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Damas revient, Beyrouth s’adapte : que gagne le Liban ?

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Une visite qui redessine la carte diplomatique du Levant

Le 15 avril 2025, la presse libanaise consacre une large place à la visite officielle du Premier ministre Nawaf Salam à Damas, un déplacement hautement symbolique et politiquement chargé. Pour la première fois depuis 2011, un chef de gouvernement libanais franchit le seuil du palais présidentiel syrien dans un cadre bilatéral public, et ce, avec l’aval implicite de Riyad, comme le précisent Al Sharq Al Awsat et Al Liwa’.

Le président syrien Ahmad al-Sharaa a accueilli Nawaf Salam dans une atmosphère décrite comme “cordiale mais calculée” par Al Quds. Cette visite a permis la mise en place d’une commission mixte chargée de traiter les sujets les plus épineux : retour des réfugiés, coordination sécuritaire, délimitation des frontières, échanges commerciaux, et trafic transfrontalier.

La symbolique de cette rencontre dépasse largement le cadre libano-syrien. Elle s’inscrit dans un contexte régional où Riyad joue un rôle de rééquilibrage, œuvrant pour une détente entre les pôles rivaux tout en posant ses conditions. La diplomatie saoudienne entend désormais agir comme un pivot régional entre Beyrouth, Damas et Téhéran, sur fond d’une désescalade contrôlée en Syrie.

La normalisation sous surveillance : pragmatisme ou dépendance ?

Pour les observateurs, cette relance des relations bilatérales entre le Liban et la Syrie soulève autant d’espoirs que d’inquiétudes. D’un côté, elle permet de rouvrir des canaux de coopération institutionnelle, notamment pour gérer le dossier explosif des réfugiés syriens, estimés à plus d’un million selon Al Sharq. D’un autre côté, elle ravive le spectre d’une reprise en main de certaines zones frontalières par Damas, ou d’un retour de l’influence sécuritaire syrienne à travers des canaux parallèles.

Ad Diyar souligne que les accords restent flous. Aucune déclaration n’a été publiée concernant un calendrier de retour des réfugiés ou des mécanismes concrets de supervision internationale. Nida’ Al Watan, plus critique, évoque un “piège diplomatique”, estimant que la Syrie cherche à légitimer son retour par l’économie, sans apporter de garanties sur le respect des droits humains ou la non-ingérence.

Le président syrien Ahmad al-Sharaa a affirmé que “la décision syrienne appartient aux Syriens, et celle du Liban aux Libanais”, une formule largement reprise par les journaux comme Al Sharq Al Awsat. Derrière cette formule d’apparence apaisante, certains voient un code diplomatique qui réaffirme l’indépendance de façade sans renoncer à l’influence historique.

Le rôle central mais discret de Riyad

La presse s’accorde sur un point : cette visite n’aurait pas eu lieu sans le feu vert saoudienAl Akhbar et Al Liwa’rapportent que Fayçal Ben Farhan, ministre des Affaires étrangères saoudien, a effectué une tournée diplomatique express à Beyrouth quelques jours avant le déplacement de Salam, confirmant la volonté du royaume de “favoriser une solution libanaise aux dossiers libano-syriens”.

Mais cette médiation n’est pas désintéressée. Al Sharq Al Awsat précise que Riyad a demandé des engagements en matière de sécurisation des frontières et de contrôle du Hezbollah, en échange de son soutien diplomatique et d’un éventuel appui économique. Le Liban est ainsi invité à devenir un acteur régional stabilisateur, mais à condition d’adopter un comportement aligné sur la doctrine saoudienne post-Gaza.

Les observateurs notent également que cette diplomatie active s’exerce dans un double cadre : une détente régionale avec l’Iran, amorcée en 2023 à travers les accords de Bagdad, et une restructuration stratégique du rôle syrien, désormais vu par Riyad comme un partenaire négociable, plutôt qu’un ennemi irréconciliable.

Nawaf Salam, l’équilibriste prudent entre institutions et réalités

Le positionnement du Premier ministre libanais dans ce jeu d’équilibres est d’une grande complexité. Nawaf Salam, ancien diplomate onusien, perçoit cette visite comme un acte de pragmatisme républicain plutôt qu’un renoncement. Selon Annahar et Al Bina’, son objectif est de “reprendre la main” sur les grands dossiers de souveraineté partagée, tout en évitant une rupture avec les puissances arabes ou occidentales.

Il a refusé toute délégation élargie ou protocole renforcé, préférant un format bilatéral sobre, dans lequel le gouvernement libanais reste l’unique interlocuteur de la Syrie. Aucune réunion tripartite (avec le Hezbollah ou Amal) n’a eu lieu, ce qui confirme la volonté de Salam de garder une ligne institutionnelle.

Mais ce choix comporte des risques. Al Quds cite des sources parlementaires qui craignent que cette initiative “soit perçue comme une ouverture unilatérale” sans contrepartie claire. Dans un système politique aussi fragmenté que celui du Liban, la marge d’initiative personnelle du chef de l’exécutif est étroite. Nawaf Salam devra prouver, dans les semaines à venir, que cette démarche s’accompagne de bénéfices concrets pour l’État et non de simples effets d’annonce.

Quelle souveraineté pour quel État ?

En toile de fond de cette séquence diplomatique, une question majeure persiste : quelle souveraineté l’État libanais peut-il exercer, dans un système où les équilibres communautaires, régionaux et sécuritaires neutralisent l’autorité institutionnelle ?

Les échanges avec Damas sont un test : test de la capacité du gouvernement à négocier avec un voisin anciennement dominateur, test de la volonté de Damas de respecter les nouveaux équilibres, test aussi de la réaction des puissances régionales.

Al Akhbar évoque une “souveraineté négociée”, dans laquelle le Liban n’impose plus ses conditions mais tente d’obtenir des marges de manœuvre par le jeu diplomatique. Ce paradigme est réaliste mais problématique. Il suggère que l’État n’est plus le centre du pouvoir, mais un acteur parmi d’autres dans une architecture composite.

La souveraineté n’est plus un principe, mais une variable d’ajustement entre intérêts divergents : ceux de la Syrie, ceux de l’Arabie saoudite, ceux du Hezbollah, ceux de l’armée, et ceux du gouvernement.

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