Yahoo! : l’entreprise qui valait 125 milliards de dollars en 2000

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Michel Albouy, Grenoble École de Management (GEM)

Le 25 juillet 2016, la direction de Yahoo! annonçait être parvenue à un accord avec l’opérateur américain des télécommunications Verizon pour lui vendre ses activités de cœur de métier pour 4,8 milliards de dollars (4,4 milliards d’euros). Le PDG de Verizon indiquait, dans un communiqué, que les activités de Yahoo! seraient intégrées dans la même division que celles d’AOL, racheté en 2015, afin « d’aider à accélérer nos revenus dans la publicité en ligne ».

Avec cette acquisition, Verizon met la main sur le moteur de recherche de Yahoo! et ses nombreux services : mail, actualités, finance, etc. Mais cette vente concrétise – comme l’ont souligné de nombreux observateurs – aussi l’échec de la stratégie de Marissa Meyer, une étoile montante de Google recrutée en juillet 2012 à prix d’or pour relancer un des pionniers de l’Internet commercial. À la suite de la vente de ses actifs commerciaux, Yahoo! ne sera plus qu’un holding financier gérant ses participations dans Alibaba (15 %), le géant chinois du commerce en ligne, et dans Yahoo! Japan (35,5 %).

Un annuaire devenu portail… absent du mobile

Fondé en 1994, Yahoo! a d’abord été un gigantesque annuaire qui référençait les meilleures adresses de la Toile. Le site a par la suite évolué sous la forme d’un portail, multipliant les services pour attirer et conserver les internautes. Mais il a été dépassé par l’émergence de Google puis de Facebook, qui ont bouleversé les habitudes. Yahoo! a perdu progressivement son statut de porte d’entrée du Web, qui faisait toute sa valeur.

Début 2000, juste avant l’éclatement de la bulle Internet, sa valorisation boursière culminait à 125 milliards de dollars. Mais le principal problème de Yahoo! se trouvait dans son incapacité à monétiser sa large base d’utilisateurs. Si la société affichait un milliard d’utilisateurs actifs par mois, sa part de marché sur le secteur des revenus publicitaires ne représentait que 2 % alors que Google domine le marché avec ses 54 % de part de marché.

Par ailleurs, malgré ses initiatives, Yahoo était complètement absent dans le domaine du mobile, écrasé par Google et Facebook. Les multiples acquisitions – qui ont culminé avec le rachat en 2013 du réseau social Tumblr – réalisées par la PDG Marissa Meyer ne permirent pas à Yahoo! de renouer avec la croissance.

Devant le siège de Yahoo! à Sunnyvale (Californie) du temps où la firme valait 45 milliards de dollars aux yeux de Microsoft.
Christian Barmala/Flickr, CC BY

Alors qu’en 2008, Microsoft offrait 45 milliards de dollars pour prendre le contrôle de Yahoo!, huit années après la société était cédée pour 4,8 milliards de dollars, presque 10 fois moins. Les actionnaires de Yahoo! auraient été bien avisés d’accepter l’offre de Microsoft au lieu de vouloir relancer leur société avec le recrutement de Marissa Meyer. Mais pouvaient-ils prévoir une telle dégringolade en l’espace de seulement huit années ? Il est vraisemblable que non. Outre, les biais cognitifs liés à l’évaluation des sociétés de la nouvelle économie, ils ont surévalué les capacités de la nouvelle PDG à redresser leur entreprise.

Une destruction de richesse de 100 milliards de dollars

Résumons : en 2000 Yahoo! valait 125 milliards de dollars et en 2016, soit 16 années après, elle ne valait plus que 4,8 milliards de dollars, hors participations dans Alibaba et Yahoo! Japan. Ces chiffres à eux seuls donnent le vertige et interpellent le sens commun. Comment la valeur d’une société peut-elle fondre de la sorte ? Comment expliquer une telle destruction massive de richesse, plus de 100 milliards de dollars, en si peu de temps ? Dans quelle mesure les valeurs données par le marché sont fiables ?

Ces questions ne sont pas nouvelles s’agissant de la valorisation des entreprises de la nouvelle économie. C’est ainsi qu’il est difficile de justifier rationnellement les valorisations de ces entreprises comme nous le démontrions dans un article publié dans la revue Finance-Contrôle-Stratégie : « Les dessous de l’évaluation des entreprises high tech ».

Les résultats de cette étude ont mis en évidence la difficulté des modèles financiers modernes à expliquer les valorisations boursières des sociétés de l’Internet. Même le modèle optionnel qui prend en compte l’incertitude grâce à des processus stochastiques appliqués aux variables clés de la valorisation n’apporte pas une meilleure explication.

Yahoo! à Sunnyvale en 2013.
Yahoo!/Flickr, CC BY

Le casse-tête de la valorisation des jeunes pousses high-tech

La chute de la valorisation de Yahoo! illustre bien la difficulté de mettre un prix sur ces sociétés de la nouvelle économie. Certes, tout le monde sait que de très nombreux facteurs interviennent dans la valorisation des entreprises et que l’exercice n’est pas un long fleuve tranquille surtout lorsqu’on connaît l’incertitude qui plane, même à court terme, sur les produits et les marchés de cette nouvelle économie. Mais de là à imaginer que la valeur d’une société puisse passer de 125 milliards de dollars à 45 milliards en huit ans et à 4,8 milliards huit ans après, il y a de la marge ! Dans un article récent intitulé « Entreprises high-tech : a smile is not enough ! » nous expliquions que les investisseurs semblaient revenir aux fondamentaux s’agissant des entreprises de l’Internet.

Mais sur quels fondamentaux bâtir une valorisation ? La question demeure entière pour les sociétés de la nouvelle économie qui ne versent même pas de dividendes et n’offrent aucune visibilité à long terme.

S’il est difficile, voire impossible, de donner une « vraie » valeur aux entreprises comment investir dans de telles sociétés sans avoir le sentiment de jouer à la roulette russe ? Même les conseils de Warren Buffet semblent inopérants. En effet, selon le PDG de Berkshire Hathaway il ne faut investir que dans des entreprises qui occupent des positions dominantes, dans un métier durable, dont le savoir-faire est difficile à copier, et qui ont démontré dans le passé une capacité durable à dégager des profits.

Si on utilise ces préceptes, il est impossible d’investir dans de jeunes pousses ou même des entreprises du type Yahoo! car par définition on ignore si leur métier est durable et par ailleurs elles n’offrent pas d’historiques de profits sur une longue période. Et pourtant, il faut bien que des investisseurs se lancent et acceptent de prendre des risques pour financer ces entreprises. L’équation semble insoluble.

Yahoo! à Sunnyvale, extérieur nuit…
Zach Graves/Flickr, CC BY-SA

Jamais les risques n’ont été aussi élevés sur le marché des entreprises de l’Internet et le pire, à l’instar de ce qu’on vécut les actionnaires de Yahoo!, est possible. Rien dans cette nouvelle économie ne semble garanti, tout semble éphémère. Rappelons-nous que Facebook fut introduit sur le marché en 2012 au prix de 100 milliards de dollars, soit 100 fois ses bénéfices et que la société était encore déficitaire en 2008. Qui peut dire ce que sera Facebook dans 20 ans, voire même seulement dans 10 ans ? L’histoire de Yahoo! devrait nous servir de leçon.

Michel Albouy, Professeur senior de finance, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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