, directrice législative du puissant groupe de pression israélien AIPAC.

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