Des réserves importantes mais une économie sans crédit
Fitch Solutions livre en mai 2025 une analyse SWOT du système bancaire libanais qui, malgré une façade de liquidité et de résilience opérationnelle, révèle un secteur profondément dysfonctionnel et structurellement incapable de jouer son rôle d’intermédiation. Le constat est sans appel : si les banques libanaises conservent une base de dépôts et un niveau de liquidités élevés, elles ne financent plus l’économie. Les prêts aux clients ne représentent que 4,2 % de leurs actifs totaux. Ce chiffre, dramatique pour un système censé irriguer le tissu économique, illustre l’ampleur de la panne bancaire nationale.
Forces : un faux confort porté par la surliquidité et l’inertie
Le premier point relevé par Fitch est la part des liquidités et réserves dans les bilans bancaires : 78 % des actifs au 31 décembre 2024. Une donnée qui en dit plus sur l’absence d’activité de crédit que sur une quelconque santé financière. La présence de liquidités massives découle en grande partie de l’impossibilité d’utiliser ces fonds autrement, les risques systémiques étant jugés trop élevés. Malgré tout, le réseau bancaire libanais continue de fonctionner, traitant paiements, transferts et opérations de base. La base de dépôts, notamment non résidente, offre une relative stabilité, même si elle repose sur une confiance désormais plus politique qu’économique. La montée des services digitaux (applications bancaires, paiement mobile) constitue une modernisation opportuniste, dictée davantage par la réduction du réseau physique que par une stratégie d’innovation.
Faiblesses : un système désintermédié, incapable de financer l’économie
Fitch qualifie la fonction de crédit du secteur bancaire de « quasi-inexistante » : avec seulement 4,2 % d’actifs alloués aux prêts à l’économie réelle, le Liban est devenu un cas extrême de désintermédiation. Cette situation pèse lourdement sur les PME, les projets d’investissement et même les besoins de trésorerie courants des entreprises. La recapitalisation reste très insuffisante : les ratios de fonds propres sont faibles face aux risques accumulés, et les recapitalisations observées sont fragmentaires. Le système bancaire libanais est également totalement exposé au risque souverain. En l’absence de titres privés ou d’opportunités de placement alternatives, les banques détiennent une part écrasante de dette publique, ce qui les rend vulnérables à toute restructuration. Le retard réglementaire est une faiblesse majeure. Ni stress tests, ni revue indépendante des bilans n’ont été conduits à l’échelle du système. La Banque du Liban, minée par les conflits d’intérêts, n’a pas imposé de normes prudentielles crédibles depuis 2020.
Opportunités : réformer, numériser, inclure… si l’État bouge
Fitch identifie plusieurs pistes de redressement, mais toutes dépendent de conditions politiques et institutionnelles qui, à ce jour, restent absentes. La première opportunité réside dans une stabilisation macroéconomique via un accord avec le FMI. Celui-ci pourrait restructurer la dette, recapitaliser les banques et restaurer une forme de crédibilité. Le développement accéléré des services bancaires digitaux est également vu comme une chance de modernisation, surtout dans un pays où la couverture mobile est élevée. L’inclusion financière, via les produits liés aux transferts de fonds, les portefeuilles électroniques ou les microcrédits, pourrait élargir la base de clientèle active. Enfin, l’adoption de normes prudentielles internationales (type Bâle II ou III) ouvrirait la porte à un retour progressif des investisseurs étrangers institutionnels. Mais tout ceci suppose une volonté politique, un cadre juridique opérationnel et un consensus national sur les réformes. À ce stade, rien ne garantit leur émergence.
Menaces : dollarisation, désengagement du FMI, instabilité chronique
Fitch insiste sur la persistance de trois menaces systémiques : la dollarisation, la fuite des dépôts et le blocage politique. La dollarisation — déjà supérieure à 80 % des dépôts — empêche toute reprise monétaire autonome. Elle expose les banques à des risques de change massifs. La fuite des dépôts, bien qu’atténuée en 2024, peut reprendre à tout moment, à la moindre crise politique ou bancaire. Le facteur le plus bloquant reste l’absence de gouvernance : pas de président, un gouvernement intérimaire, un parlement paralysé. Dans ce contexte, aucune réforme sérieuse ne peut être entreprise, et tout engagement avec le FMI risque d’échouer. Enfin, la dépendance aux flux extérieurs (aide internationale, transferts de la diaspora) expose le système à des chocs exogènes, qu’ils soient politiques (sanctions), sécuritaires (conflit régional) ou économiques (hausse des taux internationaux).
Une illusion de survie masquant l’agonie du système bancaire
En somme, le secteur bancaire libanais de 2025 ressemble à une structure en coma maintenue sous perfusion. Il continue d’exister, d’opérer, de gérer des liquidités, mais n’exerce plus aucune fonction réelle de financement, d’intermédiation ou d’investissement. La digitalisation croissante est une évolution imposée par la fermeture d’agences et non par une transformation stratégique. Les opportunités identifiées par Fitch sont conditionnées à une rupture politique qui tarde à venir. La faiblesse des fondamentaux, la dépendance à l’État et l’absence de réforme rendent toute relance structurelle improbable à court terme.
📌 Données sur les institutions clés
Banques libanaises
Total des actifs bancaires : environ 93 milliards USD (estimation 2024)
Réserves liquides : 78 % des actifs
Crédits accordés : 4,2 % des actifs (2025)
Nombre d’agences : −42 % depuis 2019
Base de dépôts : majoritairement dollarisée, part importante détenue par non-résidents
Fitch Solutions
Cabinet de recherche macroéconomique, filiale de Fitch Group
Spécialiste de l’analyse bancaire, du risque pays, et des perspectives sectorielles
Présent dans 118 pays