La sécurité civile sous pression : entre coordination et débordement

- Advertisement -

À la suite des frappes israéliennes du 5 juin 2025, les services de sécurité civile libanais ont été confrontés à un afflux massif d’interventions d’urgence, de déplacements de population et de gestion de crise simultanée dans plusieurs quartiers densément peuplés. Cette situation a mis en lumière les limites structurelles et opérationnelles du dispositif de sécurité civile du pays, déjà fragilisé par les crises économiques et politiques successives. Alors que l’État central peine à coordonner efficacement les secours, les initiatives locales et les réseaux communautaires se substituent de plus en plus aux institutions officielles, au risque de désarticuler la réponse nationale.

Saturation des dispositifs d’intervention d’urgence

Dès les premières heures suivant les frappes, les unités de la Défense civile ont été sollicitées dans plusieurs secteurs touchés simultanément, notamment à Hadath, Bourj el-Barajneh et Haret Hreik. Les appels d’urgence ont excédé les capacités d’intervention des équipes, contraignant certains centres à suspendre temporairement les lignes de réponse pour désengorger les réseaux.

La pénurie de matériel — ambulances, équipements de déblaiement, générateurs — a ralenti les efforts de sauvetage. De nombreux volontaires, non formés, ont rejoint les opérations, ce qui a permis de multiplier les points d’appui mais a aussi complexifié la chaîne de commandement. L’absence de coordination initiale entre les services médicaux, les unités de sécurité, et les associations de secours a conduit à des situations de chevauchement, voire d’annulation mutuelle de missions.

Cette saturation a souligné l’absence d’un protocole unifié de gestion de crise multidimensionnelle en zone urbaine. Les centres régionaux, mal équipés, ont été dépassés par l’ampleur des dégâts et l’exigence de rapidité.

Multiplication des acteurs : coordination difficile, rivalités institutionnelles

La scène de la sécurité civile au Liban repose sur un ensemble hétérogène d’acteurs : Défense civile nationale, Croix-Rouge libanaise, pompiers municipaux, services hospitaliers, organisations caritatives confessionnelles, et comités de quartier. En période de crise, cette diversité peut devenir une richesse. Mais en l’absence d’un organe de pilotage centralisé, elle devient source de confusion.

Certains responsables locaux ont déploré une désorganisation des flux d’information. Les plans de secours n’étaient pas à jour, les moyens de communication entre centres d’opération limités, et les lignes hiérarchiques inopérantes. Dans certaines zones, plusieurs entités ont pris l’initiative de diriger les secours sans coordination, générant des tensions entre équipes.

Des divergences sont également apparues entre les unités issues de différentes régions ou communautés, notamment lorsqu’il s’agissait de répartir les ressources rares ou de prioriser les interventions. Cette compétition pour le contrôle des secours illustre une politisation de la sécurité civile en contexte de fragmentation institutionnelle.

Rôle croissant des réseaux communautaires

Face à l’inefficacité de certaines institutions officielles, des réseaux communautaires se sont rapidement mobilisés pour combler les vides. Associations religieuses, organisations estudiantines, scouts, groupes politiques et mouvements civiques ont monté des unités de premiers secours, distribué des vivres, sécurisé des quartiers.

Ces réseaux ont joué un rôle crucial dans la prise en charge initiale, notamment dans les zones denses. Ils bénéficient d’une implantation locale, d’une connaissance fine du terrain, et d’une confiance populaire plus élevée que les services étatiques. Toutefois, leur intervention pose un problème de légalité, de traçabilité et de cohérence opérationnelle.

Certains groupes agissent de manière indépendante, sans se conformer aux normes de sécurité ni aux procédures officielles. Cette autonomie renforce leur efficacité sur le court terme, mais complique l’intégration dans un dispositif national cohérent.

Effets de la crise sur les personnels de sécurité

Les agents de la sécurité civile, souvent mal rémunérés et exposés à des conditions de travail précaires, ont été particulièrement mis à l’épreuve. De nombreux secouristes ont travaillé sans interruption durant plus de 48 heures, sans relai suffisant ni soutien psychologique.

Des cas de burn-out, de stress post-traumatique et de fatigue extrême ont été signalés dans plusieurs unités. L’absence de protection sociale adéquate, l’insuffisance des formations continues et la faible reconnaissance publique fragilisent la résilience de ces équipes.

La crise a révélé l’urgente nécessité d’un plan national de soutien aux agents de terrain, intégrant des dispositifs de rotation, de formation et d’accompagnement psychologique.

Débordement sécuritaire et perte de contrôle localisé

Dans certaines zones impactées, des scènes de panique ont été observées, avec des pillages ponctuels, des altercations entre groupes d’auto-défense, et des blocages de routes par des habitants mécontents du retard des secours.

Des rapports signalent également des tensions entre civils et représentants de l’État, accusés d’abandon ou de partialité. Cette défiance envers les institutions publiques est alimentée par les frustrations accumulées depuis les crises précédentes, notamment l’explosion du port de Beyrouth en 2020.

Le risque de désordre généralisé augmente à mesure que les structures de coordination perdent le contrôle local. Dans certaines municipalités, des maires ont pris des décisions d’urgence sans consulter les autorités centrales, créant un réseau parallèle de gestion de crise.

- Advertisement -