La frappe israélienne du 5 juin 2025 a plongé le Liban dans une nouvelle phase d’instabilité majeure. Au cœur de cette séquence, le Premier ministre Nawaf Salam est confronté à l’un des défis les plus redoutables de sa carrière politique : gérer une crise sécuritaire inédite tout en préservant la légitimité d’un gouvernement déjà soumis à de fortes pressions internes. Ce contexte de tension extrême met en lumière les qualités, les limites et les marges de manœuvre d’un chef de gouvernement souvent perçu comme technocrate, modéré et indépendant, mais désormais sommé de se positionner en leader d’exception.
Un parcours façonné par le droit et la diplomatie
Avant son entrée dans l’arène politique nationale, Nawaf Salam s’est distingué par une carrière prestigieuse dans les institutions internationales. Juriste reconnu, professeur de droit, puis ambassadeur du Liban auprès des Nations unies, il a incarné une forme de rationalité juridique et diplomatique rare dans le paysage politique libanais.
Son accession à la tête du gouvernement, en janvier 2025, avait été saluée comme une tentative de sortie du clientélisme traditionnel. Il avait été choisi pour sa neutralité perçue, son crédit international, et sa capacité à fédérer des blocs opposés dans un contexte parlementaire éclaté.
Ce profil technocratique lui a permis d’initier plusieurs réformes de structure dans l’administration et les finances publiques. Mais il l’a aussi tenu à distance des équilibres de pouvoir classiques, le rendant plus vulnérable en période de confrontation sécuritaire.
Une posture de prudence assumée
Depuis les événements du 5 juin, Nawaf Salam a adopté une ligne de communication sobre, axée sur le droit international, la souveraineté et la coordination avec les partenaires diplomatiques. Il a évité les envolées patriotiques ou les déclarations guerrières, au profit d’un discours légaliste et modéré.
Cette prudence, cohérente avec son parcours, vise à protéger le Liban d’une escalade incontrôlable, mais elle a été critiquée par certaines forces politiques comme un signe de faiblesse ou de passivité. Des appels à une position plus offensive, voire à une restructuration de l’outil de défense nationale, se sont fait entendre.
Nawaf Salam tente ainsi de tenir une ligne d’équilibre : affirmer l’attachement du Liban à sa souveraineté tout en refusant d’entraîner le pays dans une logique de confrontation armée directe.
Un gouvernement sous tension
La crise actuelle accentue les fragilités d’un gouvernement formé sur la base de compromis délicats. Les ministres expriment des sensibilités divergentes, notamment sur les relations avec le Hezbollah, le rôle de l’armée, et la place du Conseil supérieur de défense dans la gestion des opérations.
Le Premier ministre doit composer avec des blocages internes, tout en maintenant une façade d’unité nationale. Les conseils des ministres se sont faits plus rares depuis le 5 juin, remplacés par des réunions bilatérales ou restreintes.
La gouvernance par consensus atteint ses limites en période de crise aiguë. Le Premier ministre est donc contraint de prendre des décisions rapides sans disposer d’un soutien politique solide ou d’un socle institutionnel robuste.
Image publique : entre discrétion et attente de leadership
Dans les médias et sur les réseaux sociaux, Nawaf Salam conserve une image de rigueur et d’intégrité. Il est vu comme un homme d’État méthodique, peu enclin à la théâtralité, mais engagé dans la défense des principes de l’État de droit.
Toutefois, dans un contexte d’urgence, cette modération peut apparaître comme un défaut de charisme. Une partie de l’opinion attend une parole plus incarnée, plus réactive, plus symbolique. Le contraste avec le style martial du président Joseph Aoun est à cet égard révélateur.
Cette attente d’un leadership plus affirmé pousse Nawaf Salam à ajuster son positionnement. Il intensifie désormais ses contacts avec les gouverneurs, les chefs de missions diplomatiques, et les acteurs de terrain, dans une tentative de mieux coordonner l’action publique.
Diplomatie active et repositionnement régional
Sur le plan international, Nawaf Salam déploie une intense activité diplomatique. Il a sollicité la tenue d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité, rencontré plusieurs ambassadeurs arabes et européens, et coordonné la réponse humanitaire avec les agences des Nations unies.
Son profil d’ancien diplomate lui donne une crédibilité particulière dans ce registre. Il cherche à renforcer le soutien international au Liban tout en évitant que le pays ne devienne l’otage de rivalités régionales.
Cette stratégie permet de préserver des canaux d’aide et de médiation, mais elle dépend fortement de la perception extérieure du Liban comme acteur encore gouvernable. Une perte de contrôle sécuritaire pourrait altérer cette image et affaiblir son crédit.