Le 24 mars 2025, les employés municipaux d’El-Mina, dans la ville de Tripoli, ont organisé un sit-in devant le siège de la municipalité pour protester contre le non-paiement de leurs salaires et leurs conditions de travail. Le président de l’Union des syndicats des travailleurs et employés du Liban-Nord, Chadi Sayyed, le président du syndicat des employés municipaux, Ahmad Mersli, ainsi que des membres du conseil exécutif du syndicat et un grand nombre de travailleurs et d’employés y ont pris part. Ce mouvement, à une semaine de l’Aïd el-Fitr marquant la fin du Ramadan, met en lumière une crise profonde dans un contexte économique libanais déjà désastreux.
Une mobilisation pour des salaires en retard
Lors de son discours, Chadi Sayyed a expliqué que ce sit-in visait à faire entendre la voix de plus de 250 employés qui n’ont pas reçu leurs salaires depuis plus de trois mois. « Les responsables de la municipalité sont absents, ils n’entendent rien », a-t-il déploré, s’étonnant de ce silence face à une situation critique. « Ce Ramadan est le pire que les employés, les travailleurs et les policiers d’El-Mina aient connu, car ils n’ont ni salaires ni moyens de subvenir aux besoins de leurs enfants et de leurs familles », a-t-il ajouté.
Sayyed a également pointé du doigt l’absence de couverture santé, un problème particulièrement aigu pour les retraités qui ne peuvent accéder aux services hospitaliers. « Nous sommes à une semaine de l’Aïd, et après cela, les employés passeront à l’escalade : les portes de la municipalité seront fermées jusqu’à ce qu’ils reçoivent leurs salaires. C’est le minimum qu’ils puissent obtenir », a-t-il averti. Il a appelé à garantir des fonds et une couverture santé, comme cela se fait dans la municipalité de Tripoli et d’autres municipalités, où, par exemple, Tripoli a alloué environ 3 trillions de livres libanaises (33 millions de dollars au taux du marché parallèle) en 2024, selon des rapports locaux.
Une souffrance récurrente et des responsabilités en question
Ahmad Mersli, président du syndicat des employés municipaux, a pris la parole à son tour pour souligner une souffrance qui dure depuis longtemps. « Nous subissons cette situation depuis un moment, et elle se répète. Ce n’est pas la faute de l’employé ou du retraité s’il n’a pas d’argent pour se soigner ; ce n’est pas leur problème, mais celui de la municipalité », a-t-il déclaré. Il s’est adressé directement aux responsables, exigeant une réponse rapide aux besoins des employés, des travailleurs et des policiers municipaux.
Ce n’est pas la première fois que les employés d’El-Mina se mobilisent. En mai 2023, un sit-in similaire avait eu lieu devant le palais municipal en raison de la caisse municipale vide (Cedar News), et en septembre 2020, 33 journaliers avaient réclamé leurs arriérés après quatre mois sans paie (Lebanese Forces). Aujourd’hui, avec une crise économique aggravée – un dollar s’échange à 92 000 livres libanaises sur le marché parallèle (Lira Rate, mars 2025) et 82 % des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté (Banque mondiale, 2024) –, la situation est devenue insoutenable.
Une municipalité aux abois
El-Mina, une enclave côtière de Tripoli abritant plus de 100 000 habitants sur 5 kilomètres carrés (Asas Media, 2023), souffre d’un manque criant de ressources. En 2024, la municipalité a dépensé environ 350 millions de livres libanaises (3 800 dollars au taux parallèle) en aide d’urgence, selon des estimations locales, une somme dérisoire face aux besoins. Comparée à Tripoli, dont le budget annuel atteint des milliards de livres, El-Mina est asphyxiée financièrement, incapable de payer ses 250 employés – dont des agents de la police municipale – ni d’assurer leurs droits à la santé.
Le Liban, où le PIB a chuté de 54,9 milliards de dollars en 2019 à 21,8 milliards en 2024 (FMI), ne peut plus soutenir ses institutions locales. Les salaires, souvent payés en livres libanaises, ont perdu toute valeur : un salaire mensuel moyen de 9 millions de livres (98 dollars au taux parallèle) couvre à peine 10 % des besoins de base d’une famille de quatre personnes, estimés à 900 dollars par le Programme alimentaire mondial (PAM, 2024). Sans couverture santé, les employés dépendent de cliniques privées ou d’ONG, un luxe hors de portée pour la plupart.
Une escalade en vue
Le sit-in du 24 mars reflète une colère qui monte à Tripoli, deuxième ville du pays avec environ 600 000 habitants (UNFPA, 2024). Les employés d’El-Mina, dont certains n’ont pas été payés depuis décembre 2024, menacent de fermer la municipalité après l’Aïd si rien ne change. Cette menace fait écho à des actions passées : en janvier 2022, des employés municipaux à Beyrouth avaient bloqué des routes pour des retards similaires (L’Orient-Le Jour). À El-Mina, l’absence de réponse des autorités locales – le maire, absent des déclarations publiques depuis février 2025 – alimente le mécontentement.
Le gouvernement de Nawaf Salam, en place depuis février 2025, n’a pas encore réagi officiellement, mais la crise dépasse les capacités locales. Avec des réserves de la Banque du Liban à 7,9 milliards de dollars (estimations, mars 2025) et une inflation à 174 % (Institut libanais des statistiques, février 2025), l’État central peine à soutenir les municipalités, laissant des villes comme El-Mina livrées à elles-mêmes.
Un Ramadan sous tension
À une semaine de l’Aïd el-Fitr, prévu autour du 30 mars 2025, ce sit-in est un cri d’alarme. Les employés municipaux d’El-Mina, comme des milliers d’autres au Liban, affrontent un Ramadan sans ressources dans un pays où l’économie s’effondre et où les services publics s’éteignent. Leur appel à des salaires et à une couverture santé, un droit garanti par le Code du travail libanais (article 52), reste sans réponse. Si la situation persiste, Tripoli risque de devenir un nouveau foyer de contestation dans un Liban déjà à bout de souffle.