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Street art libanais : graffiti, rébellion et espoir sur les murs de Beyrouth

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Un art contestataire au cœur de Beyrouth

L’art de rue à Beyrouth a toujours été un miroir des crises et des revendications sociales qui secouent le pays. Dans un contexte de tensions politiques, de crise économique et d’instabilité sociale, les graffitis deviennent un outil de contestation pour de nombreux artistes engagés, qui utilisent les murs de la ville comme un espace d’expression libreface à l’effondrement du dialogue public​.

Depuis la révolte populaire d’octobre 2019, les graffitis se sont multipliés sur les murs du centre-ville de Beyrouth, notamment sur la place des Martyrs, près du Parlement libanais, et le long des quartiers touchés par l’explosion du port en 2020. Ces œuvres, souvent éphémères, dénoncent la corruption politique, l’injustice sociale et la censure des libertés publiques. Parmi les messages les plus marquants, on trouve des slogans tels que « Thawra » (Révolution)« Le peuple veut la chute du régime », ou encore des portraits stylisés de figures politiques détournées pour illustrer la colère populaire​.

Certains graffeurs, comme Yazan Halwani, sont devenus célèbres pour leurs œuvres mêlant calligraphie arabe et iconographie politique. Son travail met en avant des figures de la culture libanaise comme Fairuz, Sabah ou Samir Kassir, symbolisant à la fois l’espoir et la mémoire collective d’un Liban en quête d’identité. D’autres artistes anonymes préfèrent utiliser un style plus brut et provocateur, avec des peintures dénonçant la violence de l’État et l’impunité des élites politiques.

Tensions avec les autorités : un art sous surveillance

Si les graffitis de Beyrouth sont perçus comme un moyen d’expression puissant par une partie de la population, ils sont aussi ciblés par les autorités, qui voient en eux une menace à l’ordre public et une atteinte à l’image du pouvoir en place. Les forces de sécurité libanaises, souvent accusées de répression politique, tentent régulièrement d’effacer ces œuvres contestataires, en peignant par-dessus ou en nettoyant les murs du centre-ville​.

Depuis 2019, plusieurs artistes de rue ont été arrêtés ou harcelés pour leurs peintures, notamment ceux dont les œuvres critiquent directement le gouvernement ou l’armée. En 2022, le graffeur Ali R., connu pour ses fresques dénonçant la corruption, a été interpellé en pleine nuit par les forces de l’ordre alors qu’il peignait un mur en centre-ville. Accusé de vandalisme et d’incitation à la révolte, il a été détenu pendant 48 heures avant d’être relâché sous pression des associations de défense des libertés​.

La répression du street art ne concerne pas seulement les messages politiques. Certaines autorités locales, notamment à Beyrouth et Tripoli, voient ces graffitis comme une dégradation visuelle plutôt qu’un outil artistique et culturel. En conséquence, de nombreux murs peints sont régulièrement repeints en blanc par les municipalités, dans le but affiché de « restaurer l’ordre urbain ». Ces actions sont souvent perçues comme une tentative de censurer le débat public, en effaçant toute forme de contestation visible.

Malgré cette répression, le mouvement du street art libanais continue de croître. De nouveaux collectifs émergent, adoptant des stratégies plus subtiles, comme l’usage de peinture à l’eau qui disparaît avec le temps, ou des projections lumineuses sur les murs de bâtiments emblématiques. Ces nouvelles formes de graffiti digital et temporaire permettent d’échapper à la censure tout en gardant un impact visuel fort​.

Beyrouth et l’art de rue dans le monde arabe : une comparaison révélatrice

L’art de rue libanais partage des similarités avec d’autres mouvements de graffiti politique dans le monde arabe, notamment en Égypte, Tunisie et Palestine, où les murs sont devenus des espaces d’expression contestataire face aux injustices politiques et sociales. Toutefois, Beyrouth se distingue par la richesse de ses styles, mêlant calligraphie arabe, portraits réalistes et slogans révolutionnaires, dans un contexte marqué par une diversité communautaire et des tensions sociopolitiques uniques.

En Égypte, le street art a explosé après la révolution de 2011, notamment au Caire, où des artistes comme El Zeft et Ammar Abo Bakr ont transformé les murs du centre-ville en un véritable journal visuel de la révolution. Comme à Beyrouth, les autorités ont tenté d’effacer ces messages, mais les artistes ont persisté en produisant des œuvres plus audacieuses. La différence majeure avec le Liban est que, en Égypte, les répressions ont été plus violentes, avec des artistes parfois emprisonnés pour leurs œuvres​.

