Le Liban est un État singulier dans le paysage politique du Moyen-Orient. Son système politique repose sur un équilibre fragile entre différentes communautés religieuses, une formule que l’on appelle « confessionnalisme ». Ce système a permis de maintenir une coexistence pacifique pendant une grande partie de l’histoire moderne du pays, mais il est aussi critiqué pour ses effets pervers, notamment la division des citoyens selon des lignes religieuses et l’incapacité des autorités à gouverner efficacement.

Les Origines du Confessionnalisme au Liban

L’histoire du confessionnalisme au Liban remonte à la période ottomane, lorsque l’Empire ottoman a mis en place le système des « millets » dans tout son territoire. Ce système accordait une certaine autonomie aux différentes communautés religieuses, chacune ayant le droit de gérer ses propres affaires internes, notamment en matière de droit civil et religieux. Cette autonomie était censée apaiser les tensions interconfessionnelles dans un empire aussi vaste et diversifié, mais elle a aussi contribué à renforcer les identités confessionnelles, un héritage qui persiste encore au Liban.

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À l’indépendance du Liban en 1943, le confessionnalisme a été formalisé avec le Pacte national, un accord tacite entre les élites politiques chrétiennes et musulmanes. Ce pacte stipulait que la présidence de la République serait réservée à un chrétien maronite, la présidence du Parlement à un musulman chiite, et la présidence du Conseil des ministres à un musulman sunnite. Ce partage des pouvoirs reflétait les réalités démographiques de l’époque, où les chrétiens représentaient la majorité de la population.

Kamal Salibi, historien et auteur de A House of Many Mansions, explique que « le Pacte national était une tentative pragmatique pour résoudre la question de la diversité religieuse au Liban. Il offrait à chaque communauté religieuse une représentation politique proportionnelle à son poids démographique ». Cependant, Salibi souligne également que ce compromis, bien qu’essentiel à l’époque, a jeté les bases d’un système rigide où les identités confessionnelles sont devenues des sources de pouvoir politique.

L’Évolution du Confessionnalisme : De la Stabilité à l’Entrave

Dans les premières décennies suivant l’indépendance, le confessionnalisme a effectivement contribué à la stabilité du Liban. L’État fonctionnait grâce à un équilibre délicat entre les différentes confessions, avec des compromis constants pour éviter la domination d’une communauté sur les autres. Mais au fil du temps, ce système s’est progressivement rigidifié. La démographie du pays a évolué, et les musulmans, en particulier les chiites, ont commencé à dépasser les chrétiens en nombre. Pourtant, le système de répartition des pouvoirs est resté figé, reflétant des réalités démographiques dépassées.

Joseph Bahout, politologue libanais, explique que « le confessionnalisme a fini par transformer la politique libanaise en un jeu de compromis incessants, où chaque décision doit être approuvée par toutes les parties en fonction de leur poids confessionnel. Cela a rendu le gouvernement extrêmement inefficace, incapable de prendre des décisions rapides ou décisives ». En effet, le besoin de consensus entre les différentes communautés a souvent conduit à des blocages politiques, empêchant l’adoption de réformes cruciales ou la prise de décisions stratégiques.

Cette inefficacité est devenue de plus en plus apparente à partir des années 1960 et 1970, alors que les tensions entre les communautés religieuses s’intensifiaient. Le système confessionnel, qui devait garantir l’équilibre, est devenu un obstacle à la gouvernance, paralysant l’État et exacerbant les divisions internes. La montée des tensions entre les factions chrétiennes et musulmanes a finalement abouti à la guerre civile de 1975.

La Guerre Civile et le Confessionnalisme comme Facteur de Division

La guerre civile libanaise (1975-1990) est souvent perçue comme une conséquence directe des failles du système confessionnel. Ce qui devait être un mécanisme de stabilité est devenu un outil de fragmentation et de guerre. Les communautés religieuses, chacune soutenue par des acteurs régionaux et internationaux, se sont affrontées pour le contrôle de l’État. Ce conflit a montré que le confessionnalisme, loin de garantir la paix, pouvait être exploité pour attiser les divisions.

