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L’intégrité, la vraie loyauté envers le pays

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Au Liban, le patriotisme est souvent brandi comme une arme par certains acteurs économiques, notamment des banquiers ou des agents immobiliers, pour justifier des décisions d’investissement risquées. Ce sentiment national est détourné, utilisé comme argument de vente ou de persuasion pour des projets, là où la raison et les indicateurs économiques devraient primer. Cette instrumentalisation du patriotisme pousse souvent les citoyens à investir dans des secteurs surévalués ou à transférer des fonds alors même que des signes alarmants pointent vers une crise imminente. J’ai personnellement fait face à ce type d’accusations avant que la crise de 2019 n’éclate au grand jour, parce que je percevais déjà que nous étions depuis longtemps dans une crise larvée.

Le piège du patriotisme comme argument économique

Dans un pays où l’économie vacille, nombreux sont ceux qui préfèrent détourner le regard des réalités économiques. Les professionnels de la finance et de l’immobilier, en particulier, ont souvent mis en avant l’argument du patriotisme pour inciter à l’investissement, sans se soucier des véritables risques. Acheter un appartement dans une économie en chute libre devient non seulement une décision rationnelle, mais aussi un acte de foi nationale. Transférer des fonds au Liban, malgré les signes précurseurs de l’effondrement, est présenté comme un moyen de « soutenir l’économie ». Mais à quel prix ?

Gouverner ou conseiller des investissements dans une telle situation exige de la lucidité et de la prévoyance. La citation « gouverner, c’est prévoir » prend ici tout son sens. Lorsqu’on se base sur des arguments patriotiques plutôt que sur des indicateurs économiques ou sectoriels, on ignore non seulement les signes avant-coureurs d’une crise, mais on trahit également la confiance de ceux qui comptent sur ces conseils.

Une crise prévisible, mais ignorée

Avant même que la crise de 2019 ne devienne apparente, il était évident pour ceux qui observaient les tendances macroéconomiques que le Liban s’enfonçait dans une crise prolongée. Les déficits récurrents, la dépendance excessive aux envois de fonds de la diaspora et les pratiques bancaires douteuses constituaient autant de signaux d’alarme que beaucoup ont préféré ignorer. Les critiques que j’ai formulées à l’époque, basées sur l’observation de ces indicateurs, ont été perçues comme antipatriotiques. Pourtant, ce que je dénonçais n’était pas un manque d’amour pour le pays, mais une forme d’engagement envers une vérité qui devait être dite. John Stuart Mill, dans son œuvre La liberté, souligne l’importance du débat rationnel et du dialogue basé sur des faits : « La vérité émerge de la confrontation des idées. »

Malheureusement, nombreux sont ceux qui, au lieu d’anticiper les difficultés, ont préféré se réfugier derrière un discours nationaliste pour justifier des décisions économiques risquées. Cela a conduit à un effondrement bien plus grave que ce qui aurait pu être évité si la vérité avait été confrontée à temps.

La responsabilité de dire la vérité

L’éthique financière impose une responsabilité : celle de dire la vérité même lorsqu’elle est difficile à entendre. Encourager des investissements sans souligner les risques encourus est non seulement irresponsable, mais cela peut aussi causer des dommages irréparables aux individus et à l’économie nationale. Comme le philosophe Kant l’a exprimé dans Fondements de la métaphysique des mœurs : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. » Les individus ne doivent jamais être utilisés comme des moyens pour servir des objectifs économiques douteux, même sous couvert de patriotisme.

En outre, encourager des comportements économiques néfastes, même par un sentiment louable de patriotisme, expose à de lourdes conséquences. L’effondrement bancaire au Liban, les faillites immobilières, et la destruction du pouvoir d’achat sont autant de résultats d’un aveuglement volontaire face à une réalité économique que beaucoup, pourtant, avaient anticipée.

Gouverner c’est prévoir, mais aussi prévenir

Être un bon gestionnaire, que ce soit d’une entreprise, d’un portefeuille d’investissement ou d’un pays, c’est avant tout être capable de voir venir les crises et de prendre des mesures pour les éviter. Lorsque les indicateurs sont clairs, il est de la responsabilité de ceux qui comprennent les dynamiques économiques d’éclairer ceux qui n’ont pas les mêmes outils de compréhension. Comme l’a si justement dit le philosophe chinois Confucius : « Celui qui n’anticipe pas de loin les difficultés, les rencontrera de près. »

Ainsi, l’accusation d’antipatriotisme formulée à l’encontre de ceux qui alertaient sur les dangers à venir avant 2019, ne tient pas. Au contraire, il aurait été irresponsable de ne pas signaler l’arrivée d’une crise. Ceux qui conseillaient d’investir sans discernement se sont faits complices d’une illusion économique qui a coûté cher à de nombreux Libanais.

La vraie loyauté envers le pays

Être loyal envers son pays, c’est aussi avoir le courage de dire ce qui doit être dit, même si cela va à l’encontre du discours dominant. La véritable loyauté ne consiste pas à encourager des comportements financiers dangereux sous couvert de patriotisme, mais à anticiper et à prévenir les crises. Gouverner, c’est prévoir, et prévoir c’est aussi protéger les intérêts à long terme des citoyens. Face à une crise, il ne suffit pas de brandir le drapeau national ; il faut avoir le courage de prendre des décisions rationnelles et de dire la vérité, même lorsqu’elle est inconfortable.

Sources :

  • John Stuart Mill, La liberté
  • Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs
  • Confucius, Les entretiens
  • John Maynard Keynes, The General Theory of Employment, Interest, and Money
  • Jules Ferry, discours à la Chambre des députés, 1885
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