En Tunisie, le street art a prospéré après la révolution de 2011, notamment avec des artistes comme eL Seed, qui fusionne calligraphie arabe et messages engagés. Contrairement au Liban, où le graffiti est souvent perçu comme un acte de vandalisme, la Tunisie a progressivement intégré l’art urbain dans la culture populaire, en organisant des festivals officiels de graffiti et en laissant certains espaces libres aux artistes pour s’exprimer​.

En Palestine, le graffiti est un outil de résistance contre l’occupation israélienne. Sur le mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie, des artistes palestiniens et internationaux, comme Banksy, ont laissé des fresques dénonçant l’oppression et la colonisation. Si à Beyrouth les graffitis dénoncent la corruption interne et l’incapacité de l’État à répondre aux besoins de la population, en Palestine, ils sont davantage dirigés contre une oppression extérieure, ce qui leur confère une dimension différente de lutte collective.

Ce qui distingue Beyrouth, c’est son mélange de chaos et de créativité. Contrairement à d’autres capitales arabes, où l’art de rue est fortement contrôlé ou toléré sous certaines conditions, Beyrouth reste une ville où le street art coexiste avec la répression. Malgré les efforts des autorités pour l’effacer, il renaît sans cesse sous de nouvelles formes, montrant ainsi que la capitale libanaise demeure un espace de résistance visuelle, où les murs parlent aussi fort que les citoyens​.

Les nouvelles tendances et l’avenir du street art à Beyrouth

Malgré la répression et les tentatives de censure gouvernementale, l’art de rue à Beyrouth ne disparaît pas, mais il évolue, adoptant de nouvelles formes et stratégies pour continuer à exister. Les graffeurs libanais se tournent de plus en plus vers des techniques alternatives et des supports numériques pour éviter la suppression de leurs œuvres, tout en atteignant un public plus large.

Une tendance émergente est l’utilisation de graffitis temporaires, réalisés avec de la peinture à l’eau ou des pigments naturels qui disparaissent avec le temps. Cette technique permet aux artistes de laisser un message visible sans risquer des poursuites judiciaires, puisque les autorités ne peuvent pas les accuser de dégradations permanentes. Certains utilisent également des projections lumineuses, qui permettent d’afficher des images engagées sur des bâtiments emblématiques de la ville, sans laisser de trace physique. Ce type de street art digital a été observé à Beyrouth lors de manifestations nocturnes, où des messages comme « Nous ne nous tairons pas » étaient projetés sur le Parlement libanais​.

D’autres artistes misent sur la calligraphie urbaine, une forme d’art hybride entre le graffiti traditionnel et l’art de la typographie arabe. Des graffeurs comme Yazan Halwani intègrent des vers de poésie et des citations d’intellectuels libanais pour créer des fresques culturelles qui résonnent auprès du public, tout en échappant aux accusations de subversion politique. Ce style, en plein essor, permet de valoriser le patrimoine culturel du Liban tout en conservant un aspect contestataire subtil.

L’essor des réseaux sociaux joue également un rôle clé dans l’avenir du street art libanais. De nombreux graffeurs publient désormais leurs œuvres sur Instagram, TikTok et Facebook, ce qui leur permet d’atteindre un public international et de contourner la censure locale. Certains artistes gagnent même une reconnaissance mondiale, ce qui leur offre des opportunités d’expositions à l’étranger et de collaborations avec des galeries d’art. Ce phénomène pousse certains à voir le graffiti non plus seulement comme un acte de rébellion urbaine, mais aussi comme un véritable mouvement artistique et commercial.

Enfin, plusieurs initiatives citoyennes tentent de défendre le street art comme un élément du patrimoine culturel urbain. Des collectifs et des ONG culturelles militent pour la création de murs dédiés à l’art de rue, où les artistes pourraient s’exprimer sans risquer d’être arrêtés. Des festivals de street art, comme ceux qui existent en Tunisie et en Jordanie, sont envisagés pour légaliser et promouvoir l’art urbain, mais ces projets restent encore à l’état de discussion, faute de soutien institutionnel​.

Malgré les défis, l’art de rue à Beyrouth semble inévitable et indestructible. Il reflète l’identité d’un peuple en lutte, un exutoire visuel pour des citoyens qui n’ont pas toujours la parole dans l’espace public. Si le gouvernement continue d’effacer les graffitis, les artistes trouvent de nouveaux moyens d’exister, prouvant ainsi que tant qu’il y aura des murs, il y aura des messages à écrire.

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Newsdesk Libnanews
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