Les derniers articles

Articles liés

L’édition numérique : une révolution pour les auteurs libanais et arabes ?

- Advertisement -

Alors que l’édition traditionnelle s’effrite sous les pressions économiques et logistiques au Liban et dans le reste du monde arabe, l’édition numérique émerge comme une alternative vitale pour les écrivains. Au Liban, les coûts d’impression exorbitants, un lectorat réduit par la crise et l’absence de soutien étatique ont poussé des figures comme Joumana Haddad ou Zeina Abirached vers des plateformes comme Amazon Kindle ou Wattpad. Dans des pays comme l’Égypte, le Maroc ou les Émirats, des auteurs tels que Naguib Mahfouz, Tahar Ben Jelloun ou Mohammed Hasan Alwan s’adaptent également à ce virage. Mais si le numérique offre une portée mondiale, il confronte les auteurs arabes à des défis communs : piratage rampant, monétisation limitée et fracture numérique. Peut-il sauver une littérature riche mais menacée, ou reste-t-il une solution imparfaite dans une région en crise ?

La crise de l’édition traditionnelle au Liban

Au Liban, l’édition traditionnelle est à l’agonie. La dévaluation de la livre libanaise, passée de 1 500 à plus de 100 000 pour un dollar au marché noir en 2023, a fait exploser les coûts d’impression. Le papier importé, qui valait 500 dollars la tonne avant 2019, dépassait les 2 000 dollars en 2021, selon Le Commerce du Levant, une tendance vraisemblablement aggravée en 2025. Encres, presses, transport : tout suit cette inflation, rendant chaque livre un pari coûteux. « On imprime pour survivre, pas pour vendre », confiait un éditeur beyrouthin en 2020 à Actualitté, une réalité toujours d’actualité.

La distribution s’effondre parallèlement. Les librairies, comme Antoine à Beyrouth, ont réduit leurs rayons ou fermé, tandis que les régions rurales sont devenues des déserts littéraires. Les tirages, autrefois de 2 000 exemplaires, oscillent désormais entre 300 et 500. Le lectorat, lui, s’évanouit : 80 % des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté (Banque mondiale, 2021), et un livre à 20 dollars – prix courant en 2023 – est hors de portée. L’exode massif, avec 1,5 million de départs depuis 2019 (ONU), vide encore les étagères de leurs lecteurs potentiels.

Le gouvernement, paralysé, n’offre aucun secours. Les subventions aux éditeurs ont disparu, et le ministère de la Culture, exsangue, reste muet. « On est seuls face à la tempête », déplorait Rana Idriss de Dar al-Adab en 2021, un cri qui résonne encore. Cette crise, unique par son intensité au Liban, reflète des défis plus larges dans le monde arabe, où l’édition traditionnelle lutte pour survivre.

L’édition traditionnelle dans le reste du monde arabe

Ailleurs dans la région, la situation varie mais partage des maux similaires. En Égypte, berceau littéraire arabe, l’édition traditionnelle souffre d’une distribution chaotique. Le Caire concentre les grandes maisons comme Dar al-Shorouk, mais les campagnes restent mal desservies, et les coûts d’impression grimpent avec l’inflation. Selon Publishing Perspectives (2020), les éditeurs égyptiens peinent à écouler leurs stocks hors des foires du livre, piliers du marché arabe.

Au Maroc, l’édition en arabe et en français coexiste, mais la faiblesse des infrastructures limite la diffusion. Le Salon de Casablanca, créé dans les années 1980, reste un rare débouché, mais les petites maisons indépendantes, nées dans les années 1990, luttent pour survivre, d’après Monde du Livre (2017). Les Émirats arabes unis, malgré leur richesse, dépendent des foires comme celle de Sharjah, où les éditeurs écoulent 70 % de leur production annuelle, selon des estimations locales en 2020.

Partout, la censure et le piratage aggravent la donne. En Arabie saoudite, des auteurs comme Mohammed Hasan Alwan (Le Castor, 2015) affrontent des restrictions, tandis qu’en Algérie, la charte de réconciliation nationale freine les récits sur la guerre civile. Ces barrières, combinées à une faible pénétration des librairies hors des grandes villes, sapent l’édition traditionnelle à l’échelle régionale.

Le numérique : une bouée de sauvetage

Face à ce naufrage, l’édition numérique gagne du terrain. Amazon Kindle Direct Publishing (KDP), Smashwords ou Kobo Writing Life permettent de publier à coût nul, touchant un public mondial sans passer par les circuits traditionnels. Dans le monde arabe, les ventes d’e-books ont bondi de 40 % entre 2018 et 2020 (Union des éditeurs arabes), une croissance probablement accélérée d’ici 2025 avec une adoption accrue des smartphones (70 % des foyers au Liban en 2021, UIT).

Au Liban, Joumana Haddad, autrice de J’ai tué Schéhérazade (2010), a vu ses œuvres numérisées sur des plateformes internationales, atteignant des lecteurs anglophones et francophones. Zeina Abirached, avec Le Piano oriental (2015), disponible en e-book via L’Association, illustre l’adaptation des créateurs visuels. Charif Majdalani (Villa des femmes, 2015) pourrait aussi exploiter ce canal, ses traductions étant déjà en ligne chez des éditeurs comme Seuil.

En Égypte, les héritiers de Naguib Mahfouz, prix Nobel 1988, maintiennent ses romans comme Le Fils de la Médina (1959) en version numérique via des partenaires étrangers, malgré son interdiction locale. Au Maroc, Tahar Ben Jelloun, lauréat du Goncourt 1987 pour La Nuit sacrée, voit ses e-books circuler en français sur Amazon, élargissant son audience. Aux Émirats, Mohammed Hasan Alwan a publié Le Castor en numérique, un succès primé en 2015 qui montre le potentiel pour les auteurs du Golfe.

