En cherchant il y a quelques jours dans la liste des chaînes de télévision afin de regrouper toutes celles destinées aux enfants, je repère autres que les célébrissimes Tiji, Disney, Nickelodeon, Baby TV, des chaînes arabophones telles que MBC3, Space Toon, Majed Kids, etc. Par curiosité, je m’y attarde un peu afin de les découvrir, et je m’aperçois que ces chaînes, où l’accent arabe est plutôt celui du Golfe, offrent un contenu ludique et pédagogique bien adapté et fortement varié. Outre les dessins animés doublés aux caractères bien connus tels que Oui-Oui, Caillou, Macha et l’ours, Coco Melon, Tchoupi etc., il y en a qui sont une production purement arabe, richement illustrés et merveilleusement bien conçus.

Les émissions destinées aux enfants absentes des chaînes libanaises

Je réalise alors non sans déception, qu’il n’existe aucune chaîne libanaise destinée aux enfants. Pire encore, que ces chaînes libanaises n’ont plus d’émissions consacrées aux enfants, et seule la LBC se contente de diffuser des reprises d’anciens programmes à des heures où les enfants ne sont pas chez eux pour les visionner. Jadis, c’était notamment entre 17h et 18h que les bouts d’choux avaient rendez-vous avec leurs séries animées préférées, locales et internationales. Le Liban était d’ailleurs le labo régional de production d’émissions consacrées aux enfants et de doublage des fameux mangas et animations américaines vers l’arabe. Aujourd’hui, plus rien, et la fourchette dédiée aux enfants est inexistante, et se trouve être remplacées par de vulgaires feuilletons turcs doublés en langue syrienne.

Tristement, je me rends compte que le Liban devient de plus en plus un pays où l’enfant n’a plus le droit de vivre. Ce n’est bien sûr pas seulement une question d’une place dans une grille horaire télévisée, mais si nous ouvrons bien les yeux, les enfants ne sont pas pris en compte ni dans l’ensemble ni dans les détails de la vie quotidienne.

Un pays où l’enfant n’a plus le droit de vivre correctement

Les espaces publics ou mêmes privés où les enfants peuvent se divertir sont quasi inexistants, et s’ils le sont, nous les retrouvons dans deux états en général : soit délaissés, vétustes et insalubres, pour la plupart des endroits publics, soit hors de prix pour une tranche importante de la population lorsque ces derniers s’avèrent être des espaces privés. Il ne reste d’option pour les parents que les restos et quelques branches de cinés pour dérider leurs marmots.

Avec l’éclatement de la crise financière et l’inflation infernale depuis fin 2019, les enfants n’ont même plus le droit de se nourrir correctement et ceci depuis les premières heures qu’ils ouvrent les yeux à ce monde. Les laits maternisés 1er et 2ème âge sont quasi introuvables, à la merci des griffes avides des commerçants qui les subtilisent tant qu’ils bénéficient d’une subvention officielle, afin de les revendre un jour à un prix plus que décuplé, ce qui empêcherait une bonne partie de la population d’en acheter. Poursuivons avec les couches, le prix de ces dernières s’est vu multiplier par dix ou même quinze, et il se trouve une lumière ministérielle qui a fait une déclaration invitant les familles à opter pour les couches lavables à l’instar des Chinois et de nos aïeux, dans un pays où allumer son lave-linge devient un luxe avec les pannes de courants quotidiennes sont de plus de 21 heures.

Noël 2021 sous le signe de la tristesse

Ajoutons aux problèmes du lait et des couches la nourriture de base qui devient plus qu’un luxe pour plus de 70% des familles, celui de la pénurie des médicaments et des vaccins, les douceurs qui sont devenues un rêve pour beaucoup d’enfants, les livres ou BD qui ne sont plus du tout une option possible, les vêtements au coût prohibitif, le prix des jouets qui a grimpé d’une manière incroyable dépassant pour une simple poupée le ridicule SMIC de 675 000 L.L. dont le pouvoir d’achat se limite uniquement à un paquet local de 100 couches et une boîte de lait en poudre de 1,4 kg.

Vous l’aurez bien compris, la veille du 24 décembre cette année ne sera pas du tout festive pour beaucoup de foyers libanais, alors qu’il y a moins de deux ans, on se félicitait d’avoir un des plus beaux sapins du monde dans une de nos localités.

