Le 10 septembre de chaque année, la Journée mondiale de la prévention du suicide rassemble les efforts internationaux pour sensibiliser le public à la question du suicide et encourager des actions concrètes afin de prévenir cette tragédie. Sous l’égide de l’Association internationale pour la prévention du suicide (IASP) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cette journée vise à attirer l’attention sur les mesures nécessaires pour soutenir les personnes en détresse et renforcer les systèmes de santé mentale dans le monde entier.

Chaque année, environ 703 000 personnes mettent fin à leurs jours dans le monde, et ce chiffre ne reflète qu’une partie du problème. Selon l’OMS, le nombre de tentatives de suicide est bien plus élevé. Au Liban, la situation est particulièrement préoccupante, en raison des crises multiples qui affectent la population, exacerbant les souffrances psychologiques et augmentant les risques de suicide.

Le suicide au Liban : une crise grandissante

Le Liban connaît depuis 2019 une crise économique, politique et sociale qui a profondément affecté la santé mentale de sa population. La dévaluation de la livre libanaise, l’effondrement des infrastructures publiques, le chômage massif et la pandémie de COVID-19 ont plongé des millions de Libanais dans la précarité, provoquant une hausse des troubles psychologiques comme la dépression, l’anxiété et le stress post-traumatique. Ces troubles sont souvent liés à un risque accru de suicide, en particulier dans les groupes les plus vulnérables de la société.

Selon un rapport de Human Rights Watch en 2023, plus de 80 % des Libanais vivent désormais sous le seuil de pauvreté, une situation qui a conduit à une augmentation des taux de suicide et des tentatives de suicide. L’ONG libanaise Embrace, qui gère la première ligne d’écoute nationale dédiée à la prévention du suicide (1564), a signalé une augmentation de 30 % des appels liés à des crises suicidaires entre 2020 et 2023.

Les jeunes sont particulièrement touchés par cette situation. Une enquête menée par l’Institut pour le développement de la recherche appliquée en santé mentale (IDRAAC) révèle que plus de 30 % des jeunes Libanais âgés de 18 à 34 ans ont pensé au suicide au moins une fois, tandis que 10 % ont tenté de se suicider. Les facteurs économiques, l’incertitude politique et l’absence de perspectives d’avenir expliquent cette tendance inquiétante.

Des cas emblématiques : le suicide comme symbole de désespoir

Certains suicides survenus au Liban au cours des dernières années ont marqué l’opinion publique en devenant des symboles de la situation désespérée de la population. Ces cas ont souvent déclenché des vagues de soutien émotionnel sur les réseaux sociaux, mais aussi des appels à une réforme urgente.

L’un des cas les plus marquants est celui de Ali Hajj Hassan, un jeune père de famille originaire de Baalbek qui s’est suicidé en juin 2020 après avoir perdu son emploi et ses moyens de subsistance. Son dernier message, écrit sur un papier et laissé à sa famille, disait : « Je ne veux plus être un fardeau pour vous. » Ali avait vu sa vie basculer avec la crise économique, incapacité à subvenir aux besoins de ses enfants dans un contexte où les prix des biens de première nécessité explosaient.

En juillet 2020, un autre cas tragique a secoué le pays, celui de Naji Fliti, un père de famille de 40 ans qui s’est donné la mort dans la région de Arsal. Ce père, qui travaillait dans l’administration publique, ne parvenait plus à nourrir sa famille, ayant vu son salaire perdre presque toute valeur en raison de la dévaluation de la livre libanaise. Ce geste de désespoir a provoqué une vague de colère et de tristesse dans le pays, de nombreuses personnes voyant en lui un reflet de leur propre situation.

Un autre suicide qui a choqué l’opinion publique est celui de Bassam al-Tahan, survenu en juillet 2019 à Hamra, Beyrouth. Bassam, âgé de 61 ans, s’est tiré une balle en pleine rue, laissant une note poignante : « Je ne suis pas un hérétique, mais la pauvreté est une hérésie. » Ce message a fait écho au sentiment généralisé que la pauvreté forcée par la crise économique était devenue insoutenable. Le suicide de Bassam a déclenché des manifestations spontanées dans la capitale et a été largement commenté comme un symptôme des dysfonctionnements économiques et politiques du pays.

Données récentes sur le suicide au Liban

Malgré l’absence de statistiques systématiques et centralisées, des rapports récents montrent une augmentation des comportements suicidaires au Liban depuis le début de la crise. En 2022, le nombre de suicides enregistrés dans le pays était estimé à 150 à 200 cas, mais ce chiffre est probablement sous-estimé en raison de la stigmatisation sociale entourant le suicide et des difficultés à collecter des données précises.

Embrace a enregistré plus de 22 000 appels en 2023, dont une majorité concerne des crises suicidaires. Cette augmentation reflète l’état de désespoir de nombreux Libanais face à une crise qui semble inextricable. En outre, les taux de suicide parmi les réfugiés syriens et palestiniens, qui représentent une part importante de la population du pays, sont également en hausse, mais les données restent fragmentées.

Facteurs aggravants au Liban

La détérioration des conditions de vie au Liban est l’un des principaux facteurs de risque associés au suicide. La crise économique a non seulement appauvri une grande partie de la population, mais elle a également affecté gravement le système de santé, rendant l’accès aux soins mentaux presque impossible pour beaucoup. Les hôpitaux publics sont sous-financés, et les traitements pour les troubles mentaux, lorsqu’ils sont disponibles, sont souvent hors de portée financière pour la majorité de la population.