Wattpad, gratuit et populaire chez les jeunes, héberge des plumes émergentes. En Tunisie, des auteurs comme Yamen Manai (L’Amas ardent, 2017) pourraient tester ce format, bien que son adoption reste limitée dans les cercles établis. En Algérie, Yasmina Khadra (Ce que le jour doit à la nuit, 2008) bénéficie de versions numériques en français, touchant la diaspora via Julliard.

Une portée transnationale

Le numérique transcende les frontières. La diaspora arabe, estimée à 8 millions (ONU, 2020), devient un marché clé. Amin Maalouf, exilé en France, voit ses romans comme Le Rocher de Tanios (1993) numérisés par Grasset, un modèle replicable. En Jordanie, eKtab, lancé avant 2015, propose des e-books payables par SMS, une innovation adaptée au faible taux de cartes bancaires dans la région (Livres Hebdo, 2014). En Égypte, Kotobi, soutenu par Vodafone, suit cette voie, selon Actualitté (2020).

La traduction numérique dope cette expansion. Joumana Haddad, bilingue, atteint des lecteurs hors du Liban, tandis que Tahar Ben Jelloun conquiert l’Europe francophone. Les foires traditionnelles du Golfe, comme Abu Dhabi, perdent en pertinence face à cette accessibilité instantanée, bien que la censure reste un frein dans des pays comme l’Arabie saoudite.

Les défis d’une révolution fragile

Le numérique promet beaucoup, mais livre peu à grande échelle. La monétisation est un écueil majeur. Au Liban, « j’ai vendu 50 exemplaires en un an, presque rien », confiait un auteur à Le Commerce du Levant (2021), une plainte universelle dans la région. Les paiements en ligne, rares hors des pays du Golfe (où 60 % des ménages avaient une carte bancaire en 2020, selon la Banque mondiale), limitent les ventes locales. À l’international, la concurrence est féroce : un e-book arabe doit émerger parmi des millions de titres.

Le piratage est une plaie régionale. En 2020, des éditeurs à Abu Dhabi dénonçaient la diffusion gratuite de PDF sur Telegram (Livres Hebdo), un problème sans solution faute de lois numériques efficaces. Le Liban, l’Égypte ou le Maroc, signataires de la Convention de Berne, n’appliquent pas ces protections, laissant des auteurs comme Zeina Abirached vulnérables.

La fracture numérique exclut encore. Si 70 % des foyers libanais ont un smartphone, 30 % n’ont pas d’internet fiable (UNICEF, 2021), un fossé pire en zones rurales comme le Rif marocain ou le sud algérien. Les coupures d’électricité, chroniques au Liban (20 heures par jour en 2023), entravent l’accès. « Sans courant, pas de lecture », notait un étudiant en 2021 (France Culture), une barrière persistante en 2025.

Une adaptation culturelle

Le numérique redéfinit les habitudes. Les jeunes Arabes, de Tunis à Dubaï, plébiscitent les formats courts, poussant des auteurs comme Joumana Haddad à condenser leurs essais. En bande dessinée, Zeina Abirached s’aligne sur cette tendance, mais des romanciers comme Charif Majdalani pourraient résister, leurs récits longs étant moins prisés en ligne. Le marketing digital – Instagram, Facebook – devient essentiel, une compétence que Tahar Ben Jelloun maîtrise via ses éditeurs, mais que beaucoup d’émergents ignorent.

Les lecteurs traditionnels, eux, rechignent. « Le papier, c’est la vraie lecture », confiait un libraire beyrouthin en 2023 (France Culture), un attachement culturel freinant l’adoption. En Algérie ou en Syrie, où la censure limite les thèmes, le numérique offre une liberté, mais ne remplace pas le rituel du livre physique.

Une lueur d’espoir régionale

Malgré ces défis, le numérique est une aubaine. Au Liban, Joumana Haddad et Zeina Abirached maintiennent une présence mondiale. En Égypte, l’héritage de Naguib Mahfouz survit en ligne. Au Maroc, Tahar Ben Jelloun conquiert de nouveaux publics, tandis qu’aux Émirats, Mohammed Hasan Alwan prouve que le Golfe peut briller. En Tunisie, Yamen Manai pourrait suivre, et en Algérie, Yasmina Khadra connecte la diaspora.

Des initiatives comme Kotobarabia (Égypte) ou DAR (Bibliothèque d’Alexandrie), qui numérise des fonds publics depuis 2000, montrent la voie. Mais sans politiques publiques – lois anti-piratage, accès internet élargi –, cette révolution stagne. « Le numérique est une chance, pas une solution », notait un éditeur égyptien en 2020 (Actualitté), un verdict régional.

Un futur en suspens

L’édition numérique redessine la littérature arabe, du Liban au Maroc, de l’Égypte aux Émirats. Joumana Haddad, Tahar Ben Jelloun, Naguib Mahfouz ou Mohammed Hasan Alwan incarnent cette transition, mais leurs succès masquent une précarité. Le digital offre une survie face à une édition traditionnelle moribonde, mais sans infrastructure ni régulation, il reste un outil limité. Pour une renaissance, il faudra connecter, protéger et innover – un défi que le monde arabe, riche de ses plumes, doit encore relever.

- Advertisement -
Newsdesk Libnanews
Newsdesk Libnanewshttps://libnanews.com
Libnanews est un site d'informations en français sur le Liban né d'une initiative citoyenne et présent sur la toile depuis 2006. Notre site est un média citoyen basé à l’étranger, et formé uniquement de jeunes bénévoles de divers horizons politiques, œuvrant ensemble pour la promotion d’une information factuelle neutre, refusant tout financement d’un parti quelconque, pour préserver sa crédibilité dans le secteur de l’information.