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Tarification sauvage : comment les hausses de prix étranglent les ménages libanais

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L’explosion des prix au Liban au mois de juin 2025 illustre une dynamique incontrôlée d’inflation structurelle, doublée d’une spéculation alimentée par l’absence de régulation effective. Les ménages, déjà fragilisés par plusieurs années de crise, font face à un renchérissement brutal des produits de première nécessité. Cette tarification incontrôlée, qualifiée de « sauvage » par plusieurs économistes locaux, accentue les inégalités et alimente une colère sociale de plus en plus visible.

Une inflation généralisée et multidimensionnelle

Les chiffres relayés par plusieurs titres de la presse libanaise indiquent que l’inflation annuelle a dépassé les 270 %, tandis que les prix de certains produits alimentaires de base ont été multipliés par cinq depuis le début de l’année. Le kilo de riz atteint 135 000 livres, le litre d’huile dépasse 290 000 livres, et le paquet de pain traditionnel se vend à 95 000 livres. Cette flambée ne concerne pas uniquement l’alimentation : les produits d’hygiène, les carburants, les vêtements et même les fournitures scolaires affichent des hausses similaires.

Selon des données collectées dans la Békaa et à Nabatieh, des différences de prix allant jusqu’à 40 % sont constatées entre commerces situés à quelques kilomètres les uns des autres. Dans de nombreux villages, les prix sont fixés à la discrétion des commerçants, faute d’inspection régulière. Cette absence d’un cadre unifié alimente le phénomène de « marchés parallèles » où le taux de change non officiel continue d’imposer ses logiques.

Des pratiques spéculatives en hausse dans les circuits de distribution

Dans plusieurs témoignages, des consommateurs dénoncent des pratiques de stockage abusif. Certains grossistes suspendent la vente de produits importés dans l’attente de hausses futures, profitant de la volatilité du dollar sur le marché parallèle. Des circuits parallèles de distribution, alimentés en partie par des réseaux informels, permettent de revendre au détail avec une marge de 50 à 80 %, sans contrôle ni facturation.

Des cas documentés à Tripoli et Saïda montrent que les produits de base importés via la Syrie sont revendus à des prix bien supérieurs à leur valeur d’achat réelle, alimentant un commerce transfrontalier spéculatif. Des agents des douanes auraient été alertés, mais aucune poursuite effective n’est engagée à ce jour.

Les supermarchés adoptent une politique d’étiquetage quotidien, voire horaire, pour ajuster leurs tarifs. Une femme interrogée au nord de Beyrouth explique : « Je prends une boîte de thon à 9 heures à 110 000 livres, je la repose, et à 11 heures elle est à 135 000. C’est devenu impossible. »

Le rôle de l’État marginalisé dans la régulation des prix

Face à cette spirale inflationniste, le rôle des institutions publiques apparaît extrêmement affaibli. Le ministère de l’Économie, officiellement chargé de contrôler les prix et les pratiques commerciales, déclare manquer de personnel, de véhicules et de moyens juridiques pour agir efficacement. Dans un aveu relayé par des cadres administratifs, il est précisé que moins de 30 inspecteurs sont actifs pour l’ensemble du territoire libanais, sans garantie de protection face aux menaces.

Un rapport interne aurait récemment averti que la plupart des amendes infligées aux commerçants pour tarification illégale ne sont jamais perçues, ni suivies d’effets dissuasifs. Les saisies de marchandises restent exceptionnelles, et les procédures judiciaires, lorsqu’elles sont entamées, traînent sur plusieurs mois.

Par ailleurs, l’État libanais, dans le cadre des négociations avec le Fonds Monétaire International, s’est engagé à limiter les subventions et à laisser le marché dicter les prix. Cette orientation, perçue comme une concession à la logique de l’ajustement structurel, empêche toute tentative réelle de plafonnement des prix, au risque d’aggraver la misère populaire.

Répercussions sociales : pauvreté, colère, renoncements

Les effets de cette hausse incontrôlée des prix se manifestent dans toutes les régions du pays, sous forme de pénurie alimentaire, de renoncement à des soins de santé et de décrochage scolaire. À Zahlé, un réseau d’associations locales documente des cas de malnutrition chez des enfants de moins de 10 ans, notamment dans les camps syriens et les zones périurbaines. Plusieurs pharmacies signalent aussi des ruptures de stock sur les compléments nutritionnels pour nourrissons, jugés trop chers par les familles.

Des ONG rapportent que dans la Békaa, des familles ont cessé de consommer des protéines animales, même occasionnellement. Le repas type d’une journée se compose désormais de pain, de lentilles et de thé sucré. Des cas d’hypoglycémie ont été signalés dans des écoles publiques.

Dans les banlieues sud de Beyrouth, des mouvements de protestation spontanés ont éclaté, notamment aux abords des coopératives militaires. Des groupes de mères de famille bloquent les camions de distribution en exigeant des quotas alimentaires. La gendarmerie intervient parfois, mais les tensions restent latentes.

Une économie polarisée : évasion monétaire et élites protégées

Pendant que la majorité de la population s’appauvrit, une minorité profite de l’économie en dollar, qui devient la norme dans de nombreux secteurs. Les écoles privées, les hôpitaux, les agences de location et les magasins haut de gamme affichent leurs prix exclusivement en devises étrangères. Des résidences de luxe à Metn, Verdun ou Batroun proposent même des services prépayés en cryptoactifs, échappant à tout encadrement fiscal.

Le contraste est d’autant plus choquant que les salaires dans la fonction publique n’ont été que partiellement ajustés. Un professeur d’université gagne entre 130 et 200 dollars par mois, alors que les dépenses moyennes pour un foyer de quatre personnes sont estimées à plus de 800 dollars mensuels.

Le gouvernement, selon les déclarations récentes de certains députés, planche sur une formule hybride de tarification qui intégrerait un mécanisme d’ajustement automatique des prix en fonction d’un panier de devises. Cette proposition est cependant jugée inapplicable sans une réforme fiscale de grande ampleur.

Perspectives : absence de solution rapide et mécanismes de survie

La majorité des économistes interrogés s’accordent à dire que la situation ne peut être résolue sans un plan économique intégré combinant relance productive, réformes institutionnelles et filets sociaux financés de manière pérenne. En l’absence de budget voté et de politique monétaire autonome, les hausses de prix resteront la variable d’ajustement des déséquilibres macroéconomiques.

Dans l’immédiat, certaines municipalités tentent de réguler les marchés par des coopératives locales subventionnées ou en négociant directement avec des fournisseurs. Mais ces initiatives restent isolées et fragiles.

Des voix s’élèvent aussi pour proposer une réactivation du rôle de la Banque centrale dans la gestion des prix de l’alimentation importée, ce qui impliquerait de sortir partiellement du régime de flottement monétaire. Une telle proposition divise les économistes.

La tarification sauvage est donc le symptôme visible d’un effondrement plus profond, celui d’un contrat social brisé, où les mécanismes d’ajustement économiques se font exclusivement aux dépens des plus vulnérables.

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Newsdesk Libnanews
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