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Le poids mort du secteur financier dans l’économie réelle libanaise : entre stérilisation des liquidités et blocage du crédit

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Un système bancaire à 93 milliards USD d’actifs qui n’alimente plus ni croissance ni investissement

En 2025, le secteur bancaire libanais pèse toujours lourd en taille, mais plus rien dans la dynamique économique. Selon les dernières estimations consolidées, les banques commerciales libanaises détiennent environ 93 milliards USD d’actifs, un volume encore imposant à l’échelle du PIB libanais. Pourtant, leur capacité à irriguer l’économie réelle est quasi nulle. Le crédit bancaire est tombé à 4,2 % des actifs totaux, soit l’un des ratios les plus bas du monde. Derrière cette inertie, une réalité systémique : le secteur financier est devenu un poids mort, un passif structurel incapable de financer la reprise, tout en bloquant la restructuration macroéconomique du pays.

78 % de liquidités inutilisées : une stérilisation institutionnalisée

Le paradoxe commence par le niveau anormalement élevé de liquidité dans le secteur. En 2024, plus de 78 % des actifs bancaires sont constitués de liquidités ou équivalents, selon les données compilées par Fitch Solutions et le ministère des Finances. Mais ces liquidités sont stériles : elles sont détenues en dépôts auprès de la Banque du Liban, en bons du Trésor sans échéance claire, ou en comptes d’attente liés à la restructuration des pertes. Elles ne circulent pas dans l’économie réelle. Ce stock inerte empêche tout levier d’investissement, toute allocation sectorielle, et condamne le secteur productif à se financer hors du circuit bancaire.

Une fonction de crédit en panne totale

Le crédit aux ménages et aux entreprises, qui représentait près de 55 % des actifs en 2018, est tombé sous les 5 % en 2025. La fonction même d’intermédiation bancaire est éteinte. Aucun prêt immobilier n’est accordé depuis trois ans. Les financements de trésorerie aux PME sont rarissimes. Le risque de défaut structurel, l’absence de cadre juridique fiable pour l’exécution des contrats et la volatilité du taux de change bloquent toute velléité de reprise du crédit. Les banques préfèrent geler leurs actifs, quitte à sacrifier leur rôle économique. Cette situation pousse les entreprises vers l’autofinancement, les circuits informels, ou les prêts entre particuliers, avec des taux d’usure de plus en plus fréquents.

Une industrie bancaire réduite à la gestion des retraits

Depuis le début de la crise en 2019, les banques sont passées d’un rôle de moteur financier à celui de guichet de contrôle des sorties. L’activité principale consiste désormais à gérer les retraits plafonnés, à arbitrer les comptes Lollar (dépôts en USD bloqués) et à négocier les frais sur les conversions. Le personnel est en forte baisse (−40 % depuis 2020), le nombre d’agences a chuté de moitié. L’investissement technologique est gelé. Les directions bancaires consacrent leur énergie non à l’innovation ou au financement, mais à leur propre survie juridique, face à des milliers de plaintes déposées au Liban et à l’étranger.

L’économie privée sans moteur bancaire

Cette déconnexion du secteur financier a un effet direct : l’économie privée fonctionne sans soutien bancaire. Les projets d’investissement sont rares, les start-ups financées par des fonds étrangers ou la diaspora. L’absence de prêts de fonds de roulement fragilise les chaînes d’approvisionnement, en particulier dans l’agroalimentaire, l’industrie légère et le commerce de gros. Les retards de paiement augmentent, les liquidations s’enchaînent, sans amortisseur de crédit. Le système bancaire est donc non seulement neutre, mais désormais négativement corrélé à l’activité réelle : plus les banques réduisent leur exposition, plus le tissu productif s’érode.

Un blocage de la réforme macroéconomique

Le poids du secteur financier ne se limite pas à sa fonction économique absente : il bloque la réforme macroéconomique. Toute restructuration bancaire impliquerait la reconnaissance de pertes massives, estimées à plus de 70 milliards USD en cumulé. Mais les banques détiennent encore une part importante de la dette souveraine. Elles sont donc à la fois créancières et dépendantes du budget de l’État. Ce conflit d’intérêts structurel empêche toute avancée dans le plan de redressement présenté au FMI. En l’absence de mécanisme de bail-in, de loi sur la restructuration ou de recapitalisation externe, le secteur reste figé, suspendu dans un état de « zombie » financier.

La dollarisation comme verrou de reprise

Plus de 80 % des dépôts bancaires sont aujourd’hui libellés en dollars. Cette dollarisation extrême, non encadrée juridiquement, rend toute relance monétaire impossible. Les prêts en livres sont rares, ceux en dollars presque inexistants. Les banques opèrent entre deux régimes de change non transparents (Sayrafa, marché noir) sans cadre clair. Le résultat est une double paralysie : la Banque du Liban ne peut piloter aucune politique monétaire cohérente, et les banques ne peuvent allouer leur capital efficacement. La dollarisation est devenue un verrou de stabilité plus qu’un filet de sécurité.

Une rente sans redistribution

Malgré leur inactivité, certaines banques génèrent encore des revenus via les commissions, les frais de gestion et la spéculation de change. Ces recettes ne sont pas réinvesties dans l’économie réelle, mais servent à maintenir les structures de direction, les filiales non bancaires ou les activités hors-bilan. Le secteur bancaire est devenu une rente captive, défendue par les groupes d’intérêt politiques qui refusent toute réforme. Les pertes sont socialisées, les profits résiduels captés par une minorité d’actionnaires. Aucun mécanisme de taxation exceptionnelle ni d’audit obligatoire n’a été imposé à ce jour.

Le coût d’opportunité macroéconomique

L’absence de secteur bancaire fonctionnel impose au Liban un coût d’opportunité considérable :
– taux de croissance amputé de 2 à 3 points par an
– sous-financement chronique de l’investissement privé
– absence d’amortisseur en cas de choc externe
– perte de souveraineté monétaire complète

Le redressement économique sans banques est possible, mais plus lent, plus coûteux, et fortement dépendant d’acteurs extérieurs. En 2025, l’essentiel du crédit commercial est assuré par des entreprises étrangères, des organismes de microfinance ou des bailleurs internationaux.


📌 Données sur les institutions clés

Banques libanaises (secteur global)
– Actifs : environ 93 milliards USD
– Crédit / actifs : 4,2 %
– Liquidités : 78 % des actifs
– Dépôts en dollars : >80 %
– Nombre d’agences : −50 % depuis 2019

Banque du Liban (BDL)
– Gère les réserves de change et supervise le secteur
– Pas de réforme structurelle bancaire lancée depuis 2019
– Politique monétaire gelée dans un régime de multi-taux

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