La stigmatisation sociale reste un obstacle majeur à la recherche d’aide pour les personnes en détresse psychologique. Beaucoup de Libanais hésitent encore à consulter un professionnel de santé mentale par crainte d’être jugés ou rejetés par leur famille ou leur communauté. Cette stigmatisation est particulièrement forte dans les zones rurales et les communautés conservatrices, où les troubles mentaux sont souvent mal compris et associés à une faiblesse morale.

La pandémie de COVID-19 a également aggravé la situation. Le confinement, la distanciation sociale et les pertes d’emplois ont accru l’isolement des personnes déjà vulnérables et ont exacerbé les troubles psychologiques. En 2020, l’OMS a mis en garde contre une « pandémie parallèle » de troubles mentaux, notamment dans les pays en crise comme le Liban.

Moyens de prévention au Liban

En dépit de ces défis, plusieurs initiatives importantes ont vu le jour pour prévenir le suicide au Liban. Le programme le plus notable est sans doute la Hotline nationale de prévention du suicide (1564), mise en place par Embrace. Cette ligne d’écoute est accessible 24 heures sur 24 et offre un soutien immédiat aux personnes en détresse. Les conseillers qui y travaillent sont formés pour gérer des situations de crise et fournir des informations sur les services de santé mentale disponibles.

Le Programme national de santé mentale du ministère libanais de la Santé, en partenariat avec l’OMS, vise également à intégrer les soins de santé mentale dans les services de soins primaires. L’objectif est d’améliorer l’accès aux soins psychologiques, en particulier dans les régions rurales, et de former les professionnels de santé à la détection et au traitement des troubles mentaux. En 2021, le gouvernement a annoncé un plan quinquennal pour renforcer les infrastructures de santé mentale, mais ce programme est largement entravé par un manque de ressources et par la crise économique persistante.

Plus récemment, Embrace a lancé une série de campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux, visant à briser la stigmatisation entourant les troubles mentaux et à encourager les Libanais à chercher de l’aide. Ces campagnes utilisent des témoignages personnels et des vidéos éducatives pour promouvoir une culture de soutien et de compassion.

L’évolution de la situation

La situation du suicide au Liban est alarmante et continue de se détériorer. Les chiffres montrent une augmentation des tentatives de suicide et des comportements à risque, surtout parmi les jeunes et les personnes vivant dans la précarité. Cependant, des initiatives comme Embrace et le Programme national de santé mentale montrent que des efforts sont en cours pour faire face à cette crise.

Toutefois, il est crucial de renforcer les mécanismes de soutien existants. Le financement des services de santé mentale doit être augmenté, et la formation de professionnels capables de gérer les crises suicidaires doit être une priorité. En outre, la coopération internationale est essentielle pour fournir au Liban les ressources techniques et financières nécessaires pour répondre à cette crise.

Stratégies internationales de prévention

Le modèle de prévention du suicide recommandé par l’OMS repose sur plusieurs piliers essentiels, dont beaucoup peuvent être appliqués au Liban :

  1. Renforcement des soins de santé mentale : L’intégration des services de santé mentale dans les soins primaires est cruciale pour garantir un accès équitable et abordable aux traitements. Le Liban doit investir dans ses infrastructures de santé publique pour rendre les soins psychologiques plus accessibles, en particulier dans les zones rurales.
  2. Réduction de l’accès aux moyens de suicide : La régulation des substances toxiques et la réduction de l’accès aux armes à feu et autres moyens de suicide peuvent considérablement diminuer le taux de suicides. Les études montrent que les mesures de contrôle peuvent réduire les comportements impulsifs.
  3. Formation des professionnels de santé : Il est essentiel de former les médecins, les infirmières et autres professionnels de santé à la détection précoce des signes de dépression et des comportements suicidaires. Des programmes de formation spécifiques peuvent permettre d’améliorer la prise en charge des patients en crise.
  4. Campagnes de sensibilisation : Il est nécessaire de mener des campagnes publiques pour éduquer la population sur les signes de détresse mentale et encourager les personnes en difficulté à rechercher de l’aide sans craindre la stigmatisation. Ces campagnes doivent être adaptées à la culture locale et impliquer des leaders d’opinion, des personnalités publiques et des experts en santé mentale.
  5. Soutien aux communautés vulnérables : Il est également important de soutenir les groupes les plus vulnérables, comme les jeunes, les réfugiés et les femmes, en leur offrant des ressources spécifiques et des services adaptés à leurs besoins.

La Journée mondiale de la prévention du suicide est un rappel poignant que le suicide, bien que tragique, est évitable. Au Liban, où la crise économique et politique a intensifié les souffrances psychologiques, il est urgent de prendre des mesures décisives pour soutenir les personnes en détresse. Le pays doit renforcer ses infrastructures de santé mentale, briser la stigmatisation et encourager la recherche d’aide.

Des organisations comme Embrace jouent un rôle crucial dans ces efforts, mais elles ne peuvent pas relever ce défi seules. Il est impératif que le gouvernement libanais, en coopération avec la communauté internationale, investisse dans des politiques publiques efficaces et des programmes de prévention afin de sauver des vies et de promouvoir la résilience psychologique dans une période aussi difficile.

Sources :

  • Organisation mondiale de la santé (OMS), Rapport mondial sur la prévention du suicide, 2023.
  • Human Rights Watch, Rapport sur la crise économique au Liban et ses effets sur la santé mentale, 2023.
  • Embrace, statistiques internes, rapports sur la santé mentale au Liban, 2023.
  • Ministère de la Santé libanais, Programme national de santé mentale, 2021-2026.
  • IDRAAC, enquête sur la santé mentale des jeunes Libanais, 2021.
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