Un rapport onusien inquiétant

Un rapport alarmant, voire bouleversant de l’ONU en juillet dernier, met des chiffres à la misère des foyers libanais, rendant ce constat encore plus effarant, sans oublier les séquelles sanitaires et psychologique de la pandémie de Covid-19 dans un bled où les gouvernements sont d’une inutilité et inefficacité criante :

  • Plus de 30 % des enfants se sont couchés le ventre vide et ont sauté des repas au cours du mois dernier.
  • 77 % des ménages n’ont pas assez de nourriture ou pas assez d’argent pour acheter de la nourriture. Dans les ménages de réfugiés syriens, ce chiffre atteint 99 %.
  • 70 % des ménages doivent acheter de la nourriture à crédit ou emprunter de l’argent.
  • 30 % des enfants ne reçoivent pas les soins de santé primaires dont ils ont besoin, tandis que 76 % des ménages ont déclaré être affectés par l’augmentation massive du prix des médicaments.
  • Un enfant sur dix a été envoyé au travail.
  • 40 % des enfants sont issus de familles où personne n’a de travail et 77 % sont issus de familles qui ne reçoivent aucune aide sociale.
  • 15 % des familles ont interrompu la scolarité de leurs enfants.
  • 80 % des personnes s’occupant d’enfants ont déclaré que leurs enfants avaient des difficultés à se concentrer sur leurs études à la maison – ce qui pourrait indiquer une faim ou une détresse mentale.

(Source : UNICEF)

Une enfance victime d’une guerre interminable

Il est clair que ce qui vient d’être cité aborde principalement le côté matériel concernant la vie des enfants au Liban, mais il faut savoir que ce n’est certainement pas là que réside le problème majeur.

Le problème majeur des enfants au Liban est la guerre qui n’a jamais été achevée. Je suis une enfant qui est née et a grandi durant les sales années de guerres utérines, avec tout le bruit qu’une guerre peut faire dans la vie d’un enfant. Aujourd’hui, cette enfant a grandi, et devenu la mère d’un petit bambin qu’elle est en train d’élever aussi bien qu’elle peut, mais sans pouvoir le mettre à l’abri des problèmes sempiternels dans lequel macère le pays.

Les têtes au pouvoir qui ont fait la guerre il y a 46 ans font toujours la pluie et le beau temps : aucun n’a été correctement jugé, les crimes de guerre sont pour la plupart impunis, et ces mêmes criminels qui ont un jour nourri les francs-tireurs ou les terroristes au niveau des lignes de démarcations sont des élus au Parlement, souvent nommés ministres ou même plus, qui n’ont pas arrêté de se servir dans les caisses de l’Etat jusqu’à nous priver de nos propres économies dans les banques, dévaluer la livre libanaise et causer toutes les pénuries possibles et pas possibles au pays du cèdre.

Le pire dans tout cela …

Et le pire dans tout cela, c’est qu’il reste encore des masses qui encensent ces criminels de guerre civile et d’une caricature de paix qui nous a berné durant plus de trente ans, qui n’arrivent pas à se rendre compte que les années 80 sont bien loin de nous, et qui se noient dans leurs interminables différends imaginaires, oubliant que la cause de nos malheurs c’est leur suivisme qui nourrit le patrimoine financier de leurs bourreaux et affame leurs propres progénitures.

Au milieu de ces esprits assujettis ancrés dans la vase des conflits étriqués et annihilant la notion de citoyenneté aux dépends des intérêts partisans ou communautaire, l’avenir est plus que gris, et de facto, l’enfance est piétinée et sacrifiée sur les autels de la cupidité et de la vénalité. Tout ce qu’il y a de malsain pour la croissance saine d’un enfant.

Pour la journée mondiale de l’enfant, en ce 20 novembre 2021, j’écris ces lignes avec un pincement au cœur, les yeux noyés dans les larmes, sur la triste réalité que l’enfant libanais est contraint de vivre à cause des adultes qui ont oublié, comme le dit la chanson, de prendre l’enfant par la main, pour l’emmener vers demain …

Marie Josée Rizkallah
Marie-Josée Rizkallah est une artiste libanaise originaire de Deir-el-Qamar. Versée dans le domaine de l’écriture depuis l’enfance, elle est l’auteur de trois recueils de poèmes et possède des écrits dans plusieurs ouvrages collectifs ainsi que dans la presse nationale et internationale. Écrivain bénévole sur le média citoyen Libnanews depuis 2006, dont elle est également cofondatrice, profondément engagée dans la sauvegarde du patrimoine libanais et dans la promotion de l'identité et de l’héritage culturel du Liban, elle a fondé l'association I.C.H.T.A.R. (Identité.Culture.Histoire.Traditions.Arts.Racines) pour le Patrimoine Libanais dont elle est actuellement présidente. Elle défend également des causes nationales qui lui touchent au cœur, loin des équations politiques étriquées. Marie-Josée est également artiste peintre et iconographe de profession, et donne des cours et des conférences sur l'Histoire et la Théologie de l'Icône ainsi que l'Expression artistique. Pour plus de détails, visitez son site: mariejoseerizkallah.com son blog: mjliban.wordpress.com et la page FB d'ICHTAR : https://www.facebook.com/I.C.H.T.A.R.lb/

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