
Explosion nominale de la masse monétaire
Au premier trimestre 2025, la masse monétaire au Liban a continué de croître à un rythme rapide, avec une augmentation de 20,5 % de l’agrégat M2, selon les statistiques de la Banque du Liban. Cette hausse reflète une expansion de la liquidité interne sans lien avec la croissance du crédit ou de l’investissement. La croissance monétaire est ainsi décorrélée de l’activité réelle, illustrant l’état de déséquilibre du système financier.
Décomposition des agrégats monétaires
Les agrégats monétaires M1 à M4 permettent de mesurer différentes couches de la liquidité disponible dans l’économie. Plus on progresse vers M4, plus l’agrégat inclut des instruments financiers difficilement mobilisables.
- M1 : billets et pièces en circulation + dépôts à vue en LBP (monnaie immédiatement utilisable)
- M2 : M1 + dépôts à terme et d’épargne en LBP (monnaie disponible avec délai)
- M3 : M2 + dépôts en devises (dollarisation du système bancaire)
- M4 : M3 + instruments quasi-monétaires (bons du Trésor, certificats de dépôts, etc.)
Au Liban, M3 est souvent considéré comme l’indicateur principal de la masse monétaire réelle, compte tenu du poids des devises dans les dépôts bancaires.
Évolution récente des indicateurs
Agrégat | Montant (mars 2025) | Variation annuelle |
---|---|---|
M1 | 176 591 Mds LBP | +10,5 % |
M2 | 308 742 Mds LBP | +20,5 % |
M3 | 66,3 Mds USD | +8,2 % |
M4 (estimé) | ~430 000 Mds LBP | n.c. |
Source : Banque du Liban, calculs Libnanews
L’agrégat M1 a crû moins rapidement que M2, traduisant une reconcentration des dépôts à terme. La croissance de M3 est contenue par la faible progression des dépôts en devises, malgré leur poids dominant. M4, bien que non publié régulièrement, est estimé en nette hausse en raison de l’accumulation de bons du Trésor dans les bilans des banques.
Une monnaie en expansion sans intermédiation
Cette expansion de la masse monétaire ne s’accompagne pas d’un crédit actif. Les banques continuent de geler les octrois de prêts, et les ménages n’ont pas accès à des financements structurés. L’économie fonctionne donc avec une monnaie « immobile », stockée sur des comptes à faible rotation. L’effet multiplicateur du crédit est pratiquement nul. Cette situation empêche toute transmission monétaire classique et réduit les effets d’une politique de taux ou de réserve obligatoire.
Dollarisation des dépôts et biais des agrégats
La structure monétaire libanaise est fortement influencée par la dollarisation. En mars 2025, 74,5 % des dépôts sont en devises. Cela biaise l’interprétation des agrégats libellés en LBP, comme M1 ou M2. La variation de M2 ne reflète donc pas une création monétaire nationale à proprement parler, mais plutôt une transposition statistique de flux en devises. Le taux de change, non stabilisé officiellement, rend ces indicateurs volatils et difficilement comparablesdans le temps.
Masse monétaire et inflation : un lien rompu
En théorie, une croissance rapide de la masse monétaire devrait entraîner une hausse des prix. Mais depuis 2023, le lien entre M2 et l’inflation s’est distendu. En février 2025, l’inflation annuelle était de 15,6 %, contre 170 % en 2022, malgré une augmentation importante de M2. Ce découplage s’explique par :
- Une forte contraction de la demande
- Une valorisation interne en dollars
- L’absence de circulation rapide de la monnaie
La vélocité monétaire a fortement chuté, rendant l’expansion nominale des agrégats peu inflationniste à court terme.
Aucune maîtrise par la politique monétaire
La Banque du Liban ne dispose d’aucun levier actif pour réguler la masse monétaire. Les instruments classiques (taux directeur, réserves obligatoires, opérations d’open market) sont soit suspendus, soit inopérants. La politique de change elle-même est gérée manuellement via la plateforme Sayrafa, et ne repose plus sur un marché libre. Le pilotage de la liquidité repose sur des mesures ponctuelles (rationnement, plafonnement, retrait contrôlé), mais sans cadre cohérent.
Masse monétaire, cash et système parallèle
Le développement du marché parallèle (change, transfert, financement) échappe en grande partie aux agrégats monétaires officiels. Une portion croissante des flux de consommation est effectuée :
- En cash en devises
- Par transferts informels (hawala)
- Par des circuits non bancaires
Ces pratiques fragmentent la mesure réelle de la liquidité. L’économie libanaise opère donc avec deux masses monétaires parallèles : l’une visible, suivie par la BdL ; l’autre informelle, difficilement quantifiable.
Données de contexte sur les agrégats au Liban
À mars 2025 :
- Masse monétaire M2 : 308 742 Mds LBP (+20,5 % sur un an)
- Masse M3 : 66,3 milliards USD (+8,2 %)
- Masse M1 : 176 591 Mds LBP (+10,5 %)
- Ratio M3 / PIB : 230 % (extrêmement élevé)
- Taux de dollarisation des dépôts : 74,5 %