Un score régional en net recul
Le dernier rapport régional de la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale (ESCWA) classe le Liban 13ᵉ sur 16 pays arabes en matière d’inclusion financière, un recul significatif par rapport aux classements antérieurs. Le score global d’inclusion financière attribué au Liban est de 32,5 sur 100, contre une moyenne régionale de 43,2. Ce classement repose sur une combinaison de critères incluant l’accès aux services financiers, l’utilisation des instruments de paiement, le crédit, l’épargne formelle et l’infrastructure réglementaire. Le Liban se retrouve ainsi derrière des pays comme le Maroc (53,4), la Jordanie (49,1) et même le Soudan (36,0), ce qui interroge fortement sur la capacité du pays à reconstruire un secteur bancaire fonctionnel.
Critères méthodologiques de l’index ESCWA
L’index d’inclusion financière ESCWA repose sur cinq dimensions principales :
- Accès aux services bancaires de base
- Taux d’utilisation des comptes bancaires, cartes et services mobiles
- Accès au crédit formel
- Niveau d’épargne bancaire
- Cadre réglementaire et protection des usagers
Chaque dimension est mesurée par des indicateurs pondérés issus de données bancaires officielles, d’enquêtes de terrain et de bases de données comme Global Findex (Banque mondiale) et Arab Monetary Fund. Le Liban obtient ses scores les plus bas sur les variables « accès au crédit » (11/100) et « épargne formelle » (15/100), révélant un effondrement de la confiance et des capacités d’intermédiation bancaire.
Comparaison régionale des scores ESCWA 2025
Pays | Score global | Rang sur 16 |
---|---|---|
Émirats | 78,2 | 1ᵉʳ |
Arabie saoudite | 70,1 | 2ᵉ |
Maroc | 53,4 | 5ᵉ |
Jordanie | 49,1 | 7ᵉ |
Égypte | 40,5 | 9ᵉ |
Soudan | 36,0 | 12ᵉ |
Liban | 32,5 | 13ᵉ |
Source : ESCWA, Arab Financial Inclusion Index 2025
Érosion du secteur bancaire depuis 2019
Avant la crise bancaire de 2019, le Liban était considéré comme un pays relativement avancé en matière d’infrastructure financière, avec plus de 60 % de la population disposant d’un compte bancaire. Ce taux est aujourd’hui estimé à moins de 25 %, selon la Banque mondiale. Le gel informel des dépôts, l’effondrement de la livre libanaise, l’instauration de restrictions bancaires non légalisées, et l’absence de restructuration formelle du secteur ont contribué à une démobilisation massive de l’épargne. La plupart des transactions se sont déplacées vers le numéraire et les systèmes parallèles de transfert d’argent.
Chute des instruments financiers en circulation
Le nombre total de cartes de paiement actives est passé de 3,1 millions en 2019 à 1,8 million en septembre 2024, selon la Banque du Liban. Cette baisse s’accompagne d’une chute de 73 % des paiements électroniques en valeur, et d’un transfert de la majorité des flux de consommation vers des espèces ou des virements sur le marché parallèle. Les banques ont drastiquement réduit l’émission de nouveaux instruments de paiement, en raison des risques de change et de la faiblesse de leur base de dépôts disponibles.
Cadre réglementaire inopérant
La Banque du Liban n’a pas encore mis en œuvre les directives de la Stratégie nationale d’inclusion financière, pourtant adoptée en 2018 avec le soutien de la GIZ et de la Banque mondiale. Les projets de loi sur la protection des consommateurs financiers, le microcrédit réglementé, et la régulation des FinTechs restent bloqués au Parlement. En l’absence de législation adéquate, les institutions financières opérant sur des bases digitales (wallets mobiles, agrégateurs de paiements) ne sont ni supervisées ni intégrées dans l’écosystème bancaire. Cela freine l’expansion de solutions alternatives pourtant cruciales dans un contexte de défiance vis-à-vis des banques traditionnelles.
Vulnérabilité des groupes non bancarisés
Les populations rurales, les femmes et les jeunes adultes sont les plus touchés par l’exclusion financière. Moins de 12 % des femmes vivant hors de Beyrouth disposent d’un accès à un service financier formel, contre 28 % des hommes en milieu urbain. Le taux de bancarisation des jeunes de moins de 25 ans est estimé à moins de 10 %. L’absence d’accès au crédit, y compris à travers les canaux de microfinance, limite gravement les possibilités de lancement d’activités génératrices de revenus dans les zones les plus pauvres du pays.
Aucune numérisation bancaire effective
Les banques libanaises, en situation de quasi-faillite technique, ont stoppé leurs projets de transformation digitale. Aucun réseau bancaire libanais n’offre actuellement de solution mobile bancaire intégrée avec des services de crédit ou de dépôt actifs. Le taux d’usage des services financiers numériques est estimé à moins de 6 %, contre 45 % au Maroc et plus de 60 % en Égypte. La situation du Liban le rapproche davantage des pays en conflit ou à très faible infrastructure, comme le Yémen ou la Somalie, que des pays émergents de la région.
Données de contexte sur la Banque du Liban
La Banque du Liban, fondée en 1964, est responsable de la supervision monétaire et bancaire. Depuis 2019, elle est confrontée à une crise de légitimité sans précédent. Elle gère un système bancaire dont les passifs dépassent largement les actifs disponibles. En septembre 2024 :
- Nombre de cartes de paiement : 1,8 million
- Encours des crédits à la consommation : 437 millions USD (contre 2,8 milliards USD en 2018)
- Taux d’épargne formelle des ménages : 5,3 % du revenu disponible
- Taux d’utilisation des services de paiement électronique : < 6 %