Une partie des Libanais a cru dans le changement au moment de l’élection de Bachir Gemayel à la Présidence de la République (1982), du cabinet militaire (1988-90) ou encore au moment de la fin de l’occupation syrienne (2005), de l’élection de Michel Aoun à la Présidence de la République (2016) voire des manifestations du 17 octobre (2019) ou du plan Lazard (2020). Tous leurs espoirs ont été douchés. La bancocratie et les milices sur le terrain se sont maintenues, n’hésitant pas à trahir en s’alliant aux Syriens. Règnent donc les conflits d’intérêt et la corruption. Une solidarité de caste s’est nouée entre politiciens, miliciens, banquiers, médias, et juges. Il est fort à parier que les prochaines élections législatives seront marquées par une forte abstention et une victoire des partis traditionnels. 

L’ultime espoir repose donc sur la Justice. Si elle peut faire son travail alors le changement tant attendu pourra être réalisé et le paysage politique pourra être réellement remodelé. 

La juge Ghada Aoun, procureure du Mont-Liban, a ouvert des enquêtes sur l’enrichissement illégal (détournement de prêts) du Premier ministre Najib Mikati (milliardaire et banquier), son frère Taha (l’homme le plus riche du Liban), et leurs fils respectifs Maher et Azmi (ils avaient, par le biais de sociétés leur appartenant, profité de neuf prêts immobiliers auprès de la banque Audi, la plus grande banque du pays, alors qu’ils auraient du revenir aux personnes à revenus limités pour accéder au logement) et sur le carburant frelaté et la Sonatrach (affaire qui impliquerait ZR Group des frères Teddy et Raymond Rahmé proches de Samir Geagea et de Sleiman Frangié, ZR Energy, Baha et Walid al-Basatneh de BB Energy – partenaires de Walid Joumblatt dans Cogico – et la Bankmed dans laquelle Saad Hariri est actionnaire). Plus récemment, elle s’est saisie de plaintes (notamment d’associations de déposants) visant Riad Salamé (le gouverneur de la BDL), Antoun Sehnaoui (patron et actionnaire de la banque SGBL, allié au parti des Forces libanaises de Samir Geagea aux dernières élections législatives) et Michel Mecattaf (ex-gendre d’Amine Gemayel, ancien cadre du parti Kataëb, candidat malheureux sur la liste du parti de Geagea aux dernières élections législatives, propriétaire du journal Nida’ al-Watan et agent de change et principal transporteur de devises étrangères depuis et vers le Liban, principalement pour le compte des banques). Elle a également fait arrêter la directrice générale du Pétrole au ministère de l’Énergie et de l’Eau, Aurore Feghali, proche de Gébran Bassil, chef du Courant patriotique libre (CPL) et gendre du président Michel Aoun dont elle est pourtant proche. Elle a aussi donné suite à deux plaintes concernant al-Qard al-Hassan (l’organisme financier affilié au Hezbollah et inscrit au ministère de l’Intérieur en tant qu’association, ce qui contreviendrait aux articles 200 et 206 du Code de la monnaie et du crédit qui impose aux personnes morales à but lucratif et ayant des activités de crédits l’enregistrement auprès de la BDL) et l’importation (contraire aux normes et règles fixées par l’Organisation mondiale de la Santé) de médicaments iraniens biosimilaires (non-enregistrés selon les procédures légales et administratives puisqu’ils n’ont pas été préalablement testés dans un laboratoire de référence et qu’on ne connait ainsi pas leur composition et leur qualité) présentées par deux avocats dont le fils de l’ancien député de Batroun Boutros Harb, rival du député CPL de Batroun Gébran Bassil.

De son côté, le juge Tarek Bitar en charge d’enquêter dans l’affaire de la double explosion au port de Beyrouth tente d’interroger l’ancien Premier ministre Hassan Diab, les anciens ministres Youssef Fenianos (Travaux publics et Transports, membre du courant marada de Sleiman Frangié), Ali Hassan Khalil (Finances, député membre du mouvement Amal du Président du Parlement Nabih Berri), Ghazi Zeaiter (Travaux publics et Transports, député membre du mouvement Amal), Nouhad Machnouk (Intérieur, ex-membre du Courant du Futur de Saad Hariri, défendu par l’avocat Naoum Farah, membre du parti Kataëb), l’ancien commandant en chef de l’armée Jean Kahwaji, le directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim et le directeur de la Sécurité de l’État Tony Saliba. Le tandem chiite (formé du Hezbollah et du mouvement Amal), le club des anciens Premiers ministres (Saad Hariri, Fouad Siniora et Tammam Salam), l’ancien Premier ministre Hassan Diab ainsi que le Premier ministre actuel Najib Mikati ou encore le courant marada de Sleiman Frangié souhaitent écarter le juge Tarek Bitar (soutenu par Fouad Abou Nader et les familles des victimes) qu’ils disent également proche du Président de la République Michel Aoun. Le mouvement Amal accuse même le juge Tarek Bitar d’être dirigé et supervisé par Sélim Jreissati le conseiller spécial du Président de la République. Ce que Sélim Jreissati a nié. 

Le 14 octobre 2021, les partisans du tandem chiite ont même « envahi » violemment le quartier de Aïn el-Remmané où ils ont été accueillis par des tirs qui ont fait sept morts et 32 blessés. Le parti de Geagea a été accusé par le Hezbollah d’en être à l’origine. Il semblerait que seuls des habitants du quartier chrétien aient été arrêtés. La Justice doit être faite de manière neutre. Ces événements ont en tous cas offert un coup de pouce électoral au parti de Geagea alors que ce parti – dont la performance des députés et des ministres laisse à désirer – préside la Commission parlementaire en charge de l’Administration et de la Justice qui n’a toujours pas soumis un projet d’indépendance de la Justice. Samir Geagea refuse d’être entendu (dans les mêmes conditions que tout autre citoyen) dans cette affaire dans laquelle dans un État de droit avec une Justice indépendante, la Justice devrait pouvoir non seulement l’entendre mais aussi Nabih Berri (chef du mouvement Amal) et Hassan Nasrallah (secrétaire général du Hezbollah).  

Pour le moment, ni la juge Ghada Aoun ni le juge Tarek Bitar n’ont pu aller au bout. Attaqués par les uns et adulés par les autres, le sort du Liban embourbé dans une multitude de crises (financière, socio-économique, sanitaire et même diplomatique à la suite de propos tenus par le ministre pro-syrien de l’Information, Georges Cordahi, un mois avant sa nomination, et critiquant l’implication de l’Arabie saoudite dans la guerre du Yémen ce qui a entrainé des mesures de rétorsion diplomatiques et commerciales du royaume wahhabite, Bahreïn et du Koweït contre le Liban) dépend désormais beaucoup de ces deux juges courageux. 

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