Les chiffres se succèdent montrant une dégradation accrue des conditions sociales et économiques actuelles du Liban, avec un taux d’inflation de 332 % de janvier 2021 à juillet 2022, 2 000 foyers quotidiennement qui demandent à être déconnectés du réseau de l’Electricité du Liban faute de pouvoir payer les facteurs, un taux d’hospitalisation réduit de moitié, non pas en raison de l’amélioration des conditions sanitaires générales du pays mais faute d’en avoir les moyens, un quart des médecins ont également quitté le pays, 90% de la population qui vit désormais sous le seuil de pauvreté et plus d’un tiers dans un état de pauvreté extrême. Pourtant les autorités politiques, économiques et monétaires continuent à tergiverser sur les responsabilités de chacun. Une diversion en réalité …

Parallèlement, la dollarisation des prix, comme “solution proposée” n’est qu’une répétition de la principale erreur commise dans les années 1990 avec la dollarisation indirecte via la politique de maintien paritaire prônée par les autorités financières dans le but d’attirer des capitaux, ce qui est aujourd’hui considéré comme étant à la base du schéma de fraude de type Ponzi.

La livre libanaise est désormais à son plus-bas historique jour après jour, sans aucune solution à la chute, les dernières initiatives de la Banque du Liban s’étant soldées, comme prévu, par un échec, faute de cohérence, semblant aussi tenir en otage la société libanaise face aux procédures judiciaires qui visent un certain nombre de dirigeants

Le deepstate ou l’état profond a officiellement remplacé l’état de droit. Cet état profond est composé des composantes des dirigeants bancaires, des mafias des agences exclusives, importateurs, mafia des générateurs et des autres secteurs qui profitent de la crise et de l’affaiblissement de l’état et des administrations publiques.

Pour rappel, au final, Hassan Diab avait raison en évoquant, lors de son discours de démission de décrire un état de mafia plus fort que l’état.

Et les banques résistent à l’état de droit

Dernier épisode en date, la faillite aux USA de SVB a donné droit à des échanges parfois surprenants. Dès l’annonce de la mise en faillite de la banque, les banques libanaises se sont empressées – étonnamment – de faire le parallèle, sous prétexte que cette liquidation allait faire disparaitre des dépôts si elle intervenait. Chose bien vite démentie, par la rapidité même des autorités américaines qui ont, dans les 3 jours, saisis les biens de l’établissement financier et garantis les dépôts à 100%. Un exemple malheureusement qui n’a pas pu être appliqué au Liban depuis ces 3 dernières années en dépit des différentes décisions judiciaires pourtant conclues localement en faveur des déposants.

En 2020 déjà, sur fond d’accusations de manipulation de la parité de la livre libanaise face au dollar, les banques avaient menacé d’une grève générale. Depuis, sur fond plutôt des recours présentés par les déposants en vue de pouvoir disposer librement des fonds qui leurs avaient été confiés, même si les établissements financiers disposent des autres leviers du pouvoir comme le démontre la lettre du premier ministre Najib Mikati au ministre de l’intérieur, lettre considérée par les juges comme une ingérence manifeste dans les affaires judiciares, les banques, ont recours à la même tactique, celle d’une grève générale.

Si la raison évoquée est celle des affaires judiciaires les visant, la réalité semble être tout autre, celle d’un manque de liquidité qui s’ajoute à celle de l’insolvabilité des établissements bancaires. Dans un cas normal, comme celui de SVB, la législation locale aurait suffi à protéger les dépôts d’une population meurtrie à qui les banques refusent de verser les sommes nécessaires même à assurer les besoins vitaux, même en cas de vie ou de mort comme le paiement des frais hospitaliers comme dans le cas de Saly Hafiz.

Les banques – insolvables depuis 2019 et soufrant d’un défaut de liquidité aujourd’hui – résistent aussi à la restructuration financière

Face au plan Diab-Lazard qui prévoyait une parité de 4 000 LL/USD en 2023 au lieu des 100 000 LL/USD aujourd’hui, les banques ont rapidement activé leurs relais au sein même des administrations publiques. Cela était d’autant plus rapide qu’il encore rappeler que 43% des actions des banques appartiennent à des personnes exposées politiquement et notamment certains députés. Les frontières politiques traditionnelles sont ainsi transcendées par leurs intérêts privés.

