Une échéance électorale sous haute tension politique
Le 15 avril 2025, plusieurs journaux libanais mettent en lumière une situation d’incertitude croissante autour des élections municipales, notamment à Beyrouth. Selon Ad Diyar, la question de la révision de la loi électorale municipale divise profondément les blocs politiques. Le président de la Chambre, Nabih Berri, a exclu toute modification du texte actuel, ce qui verrouille la possibilité d’une réforme confessionnelle de la représentation au sein des conseils municipaux.
Dans la capitale, où cohabitent plusieurs sensibilités politiques, cette décision est perçue par certains comme un refus de moderniser la gouvernance locale. Annahar (15 avril 2025) rapporte que des mouvements citoyens, comme Beirut Madinati ou Nahnoo, ont entamé une campagne dénonçant l’absence de réforme et la reproduction des équilibres confessionnels figés.
La tension monte aussi en dehors de Beyrouth. Dans plusieurs grandes villes comme Tripoli, Zahlé ou Saïda, les candidatures restent suspendues à l’évolution du calendrier électoral. Selon Al Joumhouriyat, plusieurs formations politiques étudient la possibilité d’un report des élections, en invoquant des raisons logistiques ou sécuritaires. Le ministère de l’Intérieur n’a pas encore tranché sur la date définitive du scrutin.
Cette situation reflète une crise de confiance institutionnelle, dans laquelle l’organisation des élections devient un champ de bataille entre les partisans du statu quo et les acteurs du changement.
La parité confessionnelle comme verrou de réforme municipale
L’un des principaux nœuds du débat sur les élections municipales est la structure confessionnelle des conseils municipaux, particulièrement à Beyrouth. Ad Diyar précise que la loi actuelle impose une répartition fondée sur l’équilibre confessionnel, même à l’échelle locale, ce qui empêche l’émergence de listes non communautaires.
Plusieurs tentatives de réforme ont échoué, faute d’accord politique. Al Akhbar cite des sources parlementaires affirmant que toute tentative de modification est perçue comme une menace par certaines communautés qui y voient un risque de marginalisation démographique. D’autres, à l’inverse, y voient un outil de verrouillage du pouvoir local.
Ce débat n’est pas nouveau. Il renvoie à la question plus large de la démocratie consociative au Liban, qui organise la coexistence communautaire mais freine toute logique de citoyenneté universelle. Nida’ Al Watan souligne que les blocages actuels sont révélateurs d’un modèle à bout de souffle, dans lequel même l’administration locale est prisonnière des logiques d’allégeance politique et religieuse.
Des initiatives locales, comme la Coalition pour des élections municipales inclusives, appellent à une déconfessionnalisation progressive. Elles proposent un système de double vote : un vote confessionnel préservé et un vote citoyen universel, qui garantirait la représentation sans nier la diversité communautaire.
Mairies en crise : finances bloquées, services en panne
Au-delà des enjeux électoraux, la situation des municipalités existantes est alarmante. Al Akhbar (15 avril 2025) rapporte que plusieurs mairies fonctionnent avec des budgets en déficit, en raison de la chute des transferts étatiqueset de l’impossibilité de lever localement les impôts.
Dans certaines localités, les services publics essentiels (nettoyage, éclairage, entretien des routes) sont assurés par des prestataires privés ou par des associations caritatives. Al Liwa’ indique que certaines municipalités rurales n’ont pas payé leurs employés depuis plusieurs mois, faute de fonds.
Le Conseil des ministres a approuvé une enveloppe de soutien d’urgence, selon Al Joumhouriyat, mais aucun décaissement effectif n’a encore été enregistré. La Banque mondiale propose un appui technique, mais exige un mécanisme de contrôle budgétaire auquel plusieurs élus locaux se disent opposés.
Cette situation crée une fracture territoriale inédite : certaines communes riches, dotées d’une forte diaspora, arrivent à fonctionner ; d’autres, dépendantes de l’État central, sont à l’arrêt.
Nawaf Salam, absent du débat ou stratège silencieux ?
Alors que la tension monte autour des élections municipales, le Premier ministre Nawaf Salam adopte une posture de retrait apparent. Aucun discours public spécifique n’a été prononcé sur la question des élections locales. Mais selon Al Bina’, ce silence est stratégique.
Le Premier ministre, juriste de formation, serait favorable à une réforme en profondeur du code électoral local, incluant une réduction de l’influence confessionnelle, l’introduction de quotas de genre, et la simplification des conditions de candidature. Mais il ne disposerait ni de l’appui du président de la Chambre, ni d’une majorité ministérielle sur ces questions.
Son silence pourrait aussi s’expliquer par le souci de ne pas affronter frontalement le Hezbollah ou le tandem Amal–Courant patriotique libre, sur un sujet susceptible de raviver des tensions confessionnelles profondes. La neutralité apparente serait donc une stratégie de temporisation, destinée à maintenir une cohésion gouvernementale fragile.
Le blocage électoral comme symptôme de l’impasse libanaise
La crise autour des municipales révèle en réalité une impasse systémique plus large. Le blocage de la réforme électorale locale, les pressions pour un report du scrutin, l’asphyxie des finances municipales et l’absence d’un État stratège composent un tableau de gouvernance fragmentée.
Pour de nombreux observateurs, cités par Annahar et Al Sharq, cette crise locale reflète la paralysie du système politique libanais, incapable de produire des compromis modernes hors du cadre communautaire. Le débat sur la citoyenneté, la réforme territoriale, la démocratie locale est soit éludé, soit instrumentalisé.
Les élections municipales auraient pu être un moment de respiration démocratique, un espace de renouvellement des pratiques politiques. Mais elles sont en train de se transformer en un terrain de confrontation entre conservateurs du régime et partisans du changement. Et comme souvent au Liban, la logique du consensus négatif risque de prévaloir : pas de réforme, pas de scrutin, pas de conflit… mais pas de solution non plus.