Les mouvements de mobilisation nés de l’explosion populaire l’année précédente se poursuivent et trouvent un nouveau souffle avec l’éclosion des mouvements de solidarité qui ont pris une ampleur nouvelle suite à l’explosion qui a ravagé le port et détruit une partie significative de Beyrouth. Leur consolidation et leur approfondissement se concentrent sur l’urgence prioritaire à l’heure actuelle : 

– matérielle : alimentaire, médicale, …

– humaine : héberger les sans toits, soutien moral, psychologique

– technique : aider à réparer les petits dégâts de certaines habitations pour que leurs occupants puissent réintégrer leurs toits

–  professionnelle : former les petits et moyens agriculteurs à l’agriculture durable, les villageois ou des habitants de même quartier à créer des activités autour de biens communs, soutenir techniquement les petites entreprises, susciter et encourager un esprit d’initiative et d’innovation des citoyens autour d’actions précises comme la définition de biens communs (eau, électricité,…)  et l’exigence de leur gestion par les travailleurs des entreprises concernées avec la participation d’associations indépendantes. En clair, élaborer les formes et contenus du concept qui serait en réalité l’essence du contrôle citoyen au quotidien. 

Ces réseaux de solidarité créeront à terme une chaîne de prise de conscience politique, de développement de rapports sociaux alternatifs, de capacités humaines à vivre et travailler ensemble mais aussi de motivation à contrôler l’action des pouvoirs publics à quelque niveau que ce soit.

Les plaintes qui commencent à être instruites par de nouveaux acteurs de la société civile pourraient nourrir à terme la création de collectifs d’avocats et autres (économistes, juristes, experts divers et variés) pour :

 * instruire des plaintes fondées sur les préjudices que subissent des citoyens, des environnements physiques et autres entités du fait d’actions des pouvoirs publics et des responsables directs ou indirects de celles-ci.

* étudier dans le détail tous les marchés publics des dernières décennies, ceux sont encore passibles de poursuites judiciaires et exiger des comptes

 * étudier tous les exercices budgétaires passés pour savoir où est passé l’argent des emprunts et investissements d’État 

* exiger un audit des banques sans exception sous le contrôle d’associations et autres organismes de la société civile.

Ces collectifs auraient tout intérêt à s’unir et à coopérer aux plaintes déjà initiées par d’autres organisations et mouvements, sans exclusives ni exigences autres que le contrôle de toutes les actions des pouvoirs publics par des associations indépendantes. Les exclusives ne serviraient qu’à rajouter de nouvelles divisions et générer un éclatement encore plus marqué de la société, ce qui serait lourd de conséquences pour l’avenir des mouvement de mobilisation eux-mêmes, pour ne s’en tenir qu’à eux.

Les pays occidentaux qui, pour contourner l’État sous le prétexte vertueux que celui-ci est miné par la corruption, et cela, conformément à l’appel même d’acteurs civils issus ou non des mobilisations populaires, finiront en réalité par créer de nouvelles poches de corruption autour de ces mêmes acteurs et de leurs ONG, qu’elles soient déjà actives ou créées ad hoc. C’est ce qui s’est passé en Irak après la première guerre du Golfe. Sous prétexte de contourner l’État irakien sous Saddam Hussein, les États-Unis, sous couverture de l’ONU, ont financé différentes entités – personnages politiques ou administratifs, notables ou associations diverses et variées – qui ont fini par nourrir des réseaux de corruption encore en œuvre aujourd’hui, la déstabilisation endémique de l’État, actes de corruption qui minent toute la classe politique jusqu’à nos jours et grippent tout processus de rapprochement et de mise en cohérence autonome des forces politiques nationales.

C’est le même type de dynamique particulièrement destructrice qui guette le Liban avec la volonté des pays occidentaux alliés à ces ONG et personnalités qui se présentent, à tort ou à raison, pour des immaculés de la politique. Vierges de toute souillure au regard du public, ils seront les meilleurs avocats des exigences des Institutions financières internationales, du rétablissement de leur emprise, de la reprise en main du Liban et de la prochaine passation du pouvoir à leur profit, déposant les anciens par trop compromis, devenus de véritables boulets, irrécupérables et tout juste bons à se trouver une voie de garage dans quelque paradis à la hauteur de leur lustre passé.

C’est redire la nécessité de rejeter les solutions et prétendues aides des Institutions financières internationales qui auront systématiquement pour conséquences d’asservir encore plus le pays, nourrir la corruption et appauvrir toujours plus les franges fragiles de la société et les classes moyennes. Rappelons qu’en 2012, 27% de la population libanaise vivait en dessous du seuil de pauvreté, et on était bien loin de la crise actuelle. On était pourtant en pleine euphorie des placements à taux de 8%, de la manne des transferts d’argent de tous ces soutiens de famille, jeunes célibataires ou hommes mariés, partis travailler à l’étranger, et en particulier dans les pays du Golfe, mais asséchant ainsi et en contrecoup, le tissu économique productif et créatif du pays.

Pour conclure, il ne s’agit donc surtout pas, pour les mouvements de mobilisation, de chercher à participer au gouvernement ni à remettre sur pied leur État, ils sauront le faire sans eux. Il s’agit de ne leur donner ni leur aval ni leur couverture, et encore moins leur caution. Il s’agit au contraire de les contrôler au quotidien et à tous les niveaux. Ceux d’entre cette classe politique qui participent au pouvoir mai sont sincèrement engagés dans la lutte contre la corruption et pour la reconstruction du Liban au profit prioritaire de la population et non de leurs alliés et de leurs poches en tireront force et encouragements dans leur action au pouvoir comme dans l’administration. Ceux qui constateront que le vent a véritablement tourné iront s’exiler chez leurs amis, vivant perpétuellement dans la crainte de poursuites judiciaires. Leurs banques “amies” ne pourront ni les protéger ni s’approprier leurs avoirs illicites en les “gelant” si les procès qui les attendent se font en toute transparence et dans le respect de leur droit à se défendre.

Enfin, il devrait être entendu que seules les associations indépendantes, composées et entièrement financées par des citoyens libanais, avec publicité des noms et du montant précis du don de chaque personne, doivent disposer du droit de contrôle et de poursuites judiciaires au pénal comme au civil. Il faudrait lutter pour que ce droit, qui doit être voté par le parlement, soit inscrit dans la Constitution par référendum.

Scandre Hachem

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