Le plan Diab-Lazard prévoyait notamment un bail-out des actionnaires existants en raison de l’importance des pertes du secteur financier, estimées à 63 milliards de dollars en 2020, aujourd’hui ouvertement estimées à plus de 75 milliards de dollars par les autorités publiques et plus de 100 milliards de dollars selon les agences de notation. Leur déni officiel de la gravité de la crise va aujourd’hui jusqu’à officiellement accuser l’état d”être à l’origine de la situation concernant les dépôts suite à la déclaration d’un état de défaut en mars 2020 alors qu’elles étaient elles-même en état de défaut de paiement sélectif depuis novembre 2019, suite à l’instauration d’un contrôle informel des capitaux.

Si les dirigeants des banques rejettent toute responsabilité dans la crise financière sur l’état et la Banque du Liban, il est nécessaire de souligner leurs responsabilités. Elles n’étaient en effet pas obligées d’investir au-delà des ratios des réserves obligatoires en achetant des certificats de dépôts de la banque centrale, encore moins d’acheter des obligations libanaises et pourtant elles l’ont fait, avec comme bénéfice, l’obtention d’intérêts importants en livre libanaise, gonflant ainsi les dividendes de leurs actionnaires, des fonds notamment transférés à l’étranger, ce qui a amené à l’ouverture d’un dossier judiciaire, dossier justement à l’origine aussi de la grève générale de ces derniers.

Faute d’un plan adopté de restructuration du secteur financier, la législation locale existante devrait logiquement s’appliquer avec la mise en faillite officielle des banques. Elles sont déjà bien considérées, contrairement à ce qu’elles prétendent, comme en état de défaut depuis novembre 2019 par les agences de notation internationales suite à l’instauration d’un contrôle informel des capitaux. La législation actuelle, adoptée suite au crash de la banque Intra dans les années 1960 prévoit, la saisie des biens des banques, la garantie des dépôts via un fond dédié, mais aussi et surtout un audit juricomptable des comptes de ces établissements, élargi aux comptes des dirigeants et membres des conseils d’administration pour qui une saisie conservatoire de leurs biens devrait être automatiquement mise en oeuvre.

Ces mesures évidemment gênent ce membre proéminent du deepstate… beaucoup de choses pourraient alors ressurgir.

Parallèlement, l’une des conditions de l’aide internationale dont pourrait bénéficier le Liban en cas de conclusion d’un accord final avec le FMI prévoit aussi un audit des principales banques du Liban comme élément préalable nécessaire à l’élaboration d’un plan de restructuration de ce secteur, une chose que redoutent à juste titre ces dirigeants d’établissement plus à caractère familial au final.

Et l’économie libanaise tarde à rebondir faute d’un système financier crédible et transparent

Alors qu’un rebond technique était attendu en 2023, après que le PIB soit passé de 55 Milliards de dollars en 2019 à seulement un peu plus de 20 milliards de dollars en 2022, les dernières estimations de croissance au Liban font état de la poursuite de la récession qui touche le pays des cèdres, – 7% selon l’Institution financier international, bien loin d’un retour à une croissance légère prévue dans le cadre du budget 2022 ou encore des chiffres publiés par la BdL.

Le moteur économique libanais est ainsi profondément touché aujourd’hui par l’absence des liquidités nécessaires pour financer la relance économique faute d’obtenir une aide internationale, voire même la survie économique, ces liquidités constituant l’huile dont a besoin le moteur économique.

Les flux financiers entrants sont du fait de proches de personnes résidantes au Liban, qui tentent ainsi à venir en aide à ces derniers et non plus à investir via un système financier qui n’est plus crédible. Il faut ici rappeler que les flux financiers entrants et sortants se sont inversés en janvier 2019, un élément qui devait logiquement sonner l’alarme mais qui était passé sous silence par l’establishment financier ainsi que par les autorités politiques et monétaires.

Et pour cause, chat échaudé craint l’eau froide. Les membres de la diaspora libanaise ont soutenu durant des années ce système financier, fort d’importants taux d’intérêts sans comprendre (généralement) que ces taux étaient en rapport avec le risque souverain. Ainsi, plus les taux importants et plus les risques de perte l’étaient également.

Parallèlement, aucun investissement étranger ne pourrait avoir lieu au Liban avec, outre les structures financières actuelles, considérées comme défaillantes mais aussi avec des dirigeants actuels considérés comme responsables de mal-gérance des fonds qui leurs avaient été confiés.