Le politologue Olivier Roy, dans Le Moyen-Orient est-il en crise ?, affirme que « la guerre civile libanaise est l’exemple par excellence des dangers d’un système confessionnel mal géré. Le confessionnalisme a cristallisé les identités religieuses, empêchant toute forme de solidarité nationale et créant un terrain fertile pour les guerres de milices ». En effet, au lieu de promouvoir l’unité, le confessionnalisme a exacerbé les divisions, chaque faction cherchant à préserver ses privilèges au détriment des autres.

Les Accords de Taëf : Une Tentative de Réforme

Les Accords de Taëf, signés en 1989, ont marqué la fin de la guerre civile et tenté de réformer le système confessionnel pour rééquilibrer les pouvoirs. Ces accords ont transféré certains pouvoirs du président maronite au Conseil des ministres, dominé par les musulmans, dans une tentative d’ajuster le système aux nouvelles réalités démographiques. Cependant, bien que les Accords de Taëf aient mis fin aux hostilités, ils n’ont pas réussi à abolir le confessionnalisme.

Pour de nombreux Libanais, les Accords de Taëf n’ont fait que renforcer le système confessionnel tout en introduisant de nouvelles divisions. Ghassan Salamé, ancien ministre libanais et professeur de sciences politiques, estime que « Taëf a été une solution de compromis qui n’a pas résolu les problèmes fondamentaux du Liban. Le système confessionnel est resté en place, et les élites politiques ont continué à exploiter les identités religieuses pour maintenir leur pouvoir ».

L’Incapacité des Autorités à Gouverner : Un Produit du Confessionnalisme

L’un des plus grands défis du confessionnalisme est son incapacité à permettre une gouvernance efficace. Dans un système où chaque décision doit être approuvée par toutes les communautés religieuses, le processus politique devient lent et inefficace. Le besoin de consensus entre les différentes factions mène souvent à des compromis paralysants, où aucune décision significative ne peut être prise sans d’interminables négociations.

Cette dynamique a conduit à des périodes prolongées sans gouvernement au Liban, notamment en 2014-2016, lorsque le pays est resté sans président pendant deux ans en raison de l’incapacité des factions politiques à s’entendre sur un candidat. De même, la formation des gouvernements est souvent retardée par des mois de discussions entre les différentes communautés pour s’assurer que chaque faction obtienne une part équitable du pouvoir.

L’économiste et ancien ministre libanais Charbel Nahas critique vivement cette situation, affirmant que « le confessionnalisme est devenu un obstacle au développement politique et économique du Liban. Le pays est pris en otage par des élites politiques qui se cachent derrière des identités religieuses pour justifier leur incapacité à gouverner ». Pour Nahas, le système est désormais un mécanisme de perpétuation de la corruption et du clientélisme, où chaque communauté cherche à protéger ses propres intérêts au détriment du bien commun.

Vers une Réforme ou une Abolition du Confessionnalisme ?

La question de la réforme du système confessionnel libanais est au cœur du débat politique actuel. Les manifestations de 2019 ont révélé une exaspération croissante de la population face à un système jugé inefficace et corrompu. De nombreux Libanais appellent à l’abolition du confessionnalisme et à la mise en place d’un État laïc, où la religion n’aurait plus aucun rôle dans la politique.

Le politologue Gilles Kepel observe que « la jeunesse libanaise, qui a été au cœur des manifestations, est de plus en plus désillusionnée par le système confessionnel. Elle réclame des réformes radicales qui permettraient de dépasser les divisions religieuses et de construire un État basé sur la citoyenneté et la méritocratie ». Cependant, toute réforme du confessionnalisme se heurterait à de fortes résistances, notamment de la part des élites politiques qui bénéficient de ce système.

Le confessionnalisme libanais, bien qu’il ait permis de maintenir un équilibre entre les communautés religieuses pendant plusieurs décennies, semble aujourd’hui être devenu un frein à la gouvernance et à l’unité nationale. Les compromis nécessaires pour éviter la domination d’une communauté sur les autres ont conduit à une paralysie politique, où les décisions sont retardées ou bloquées par des négociations interminables. Alors que de nombreux Libanais réclament une réforme radicale, le chemin vers l’abolition du confessionnalisme reste semé d’embûches, car il touche au cœur même de l’identité politique du pays.

Newsdesk Libnanews
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