Un projet immobilier en toute discrétion
Alors que l’attention du public libanais est accaparée par les débats politiques sur la nomination d’un cinquième ministre chiite et les déclarations de la porte-parole américaine Morgan Ortagus, un projet immobilier d’envergure avance discrètement sur le littoral de Tyr. Ce projet, situé à proximité de la réserve naturelle et du supermarché Spinneys, soulève de vives inquiétudes quant à son impact environnemental et social.
Sans bruit, les travaux ont déjà commencé. Plusieurs terrains seront transférés au secteur privé, permettant à un promoteur immobilier de construire des commerces en bord de route. En contrepartie, ce dernier s’engage à édifier un club pour les officiers de l’armée, situé près de la plage et de la réserve naturelle. Un pont d’accès privé sera également construit, clôturant la plage avec des barbelés, dans ce qui semble être la première étape d’un projet plus vaste.
Si ce plan aboutit, une grande partie de la plage publique de Tyr sera définitivement fermée aux visiteurs et privatisée, réduisant encore davantage les espaces accessibles gratuitement aux Libanais.
Privatisation du littoral : une menace récurrente au Liban
L’extension des projets immobiliers sur les côtes libanaises n’est pas une nouveauté. Depuis des décennies, le littoral du pays subit une privatisation progressive au profit de complexes hôteliers et de projets immobiliers de luxe. Tyr, connue pour ses plages de sable fin et son caractère préservé, semblait jusque-là relativement épargnée par ce phénomène. Mais ce projet pourrait marquer un tournant inquiétant.
Les promoteurs du projet avancent un argument classique : le développement économique et la création d’emplois. Pourtant, les précédentes expériences de bétonisation du littoral libanais montrent que ces projets bénéficient à une minorité, au détriment du public.
L’urbanisation du littoral pose également un problème environnemental majeur. La réserve naturelle de Tyr est l’une des dernières zones protégées du pays. Elle constitue un refuge pour plusieurs espèces de tortues marines et d’oiseaux migrateurs. Le risque de pollution, de destruction des écosystèmes côtiers et d’érosion est réel.
Un projet qui bafoue le droit d’accès à la mer
Ce projet s’inscrit dans une tendance inquiétante au Liban où l’accès aux plages publiques se réduit de plus en plus. L’article 2 du Code de l’environnement libanais stipule pourtant que le littoral est un bien public inaliénable et que l’accès à la mer est un droit pour tous les citoyens.
Malgré cette législation, de nombreux projets privés sont passés outre ces principes, avec la complicité implicite des autorités locales et nationales. L’absence de transparence sur l’octroi des permis de construction et la collusion entre certains responsables politiques et des promoteurs aggravent la situation.
Si ce projet aboutit, la plage de Tyr, l’un des derniers espaces naturels préservés accessibles au public, sera en grande partie privatisée. Ceux qui avaient l’habitude de s’y rendre pour profiter de la mer devront soit payer pour accéder aux plages privées, soit faire face à des interdictions de baignade sous prétexte de restrictions sécuritaires liées à la présence du club militaire.
Un impact environnemental désastreux
L’impact écologique de ce projet est une autre source de préoccupation majeure. Situé à proximité immédiate de la réserve naturelle de Tyr, cet aménagement risque de perturber gravement l’écosystème local.
La réserve de Tyr est un site classé, reconnu pour son écosystème fragile qui abrite notamment des tortues marines menacées d’extinction. Toute construction à proximité de cette zone protégée risque de provoquer des nuisances irréversibles :
- Dégradation des dunes et des habitats naturels des espèces endémiques.
- Augmentation de la pollution sonore et lumineuse affectant la faune locale.
- Modification des courants marins due aux infrastructures bétonnées, entraînant un risque accru d’érosion côtière.
- Risques de pollution des eaux en raison des déchets et des eaux usées générés par les nouvelles infrastructures.
L’une des grandes craintes des écologistes est que cette première phase de construction ouvre la voie à une extension du projet incluant un remblaiement de la mer pour créer des structures supplémentaires, comme cela a été observé dans d’autres zones du littoral libanais.
Une décision prise dans l’ombre, sans concertation publique
L’un des aspects les plus troublants de ce projet est le manque total de transparence dans sa mise en œuvre. Aucun débat public n’a eu lieu, et les riverains ainsi que les associations environnementales n’ont pas été consultés.
Ce silence pose des questions sur les connexions politiques qui entourent ce projet. Au Liban, de nombreux projets de privatisation du littoral sont soutenus par des figures influentes bénéficiant d’une immunité politique et financièreleur permettant d’outrepasser les lois environnementales et les droits des citoyens.
La situation actuelle met en lumière un problème récurrent : l’accaparement des biens publics par une minorité, sous prétexte de développement économique. La population locale, souvent exclue des processus de décision, se retrouve impuissante face à ces projets qui modifient durablement leur cadre de vie.
Un enjeu bien plus grand que Tyr
L’affaire de la plage de Tyr dépasse le simple cadre de cette ville. Elle pose une question fondamentale : à qui appartient le Liban ? Doit-il être un pays où les biens publics restent accessibles à tous, ou un territoire où seuls quelques privilégiés peuvent profiter des richesses naturelles ?
Ce projet illustre parfaitement la façon dont les priorités économiques et politiques supplantent les droits des citoyens. Pendant que l’opinion publique est distraite par des débats politiciens et des polémiques secondaires, des décisions lourdes de conséquences sont prises en toute discrétion.
Face à cette réalité, il est impératif que la population se mobilise pour défendre le peu d’espaces naturels encore accessibles. Car si la privatisation de la plage de Tyr passe sans opposition, quel sera le prochain espace à disparaître ?