L’élection d’un nouveau président de la république ne changera pas la problématique de fond

Beaucoup d’organismes syndicats, partis politiques ou encore de personnalités annoncent publiquement que l’élection d’un nouveau président de la république pourrait améliorer la situation. Chose étrange qui ne change en réalité rien aux problématiques auxquelles le Liban fait face tant les dégâts semblent être irréparables et la résistance du deepstate importante. Pour rappel, le Liban est sans président depuis le 1er novembre 2022.

Les conditions de la communauté internationale sont ainsi claires: il s’agit de détricoter ce deepstate, ces mafias qui nous gouvernent.

Si une amélioration relative pourrait intervenir pour les jours et les semaines suivant l’élection d’un nouveau locataire au Palais Présidentiel, cela en soit n’amène à aucun changement fondamental de la réalité économique ou financière sans mesures fortes alors que les partis et intérêts locaux tergiverseront.

Pour l’heure cependant, les candidats proposés par les partis politiques correspondent plus aux cahiers des charges des banques libanaises et de ce deepstate et non de la population, certains comme Michel Mouawad figurant à l’époque au sein de la commission parlementaire des finances et du budget qui a saboté le plan Diab-Lazard ou encore Sleiman Franjieh dont les intérêts économiques sont évidents.

Côté communauté internationale, les candidatures du commandant de l’Armée Libanaise ou encore de Jihad Azour ne correspondent pas au cahier des charges nécessaires face à la situation par manque de soutien politique interne pour faire bouger les chose face à une situation dramatique. Celle de Jihad Azour est d’autant plus étonnante que, s’il s’agit d’un homme qui connait le système, il a en effet été chef de cabinet de Fouad Saniora alors ministre des finances pour ensuite prendre la tête de ce ministère, devenant témoin bien silencieux

Pour l’heure, aucun candidat “intéressant” n’est apparu d’autant plus qu’une autre question concerne les prérogatives de la présidence de la république qui pourraient s’avérer être suffisantes pour faire face au deepstate qui s’est infiltré profondément au sein des institutions publiques.

La chute est désormais sans fond

Aucune perspective positive n’est aujourd’hui possible sans accord avec le FMI avec qui les choses sont pourtant claires: réformes économiques, réformes monétaires, mais aussi transparence et état de droit. Ces mots fâchent le deepstate au Liban. Ils refusent d’autant plus qu’ils ont profité de l’affaiblissement des services de l’état pour proposer des systèmes alternatifs, un deepstate de racket de la population, obligée de payer une double facture d’électricité ou d’eau, d’importants frais pour acheter des produits de première nécessité souvent au double des prix dans les autres pays, un racket au final organisé.

Figure de taille, le gouverneur de la Banque du Liban est désormais dans l’oeil du viseur de la justice internationale faute à ce que la justice locale ait pu faire, depuis les premières informations concernant de possibles détournements de fonds dans les années 2000, son travail. Considéré comme personne la plus puissante au Liban, de l’aveux comme le soulignait les présentateurs d’une émission radio française, en place depuis 30 ans, arrivé il y a 30 ans, architecte du système financier aujourd’hui en déroute, Riad Salamé semblait indéboulonnable.

Riad Salamé est sans nul doute considéré comme l’homme qui en sait beaucoup, mais il ne s’agit pas d’un bouc-émissaire comme certains aiment à le décrire en vue de le défendre mais aussi un membre de ce deepstate qui nous a amené vers les abîmes comme le démontrent les importantes sommes dont il est soupçonné d’en avoir détourné l’usage au profit des personnalités qui le protégeaient jusqu’à présent. Les noms sont connus, à Monaco, on accuse même le premier ministre sortant et ses proches d’avoir fait bénéficier de prêts de la Banque du Liban dont l’usage, destinée à la frange la plus vulnérable de la population, a été détourné. Au Liechtenstein, on accuse ainsi les mêmes sociétés du premier ministre d’avoir transféré des sommes importantes aux proches de Riad Salamé, un dossier qui n’est pour le moment pas encore ouvert au Liban.

Les relations incestueuses entre classe politique et affaire constituent plus que jamais ce deepstate qui nous gouverne en réalité et qui résiste aux réformes prônées par la communauté internationale, cette gouvernance en faveur d’intérêts personnels au détriment de l’intérêt public.

François El Bacha
Expert économique, François el Bacha est l'un des membres fondateurs de Libnanews.com. Il a notamment travaillé pour des projets multiples, allant du secteur bancaire aux problèmes socio-économiques et plus spécifiquement en terme de diversité au sein des entreprises.

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