Le Liban, pays aux richesses culturelles et historiques inestimables, est depuis plusieurs décennies plongé dans une crise politique et économique profonde. Parmi les aspects les plus pernicieux de cette crise figure l’enrichissement illicite des élites politiques, souvent accusées de détournement de fonds publics et de corruption.

1. L’enrichissement illicite : Un fléau enraciné dans la politique libanaise

L’enrichissement illicite est défini comme l’acquisition illégale de richesse par des personnes en position d’autorité publique. Au Liban, ce phénomène est souvent associé aux élites politiques qui, depuis la fin de la guerre civile, ont consolidé leur pouvoir et leur richesse grâce à des pratiques de corruption systémique.

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1.1. Les mécanismes de l’enrichissement illicite

Les pratiques d’enrichissement illicite au Liban sont nombreuses et variées :

  • Détournement de fonds publics : Les fonds destinés aux infrastructures publiques, à l’éducation et à la santé sont souvent détournés pour financer des projets privés ou pour alimenter des comptes bancaires à l’étranger. Les montants détournés chaque année sont estimés à plusieurs milliards de dollars, contribuant à l’aggravation de la crise financière.
  • Blanchiment d’argent : Des transactions financières complexes, souvent en collaboration avec des banques locales et internationales, permettent de blanchir des sommes importantes obtenues illégalement. Les enquêtes en cours estiment que des centaines de millions de dollars ont été blanchis via des circuits bancaires, alimentant les comptes offshore.
  • Conflits d’intérêts : De nombreux politiciens détiennent des participations dans des entreprises qui répondent à des appels d’offre de marchés publics, créant ainsi un terrain fertile pour les pratiques corruptives. Ce phénomène est particulièrement visible dans les secteurs du BTP (bâtiments et travaux publics) et des télécommunications, où des entreprises proches des cercles politiques sont régulièrement attribuées des contrats publics d’une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars.

2. Le cas Riad Salamé : Une enquête internationale

Riad Salamé, gouverneur de la Banque du Liban depuis 1993, est au centre d’une enquête internationale pour des accusations de blanchiment d’argent et de détournement de fonds publics.

2.1. Les accusations

Les accusations portées contre Riad Salamé sont nombreuses et graves :

  • Détournement de fonds publics : Il est accusé d’avoir détourné des centaines de millions de dollars via des montages financiers complexes. Ces fonds, censés être utilisés pour stabiliser l’économie libanaise, auraient été transférés vers des comptes offshore et utilisés pour des investissements personnels.
  • Blanchiment d’argent : Les fonds détournés auraient été blanchis via des transactions internationales, impliquant des banques en Europe et dans les Caraïbes. Une enquête menée par les autorités suisses a révélé que près de 300 millions de dollars auraient été blanchis au cours de la dernière décennie.
  • Enrichissement personnel : Salamé est soupçonné d’avoir utilisé sa position pour accumuler une fortune personnelle estimée à plus de 2 milliards de dollars, principalement via des transactions immobilières et des investissements dans des sociétés étrangères.
2.2. Les conséquences

Les conséquences de ces pratiques sont désastreuses pour l’économie libanaise :

  • Érosion de la confiance : La révélation de ces pratiques a gravement érodé la confiance du public et des investisseurs dans les institutions financières libanaises. Les réserves de la Banque centrale se sont effondrées, passant de 30 milliards de dollars en 2019 à moins de 10 milliards en 2024.
  • Crise monétaire : Le détournement de fonds a contribué à la dévaluation massive de la livre libanaise, qui a perdu plus de 90% de sa valeur par rapport au dollar américain depuis 2019, aggravant la crise économique et sociale.

3. Les impacts des conflits d’intérêts au sein des élites politiques

Outre le cas de Riad Salamé, les conflits d’intérêts au sein des élites politiques libanaises exacerbent la crise économique.

3.1. Les secteurs concernés

Les secteurs les plus touchés par les conflits d’intérêts incluent :

  • Les travaux publics (BTP) : Des entreprises liées à des politiciens ou à leurs familles remportent régulièrement des appels d’offres pour des projets d’infrastructure. Ces contrats, souvent surévalués, permettent à ces entreprises de réaliser d’importants bénéfices au détriment des finances publiques.
  • Les télécommunications : De même, des entreprises opérant dans le secteur des télécommunications, souvent contrôlées par des proches des élites politiques, bénéficient de contrats publics lucratifs. Ces pratiques ont permis à certaines familles politiques de monopoliser des secteurs stratégiques de l’économie libanaise.
3.2. Personnalités impliquées

Bien que la possession d’actions ou l’implication dans des entreprises de BTP par des politiciens ne constitue pas nécessairement une preuve de corruption, elle soulève des questions sur la transparence et les conflits d’intérêts potentiels dans l’attribution des marchés publics. Voici un exemple :

  • Najib Mikati : En plus de son rôle politique, Najib Mikati est l’un des principaux actionnaires de la Banque Audi, l’une des plus grandes banques du Liban. Sa double casquette de politicien et d’homme d’affaires dans le secteur bancaire pourrait soulever des interrogations quant à d’éventuels conflits d’intérêts, notamment en ce qui concerne l’attribution de crédits ou de facilités financières à des entreprises liées au secteur public ou encore dans son implication dans la mise en place de la restructuration du secteur bancaire.

4. Les statistiques de l’enrichissement illicite au Liban

Pour mieux comprendre l’ampleur de l’enrichissement illicite, il est nécessaire d’examiner les statistiques disponibles. Ces données montrent non seulement la concentration de la richesse entre les mains d’une élite restreinte, mais aussi les conséquences directes sur l’économie libanaise.

AnnéePIB (en milliards USD)Fuite des capitaux (en milliards USD)Perte des fonds publics (en % du PIB)Taux de pauvreté (%)
201037,56,25,5%27%
201550,68,97,2%30%
202032,510,59,8%55%
202421,812,412,1%68%

Sources : Banque du Liban, World Bank, International Monetary Fund

Analyse des données
  • Fuite des capitaux : Entre 2010 et 2024, le Liban a connu une augmentation dramatique de la fuite des capitaux, qui représente une part significative du PIB chaque année. Cette fuite est souvent le résultat direct du détournement de fonds publics par les élites politiques.
  • Perte des fonds publics : La proportion du PIB perdu chaque année à cause de la corruption et du détournement de fonds publics a plus que doublé en 14 ans, atteignant 12,1% en 2024.
  • Taux de pauvreté : Le taux de pauvreté a explosé, passant de 27% en 2010 à 68% en 2024, un chiffre qui souligne l’impact direct de l’enrichissement illicite sur les conditions de vie de la population.

L’enrichissement illicite des élites politiques libanaises est à la fois une cause et une conséquence de la crise actuelle. La corruption endémique a conduit à une concentration extrême de la richesse, aggravant les inégalités et freinant le développement du pays. Pour sortir de ce cycle vicieux, il est impératif que des réformes profondes soient mises en œuvre, avec une application rigoureuse des lois existantes et un renforcement des institutions judiciaires. Toutefois, ces changements ne pourront se produire que si la population libanaise, avec le soutien de la communauté internationale, exige une véritable transparence et une responsabilité de ses dirigeants.

Sources :

  • Banque du Liban
  • World Bank
  • International Monetary Fund
  • Transparency International
  • Enquêtes judiciaires internationales